Bonnes pratiques

Fret 21, levier technique de la décarbonation

28/02/2024

Le transport reste l’un des premiers leviers de la décarbonation des PGC. Lancée fin 2015 avec l’Ademe, l’initiative Fret 21 est l’un de ses principaux outils. Les entreprises s’y engagent suivant quatre axes dont les enjeux évoluent parallèlement : taux de chargement, distances parcourues, modes de transport et achats responsables. Le point avec Yann Viguié, délégué au développement durable de l’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret).

Quelle est votre vision des origines de Fret 21 ?

Yann Viguié : œuvrant dans les transports depuis plus de trente ans, j’ai rejoint l’AUTF il y a six mois pour prendre en charge Fret 21 et tous les programmes de décarbonation du transport de marchandises, dont le récent projet Remove (« Report modal et verdissant »), Fret 21 a été créée au moment de la Cop 21 à l’initiative des chargeurs pour accompagner la décarbonation du fret. Aujourd’hui, cette démarche s’inscrit dans le programme EVE porté par l’Ademe : Engagement volontaire de réductions des émissions de CO2, s’étalant sur trois ans. Nous en sommes déjà à la troisième mouture, EVE3, alors que EVE2 s’achève. Plus d’un millier d’entreprises y sont sensibilisées et un peu plus de quatre cents y ont adhéré.

Quelles sont les évolutions de ce programme depuis EVE1 ?

Y. V. : Essentiellement la technique et les modes de décarbonation. Au moment d’EVE1, nous avions encore un parc diesel sans perspective claire de décarbonation. Avant le renouvellement des véhicules, il y a eu d’abord l’optimisation des  chargements puis la conduite économique. Aujourd’hui, les obligations européennes – “Fit for 55”, soit 55 % de décarbonation à échéance 2030 – vont avoir des effets sur les équipements, d’autant que l’objectif est de 100 % en 2050. Cependant, qu’il s’agisse d’hydrogène, d’électrique ou de biocarburants, le problème est qu’il n’y a pas, pour l’instant, de ressources pour tous dans ce domaine.

Que devrait apporter EVE3 ?

Y. V. : C’est encore en négociation, mais ce sera la prolongation du programme avec de nouveaux objectifs en nombre d’entreprises et en tonnes de CO2 à économiser. Le système est mature. À la décarbonation des flottes de poids lourds vont s’ajouter des modèles alternatifs à la route. C’est l’ambition du beau programme Remove également porté par l’Ademe et signé l’an dernier, pour promouvoir notamment la massification des flux grâce au rail ou à la voie d’eau.

Sensibilisation, engagement, labellisation

Pour les entreprises, quelles sont les étapes de l’adhésion ?

Y. V. : La première, c’est la sensibilisation. L’AUTF est l’association mère dont la structure spécifique, Fret 21, génère une telle activité qu’elle a été filialisée le 1er janvier dernier : AUTF Services. Nous avons cinq chargés de mission qui contactent les entreprises ou organisent des webinaires pour cette sensibilisation. Ensuite, Éco CO2 entre en lice pour monter les dossiers. Car l’engagement est une autre paire de manches : il faut s’engager à une réduction d’au moins 5 % des émissions sur trois ans. Certains doivent parfois reporter, faute de capacité du marché à en absorber le surcoût. Enfin, la troisième étape est de renouveler l’engagement sur trois ans, voire d’évoluer vers la labellisation, avec un audit externe qui vérifie que les objectifs sont atteints. Seulement une cinquantaine d’entreprises y ont accédé pour l’instant.

Comment est évalué le respect des engagements et par rapport à quel référentiel ?

Y. V. : L’Ademe propose tous les outils de base, puis Éco CO2 monte les dossiers techniques avant que des cabinets de conseil sélectionnés accompagnent les démarches de transition. Il faut d’abord calculer le bilan carbone, ce qui est normalement une obligation mais dont l’absence n’est pas sanctionnée. Le transport de voyageurs – train, avion… – s’y est converti, mais celui de marchandises ne s’en est pas encore pleinement saisi.

Concernant l’axe du taux de chargement, la mutualisation semble moins une solution…

Y. V. : Oui, c’est une question complexe. Il y a des verrous réglementaires : on ne peut pas forcément mutualiser son transport avec celui de son voisin. Par ailleurs, les grandes entreprises sont déjà dans une démarche de massification qui ne rend pas prioritaire la mutualisation. Le renouvellement du parc est devenu leur priorité, que ce soit en compte propre ou avec des prestataires. La question du taux de chargement n’est pas aussi facile qu’il y paraît. Tout dépend d’où l’on part et où l’on va, du type de produits, de la possibilité de rechargement. Dans certains cas, on peut arriver à 100 % de charge au retour, mais dans d’autres on reste bloqué à 0, si bien qu’on parle souvent d’une moyenne de 50 %…

Mix énergétique délicat

Concernant les distances parcourues, l’optimisation ne touche-t-elle pas davantage le transport amont que le transport aval ?

Y. V. : Oui, la massification des flux amont est souvent beaucoup plus facile. Dès qu’on aborde le transport aval, on se heurte à la géographie urbaine, à la livraison du dernier kilomètre.

Saura-t-on vraiment se passer du pétrole ou du gaz ?

Y. V. : Il n’y aura pas de solution unique. C’est une question de mix énergétique. Nous ne pouvons pas décréter quel type de véhicule il faut aujourd’hui acheter. Entre les ZFE (zones à faibles émissions), les contraintes de coûts, la construction des véhicules en petites séries, les aides, difficile d’adopter des positions définitives.

La crise ukrainienne a-t-elle contraint les entreprises à ralentir leur démarche ?

Y. V. : Oui et non. La flambée des cours a pu encourager certaines à se poser plus rapidement la question de la décarbonation, donc à accélérer leur transition. A contrario, nous nous retrouvons, notamment en Île-de-France, avec des capacités de méthanisation excédentaires, car les entreprises qui avaient investi dans ce type de véhicules ont dû, pendant la crise, les laisser au garage.

On parle depuis longtemps du multimodal, qui semble pour l’heure un grand échec. Est-il envisageable d’imaginer une relance du train, voire du fluvial ?

Y. V. : On doit l’imaginer. Aujourd’hui, la route a gagné. Malgré de lourds investissements, dans le fret ferroviaire surtout, un peu moins dans la voie d’eau, la route représente 87 % du transport. Doubler la part des autres modes est un objectif affiché par les pouvoirs publics, mais la route représenterait encore 75 %. Des expérimentations aidées pendant un ou deux ans pourraient pérenniser le modèle, mais rien n’est acquis. On retrouve d’ailleurs là les questions du taux de chargement et du retour à vide. D’autant que certains sillons ferroviaires sont saturés. En revanche, la voie d’eau garde de véritables opportunités et pourrait tripler sa part modale, sans investissement supplémentaire.

Comment la démarche Fret 21 intéresse-t-elle la RSE globale ?

Y. V. : Soyons francs, nous sommes bons sur l’environnemental, moins bons sur le social. Cela manque un peu pour développer une démarche complète de RSE. Dans les entreprises, les personnes qui s’occupent du E et celles qui s’occupent du S ne sont souvent pas les mêmes : responsables achats ou logistiques d’un côté, DRH de l’autre… Cependant, le monde du transport l’a compris. Il manque de personnel, éprouve des difficultés de recrutement, et doit donc effectuer un important travail d’image. C’est déjà plus attractif de disposer d’un véhicule propre, non polluant, à zéro émission, plutôt que de rouler avec un vieux diesel. Chez les chargeurs, les conditions de travail sont moins pénibles, avec des conventions collectives plus favorables. Donc le croisement Fret 21-RSE est en train de se faire.

Comment Tereos a adhéré à Fret 21

Tereos a rejoint Fret 21 avec un engagement de réduction de 6 % de ses émissions liées au transport de marchandises en trois ans, soit 6 300 tonnes de moins par an avant 2026. Son plan vise l’optimisation du chargement, l’adoption de modes de transport alternatifs au camion et l’intensification d’achats plus responsables. Pour Pierre-Antoine Roller, manager supply chain de Tereos, « ce premier engagement a fait office de prise de conscience collective de l’impact environnemental lié à notre gestion du transport ».

Le groupe coopératif sucrier a organisé des ateliers pour identifier vingt-deux initiatives : conversion à des véhicules électriques, utilisation du gaz ou de biocarburants alternatifs au gazole, développement du multimodal en privilégiant, quand cela est possible, le ferroviaire, le fluvial ou le maritime… « Le réseau ferroviaire est parfois déjà connecté à nos sites de chargement, explique Pierre-Antoine Roller, or il permet de réduire quasiment de 90 % les émissions de CO2 par rapport au camion. »

« Nous ambitionnons d’utiliser plus de biocarburants », ajoute Loïc Kerkhove, supply chain director. Par ailleurs certains clients français continuent à commander 25 tonnes de marchandises là où les transports de l’entreprise sont capables d’en servir 30 tonnes : « La loi nous autoriserait à franchir ce palier, nous allons donc les inciter à adopter cette approche environnementale », remarque Loïc Kerkhove, qui assure avoir bon espoir de voir pérennisée la démarche Fret 21 de Tereos avec un renouvellement de ses engagements.

Propos recueilli par Benoît Jullien (Icaal)

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