“Informer sur l’origine n’est pas un gadget”
18/08/2025
Pourquoi avoir décidé de rejoindre la démarche Origin’Info dès son lancement ?
Philippe Lalère : En juin 2024, dans un contexte de demande croissante de transparence des consommateurs et d’incitation publique à plus de lisibilité des origines des produits alimentaires, Origin’Info a vu le jour, sous l’impulsion conjointe du gouvernement et des interprofessions. Très tôt, Cofigeo a souhaité s’y associer[1], considérant que cette démarche était en parfaite cohérence avec la philosophie qu’il s’appliquait déjà en interne : valoriser la qualité, la provenance et l’engagement dans le produit. Les consommateurs veulent savoir ce qu’ils mangent, d’où viennent les ingrédients, comment les produits sont fabriqués.
Quels défis avez-vous dû relever pour appliquer cette démarche à vos produits ?
P. L. : Une première difficulté tenait à la diversité de nos gammes. Nous avons des centaines de références, des recettes complexes et une chaîne d’approvisionnement qui peut être soumise à des aléas. Il a donc fallu concevoir une solution précise et sincère, mais adaptable. Nous ne pouvons pas arborer sur chaque emballage une étiquette qui pourrait devenir obsolète. Nous avons donc mis en place un plan de mise en conformité structuré, mobilisant des ressources transverses (achats, qualité, communication, systèmes d’information) pour aboutir à une solution industrialisable. C’est pourquoi nous avons opté pour une solution numérique : un QR Code dynamique présent sur l’emballage qui renvoie à une page en ligne. Le consommateur peut ainsi consulter en temps réel l’origine de chaque ingrédient du produit qu’il achète.
Actualisation permanente au lot exact du produit
Sur le plan technique, cela a-t-il été facile à mettre en place ?
P. L. : En aucune façon. Cela supposait une refonte de nos systèmes d’information, un lien précis entre les flux logistiques, les achats et les données emballages. Il fallait aussi que nos fournisseurs jouent le jeu en nous communiquant une information traçable et actualisable. Mais c’est aussi ce qui rend la démarche crédible : ce n’est pas une opération de communication, mais une transformation profonde de notre organisation. L’innovation technologique a été centrale dans la mise en œuvre.
Nous avons opté pour une solution de QR Code dynamique par laquelle chaque emballage renvoie vers une page web liée au lot exact du produit, indiquant de manière actualisée l’origine précise de chaque ingrédient. Ce système permet de s’adapter en temps réel aux variations de l’approvisionnement, nécessaires en cas de tension sur les matières premières – comme nous avons pu en rencontrer pour la moutarde ou l’huile de tournesol –, garantissant une information fiable, traçable et transparente, au moment de la consommation.
Cela renforce-t-il votre positionnement sur le marché ?
P. L. : Nous nous définissons comme un cuisinier industriel, pas comme un assembleur de produits intermédiaires. Nous cuisinons réellement nos plats dans nos usines : nous achetons des matières premières brutes que nous transformons après avoir élaboré nous-mêmes les recettes. Ce qui suppose de maîtriser notre approvisionnement. Actuellement, environ 80 % de nos ingrédients proviennent d’Europe, dont 50 % de France. Et nous essayons d’augmenter cette proportion. Nous avons des tomates[2] cultivées à 50 kilomètres de notre site de Camaret-sur-Aigues, dans le Vaucluse, une filière chou cent pour cent française, de la semoule issue de blé dur français, etc. Les approvisionnements privilégient la proximité dès que possible et l’objectif est clair : produire en France, à partir d’ingrédients issus d’une agriculture de qualité, dans une logique de souveraineté alimentaire et de responsabilité sociétale.
Mais tous les ingrédients ne peuvent pas venir de France…
P. L. : Bien sûr. Certains ne sont pas disponibles localement en quantité suffisante, comme les haricots rouges ou les lentilles, que nous sourçons au Canada ou en Amérique du Sud. Ce que nous voulons, c’est être sincères sur cette réalité. La transparence, ce n’est pas cacher ce qui n’est pas français, c’est expliquer pourquoi nous faisons ces choix, comment on garantit la qualité malgré tout, et dans quelles conditions on travaille les recettes.
Marque par marque, sans référence qui y échappe
Comment allez-vous déployer cette démarche dans votre portefeuille ?
P. L. : Nous avons fait le choix d’être cohérents : le logo ne sera affiché que lorsqu’une marque entière sera conforme à la démarche, pas seulement quelques références valorisantes. Cela implique un travail important sur les cahiers des charges, les formulations, les contrats avec les fournisseurs… C’est un choix rigoureux, mais nécessaire si on veut éviter toute accusation de greenwashing. La mise en place du logo Origin’Info sera donc progressive, marque par marque. Déjà, Garbit, Zapetti, Panzani et Raynal & Roquelaure ont pu l’adopter. Notre marque William Saurin, qui représente des volumes très importants, ne le portera que lorsque l’ensemble de sa gamme sera en mesure d’intégrer la démarche. Cette rigueur évite toute stratégie d’affichage opportuniste. Elle implique en retour un travail de fond avec les fournisseurs pour resserrer les cahiers des charges, limiter les variations d’origine et garantir la stabilité des flux.
Quels sont les retombées sur vos relations avec vos fournisseurs ?
P. L. : Cette démarche transforme profondément nos échanges. Nous demandons désormais à nos fournisseurs de s’engager sur des provenances précises dès l’appel d’offres. Cela suppose souvent des restrictions d’origine, parfois plus de complexité, mais aussi une plus grande clarté. Nous contractualisons davantage, nous consolidons des filières, et nous anticipons mieux les substitutions possibles en cas de crise. L’information sur l’origine devient une donnée stratégique, aussi importante que le prix ou les délais.
Des exemples d’évolution de l’approvisionnement en lien avec la démarche ?
P. L. : Pour la viande, la totalité de nos plats micro-ondables William Saurin sont à base de viande française. Pour d’autres gammes comme Garbit, nous pouvons intégrer des provenances comme l’Espagne, en fonction des volumes disponibles, mais toujours dans un cadre contractuel clair. Pour les tomates, nous avons une très belle filière cent pour cent française avec Zapetti, des producteurs locaux, une usine située à proximité et un calendrier maîtrisé. Le chou, lui, provient exclusivement d’une filière spéciale avec sept ou huit agriculteurs partenaires. C’est tout sauf anecdotique.
Selon la disponibilité et les volumes requis, notre objectif reste de favoriser l’origine France, mais sans compromettre la qualité ou la continuité du service, surtout quand le marché français n’est pas autosuffisant. Cofigeo assume cet approvisionnement international en insistant sur la qualité constante des matières, les exigences de traçabilité et la logique de filière. Pour le chou à choucroute, j’ai déjà mentionné notre filière française, avec des contrats de production sécurisant les volumes et les prix afin de créer des relations avec notre amont stables et équitables. Pareillement, les tomates françaises des sauces Zapetti proviennent d’un pilotage rigoureux du calendrier et des rendements avec nos producteurs locaux.
Pour une systématisation de la démarche
Comment intégrez-vous ces nouvelles contraintes dans votre politique d’innovation ?
P. L. : Trois aspects sont essentiels dans le développement de produits : le goût, la qualité nutritionnelle et l’origine. Pour le goût, aucun produit ne sort en linéaire sans avoir été testé par un panel de consommateurs, et il doit faire mieux que les concurrents. Pour la nutrition, nous visons un Nutri-Score A ou B, une bonne note Yuka, et l’élimination des additifs controversés (nitrites, épaississants…). Pour l’origine, nous imposons des restrictions géographiques dès la formulation de la recette, en déterminant des provenances précises dès l’appel d’offre, en refusant les origines multiples ou floues, et en contractualisant les engagements d’approvisionnement. Cela suppose une réorganisation interne, notamment dans le référentiel matières, les systèmes informatiques (ERP, fiches techniques) et la gestion de crise (par exemple une substitution rapide si un ingrédient devient indisponible). Cette logique peut rendre les achats plus contraints, voire plus coûteux, mais elle s’inscrit dans une stratégie d’image à long terme, centrée sur la qualité, la confiance et la responsabilité.
Souhaiteriez-vous que la démarche Origin’Info devienne obligatoire ?
P. L. : Clairement oui… N’adopter le logo que sur les produits faciles à valoriser crée une distorsion. Une obligation réglementaire permettrait de tirer tout le marché vers le haut, d’uniformiser les pratiques et d’offrir une vraie lisibilité aux consommateurs. Nous avons vu avec le Nutri-Score que l’incitation ne suffit pas toujours. Une obligation encadrée, avec des outils adaptés, garantirait la sincérité et l’équité.
Que pensez-vous d’un étiquetage exhaustif de tous les « scores » (Nutri-Score, Origin’Info, Planet-Score demain, score éthique après-demain…) que préconisent certains ?
P. L. : Nous restons prudents. Le Nutri-Score est utile. Le logo Origin’Info a du sens. Mais au-delà, trop de logos brouilleront le message. Nous préférons un discours simple, lisible, avec l’essentiel sur l’emballage et le reste accessible par QR Code. L’objectif, c’est de nourrir la confiance, pas de surcharger l’emballage. Trop d’info tue l’info.
La voie de la réhabilitation pour la conserve
Votre marché est-il prêt pour cette révolution de la transparence ?
P. L. : Il en a plus que jamais besoin. Après des années où les conserves étaient boudées, on a assisté – avec la Covid puis l’inflatio – à un retour en grâce du rayon, notamment chez les jeunes adultes. Le rayon conserve, historiquement en difficulté, connaît aujourd’hui une revalorisation notable : commodité, conservation longue et ambiante, et évidemment compétitivité prix jouent en sa faveur. Origin’Info va nous aider à réhabiliter le plat cuisiné appertisé. Ce n’est pas un gadget, c’est un vrai levier de transformation pour le secteur. L’origine s’est imposée comme un critère d’achat déterminant, au même titre que le prix ou la nutrition.
Et pour Cofigeo, qu’est-ce que cette démarche change ?
P. L. : C’est un changement de culture. Avant, l’origine était un critère parmi d’autres. Aujourd’hui, c’est une priorité stratégique, un levier d’innovation, un critère de différenciation. Cela demande de la rigueur, de l’organisation, mais aussi une nouvelle manière de dialoguer avec les fournisseurs, les consommateurs, les équipes. La transparence crée de la valeur. Pas seulement de la valeur marketing, mais de la valeur réelle, dans la qualité du produit, la fierté des équipes, la fidélité des clients. Et ça, c’est durable.