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Réseau Vrac, un projet qui fédère

31/01/2020

Le vrac s’inscrit dans le paysage commercial avec trois principes : absence d’emballage primaire, juste quantité, libre-service. Présumé antithétique de la marque, il serait pourtant un antidote aux crises de confiance que les marques peuvent connaître, en recréant par le produit un lien direct avec le consommateur. La France, berceau au XIXe siècle des premières marques commerciales et des premières lois pour les protéger, est au début du XXIe le pays numéro un du vrac : il a représenté 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2019, en croissance de 41 % sur un an. Et si le point commun entre la marque et le vrac était la qualité et la réassurance ? Entretien avec Célia Rennesson cofondatrice de Réseau Vrac, et Lucia Pereira, directrice des affaires juridiques

En 2019, 818 adhérents ont été accueillis dans l’association Réseau Vrac, et 130 épiceries vrac (itinérantes, fixes ou en ligne) ont ouvert en France. La tendance est-elle à l’expansion ?

Célia Rennesson : Le nombre d’adhérents ne cesse d’augmenter. Nous comptons trois adhésions par jour en moyenne. Les fournisseurs de vrac sont de plus en plus nombreux à adhérer, ainsi que les magasins bio, qui souhaitent se professionnaliser et pousser ce rayon. Depuis la création de Réseau Vrac en 2016, le nombre d’ouvertures d’épiceries spécialisées ne cesse d’augmenter : 77 fin 2016, 147 fin 2017, 236 fin 2018 et 360 fin 2019. En 2020 nous allons renforcer l’équipe opérationnelle pour mener à bien les projets et répondre aux besoins des adhérents et du marché, fédérer davantage de professionnels et développer la Belgique.

Combien compte-t-on d’épiceries spécialistes du vrac et la part de la franchise est-elle importante ?

C. R. : Fin 2019 onen recensait 360 dont les 58 Day by day, à l’heure actuelle la seule franchise, mais des enseignes comme Mademoiselle Vrac et Mamie Mesure se développent sous la forme de licences de marque ou de franchise.

Le marché du vrac est passé de 100 millions d’euros en 2013 à 1,2 milliard en 2019 soit + 50 % par an. Vous prévoyez 3,2 milliards en 2022[1], huit mille points de vente en 2040… Sur quoi fondez-vous vos projections ?

C. R. : Sur la croissance de l’offre en vrac (nombre de points de vente tous circuits confondus et produits disponibles) et celle de la demande des consommateurs.

L’image « bobo » qui a un moment identifié le vrac s’est-elle atténuée ?

C. R. : Je ne pourrais pas vous dire si le vrac y est toujours associé, mais dans les faits il n’en est rien. Il n’y a qu’une quinzaine d’épiceries vrac à Paris, les autres se trouvent ailleurs et pas seulement dans les grandes villes ; une quarantaine sont itinérantes et sillonnent les villages, les marchés. Les trois régions qui comptent le plus d’épiceries vrac sont Auvergne Rhône Alpes, Nouvelle Aquitaine et Hauts de France.

L’absence de définition du vrac, avant celle inscrite prochainement dans la loi sur l’économie circulaire[2], a-t-elle constitué un frein à son développement ? Faut-il labelliser le vrac ?

C. R. : Ce n’est pas l’absence d’une définition de la vente en vrac (que Réseau Vrac vient d’inscrire dans la loi) qui freinait mais l’absence de clarification du cadre législatif. Ce point fut notre premier axe de travail au lancement de Réseau Vrac : clarifier le cadre législatif, instaurer un socle commun de bonnes pratiques pour les commerçants afin de professionnaliser et accélérer le développement du marché. Depuis la création de Réseau Vrac et la rédaction d’un guide juridique que nous faisons sans cesse évoluer, nous offrons à nos adhérents un cadre plus clair. L’entrée dans la loi de la vente en vrac va permettre de rendre nos recommandations applicables à tous et plus seulement aux adhérents soucieux de bien faire.

De l’avance pour les spécialistes du hors-foyer

Les modèles étrangers sont-ils transposables en France ?

C. R. : La France est le pays le plus développé en matière de vrac, nous sommes très observés par les autres pays.

Le poids de chaque mode de distribution, magasins spécialistes vrac (400 références en moyenne), magasins spécialistes bio (150 références en moyenne) et rayons en grandes surfaces (56 références en moyenne), respectivement en termes 5 % , 45 % et 50 % des ventes marché du vrac, conduit-il à privilégier le troisième ?

C. R. : Non car ils ne sont pas implantés au même endroit et n’offrent pas les mêmes produits ni services. Les magasins spécialistes combinent une offre large avec une proximité, du service, une connaissance produits, des produits de qualité et différenciants.

Vendre en vrac conduit-il les marques à une révolution de leur culture d’entreprise comme de leur outil de production ou de leur image ?

C. R. : Je sens un bouleversement chez les marques de tous ces points de vue. Le vrac interroge, inquiète certaines, mais je crois que sa croissance va leur permettre d’opérer une transformation nécessaire et je crois pour le meilleur !

Les marques déjà spécialistes du hors foyer ont-elles une longueur d’avance ?

C. R. : Un avantage non négligeable qui est que leur outil de production est déjà adapté pour conditionner leurs produits en vrac. Reste que la documentation technique, la formation de leurs équipes commerciales, l’information sur le lieu de vente, sont à adapter.

Doivent-elles inventer des nouveaux produits dont les recettes sont adaptées au vrac ? Une nouvelle communication ? Le vrac annonce-t-il la fin des « 4 P » du marketing (promotion, prix, place, produit) ?

C. R. : Oui, les recettes doivent tenir compte du mode de distribution afin de garantir les mêmes propriétés que leur équivalent préemballé (goût, texture, tenue du produit, conservation, etc.). Un consommateur ne voudra pas d’un biscuit mou ou en miettes, par exemple. Il est par ailleurs désireux de reprendre le contrôle de sa consommation. La liste des ingrédients est d’autant plus observée dans le vrac que le produit est rapproché du consommateur, grâce à la transparence des équipements de vente. Le vrac annonce une rupture des codes marketing tels qu’on les enseigne encore. Le « P » de « promotion » doit être remplacé selon moi par celui de « personne », car l’humain doit être remis au centre de notre consommation qu’il s’agisse du producteur, du vendeur ou du client. C’est le cas avec le vrac mais cela doit être applicable à tout.

Le vrac serait-il un moyen pour la marque de retrouver la confiance des consommateurs par un discours sur l’histoire du produit ?

C. R. : Oui. Le vrac rapprochant le client du produit, il permet au fabricant ou au producteur, ou à la marque, de s’adresser différemment aux consommateurs. Il remet le produit au centre, aussi le discours doit aller dans ce sens : raconter l’histoire de la fabrication du produit, les ingrédients utilisés et leur rôle, les recettes associées, les humains derrière la production.

Pourrait-on demain vendre du Chanel n°5 en vrac ?

C. R. : Le vrac doit concerner toutes les marques y compris le luxe. Dès 1992, Thierry Mugler a sorti une fontaine permettant la recharge des parfums, comme cela se faisait au XVIIIe siècle. Les marques du luxe se posent la question d’aller vers le vrac, car elles ne peuvent plus avoir une mauvaise empreinte écologique.

Vous conseillez aux fabricants de produits trois étapes clés pour se lancer dans le vrac : connaître le marché et son contexte réglementaire, choisir les produits et le mode de distribution, adapter les procédures. La formation est-elle également clé ?

C. R. : Elle est primordiale dans le vrac, ce mode de distribution ne s’improvise pas. C’est pour cela que nous avons dès 2016 mis en place le premier module de formation. Les trois étapes mentionnées adviennent avant une phase d’un test qui doit inclure la formation pour les deux parties : fabricants et magasins.

Entrée officielle dans la règlementation française

Envisagez-vous de créer une école ?

C. R. : C’est un de mes rêves depuis le début de Réseau Vrac. Depuis quatre ans nous avons développé six modules de formation, formé plus de six cents personnes. Nous avons encore de nombreux projets, dont des modules à l’intention des fabricants. Des formations diplômantes permettraient d’accélérer le développement du vrac et d’ouvrir de nouveaux débouchés.

Le vrac est-il créateur de nouveaux métiers ?

C. R. : Oui, des entreprises se sont créées spécifiquement pour le vrac, comme l’entreprise Jean Bouteille. Côté distributeur, les fiches de postes des chefs de projet incluent de plus en plus le vrac. Des responsables de rayon vrac à temps plein feront bientôt leur apparition, ou devront le faire si les magasins souhaitent que leurs rayons perdurent.

Réseau Vrac est-il destiné à devenir une centrale d’achat ?

C. R. : Pas du tout. Nous souhaitons rester un fédérateur et un  moteur pour la filière ; nous ne souhaitons pas devenir un site marchand.

Le 13 décembre 2019, l’Assemblée nationale a débattu des amendements Réseau Vrac dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Ils ont été adoptés. Sur quoi portaient-ils ?

Lucia Pereira : Grâce au lobbying de Réseau Vrac en 2019, la vente en vrac fera son entrée officielle dans la règlementation française en 2020. Les recommandations d’étiquetage et d’affichage, et les bonnes pratiques d’hygiène promues par l’association vont s’étendre à l’ensemble des acteurs du vrac. Elles se fondent sur les textes européens et français en vigueur, mais sont adaptées pour tenir compte des particularités de la vente en vrac, notamment de l’absence d’un commerçant pour informer le consommateur au stade du remplissage.

En outre, un principe va être inscrit dans le Code de la consommation : tous les produits doivent pouvoir être vendus en vrac, en libre-service, sauf exceptions justifiées par des motifs de santé publique.

Et dans le dossier des signes d​‌’identification de l​‌’origine et de la qualité (SIQO), de l’hygiène des contenants ?

L. P. : Les produits secs sous AOP ou IGP, comme le riz de Camargue ou les lentilles du Puy, ne peuvent aujourd’hui être vendus en vrac avec mention du logo AOP ou IGP et de la dénomination protégée. Le Code rural va désormais imposer aux « organismes de défense et de gestion » des signes de qualité (ODG) de prévoir dans les cahiers des charges de ces produits les conditions dans lesquelles ils peuvent être vendus en vrac.

Le droit du consommateur d’être servi dans son propre contenant réutilisable va être inscrit dans le Code de la consommation, de même que le principe que le consommateur reste responsable de son contenant, dans la mesure où des règles claires notamment sur le nettoyage sont affichées en magasin. En outre, les commerces disposant d’une surface de plus de 400 m2 devront mettre à la disposition des consommateurs des contenants propres réutilisables.

L’objectif de ces avancées règlementaires est de sécuriser la filière vrac. Cela passe par une information claire sur les produits et sur les contenants réutilisables, et par des règles précises pour la traçabilité des produits. Les marques, les distributeurs et les consommateurs ont besoin d’un cadre clair pour faire de ce mode de distribution une alternative.

Quelles actions menez-vous auprès des consommateurs ?

C. R. : Une de nos missions est d’encourager la consommation en vrac. Nous y répondons par un Guide consommateur vrac (sortie au premier trimestre 2020), par la collaboration avec les villes et régions, par la présence de l’association lors d’événements comme le LH Forum, ChangeNOWsummit, ou l’organisation des JO 2024 avec la Ville de Paris. Le guide sera disponible sur notre site etdans tous les magasins de vrac qui le souhaitent.

Quel est le modèle économique de Réseau Vrac ?

C. R. : Il fonctionne comme une start-up. Aucune subvention, ni mécénat, ni dons. Les revenus proviennent des adhésions, des formations et du Salon du vrac.

[1] Les GMS représentent 150 milliards d’€.
[2] Trois principes : absence d’emballage primaire, juste quantité, libre-service.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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