Entretiens

Circuits

Nouveaux paradigmes pour l’hyper

29/01/2020

Des modes de consommation plus écoresponsables requièrent de la part des acteurs du commerce, industriels et distributeurs, des actions communes sur les services et les produits. Le vrac est au centre de tels enjeux. Entretien avec Nathalie Innocenti, directrice générale de Mission Capital Client*

Vous distinguez quatre stades de prise de conscience en faveur du vrac ; est-il possible de les quantifier démographiquement et de les qualifier sociologiquement et géographiquement ?

Nathalie Innocenti : Ces quatre stades, qui recoupent la classification de Didier Onraita sur les engagés, les curieux et les nomades opportunistes, sont le fruit d’expériences personnelles et de déductions issues d’observations et de discussions avec les consommateurs. Cette lecture permet de renseigner les acteurs sur l’évolution des comportements. Je souhaite me rapprocher de Kantar pour quantifier et qualifie ces stades, afin de faire basculer les grands acteurs vers des choix radicaux en matière environnementale.

Ce n’est pas la première fois qu’industriels, distributeurs et experts s’interrogent sur le commerce de demain en termes de services et de nouveaux produits. En quoi ceux des ateliers que vous avez réunis apportent-ils des solutions ?

N. I. : Depuis dix ans, les distributeurs et dans une moindre mesure les industriels s’interrogent sur l’e-commerce et les conséquences de la révolution digitale. Le magasin doit devenir un lieu d’expérience, un lieu où l’humain est davantage présent, où le vendeur devient un conseiller. Je vois une similarité dans les façons de traiter la digitalisation des enseignes, sujet très complexe, et les « parcours consommateurs ». Je fais un parallèle entre la digitalisation et l’arrivée des nouvelles attentes de consommation écoresponsables, qui concernent beaucoup d’acteurs dans les entreprises et entre entreprises.

Cela nous conduits à travailler en partant de ce que le client va être capable d’accepter. L’enseigne doit dès l’entrée du magasin prouver son engagement, par des chiffres et des actions. Elle doit éviter tout écoblanchiment en traçant sa contribution et celle, collective, qui implique aux consommateurs. C’est un changement de paradigme d’impliquer le consommateur.

Si on veut avancer, viser le « zéro déchet », la réduction des emballages, diminuer le gâchis alimentaire, les enseignes doivent collaborer, pour adopter des parcours de collecte intelligents, de réemploi, de recharge, de nettoyage des emballages communs. Les modes de consommation responsables vont bouleverser l’approvisionnement, les ingrédients, l’écoresponsabilités, la distance parcourue pour obtenir ce qui est nécessaire afin de produire.

On doit aussi agir sur l’emballage – soit en réduisant le plastique, soit en le réemployant–, le collecter, le nettoyer, le recharger. Il faut donc impliquer les villes ou les distributeurs, fédérer tous les acteurs dans l’économie circulaire. Nos ateliers ont apporté une vision rupturiste en faisant travailler ensemble distributeurs (Carrefour, Système U, Day by day, Biocoop), industriels et experts, en obtenant d’eux un consensus sur certains chantiers. L’objectif est de solliciter le gouvernement pour qu’il légifère sur la collecte et le circuit de rechargement.

Pourquoi les consommateurs étaient-ils exclus des réflexions des ateliers, alors que les acteurs du commerce devaient, comme vous l’avez indiqué, « se mettre dans la peau du consommateur niveau quatre » ?

N. I. : Mission Capital Client les représentait, mais très bonne suggestion ! À l’avenir, il n’est pas exclu de les accueillir, particulièrement les jeunes et les les consommateurs de « niveaux 3 ou 4 », les plus investis.

Le vrac s’accompagne-t-il de nouveaux métiers, dans quels domaines et de quelle nature ?

N. I. : Dans l’hypermarché de demain que nous avons imaginé, de nouveaux métiers seront associés à la réglementation. Quand le consommateur se sert de détergent, de cosmétique en vrac, le distributeur a comme obligation d’opérer trois points de contrôle : vérifier visuellement que l’emballage qui va être utilisé est propre, vérifier l’adéquation du contenant avec le contenu et vérifier si les contenants collectés sont réutilisables. Ce troisième point sera contrôlé par l’intelligence artificielle.

Certains métiers chez l’industriel évolueront pour porter sur la révision de la chaîne de fabrication, les chaînes de production avec les nouveaux contenants, les chaînes de recharge des contenants déjà utilisés. Du côté des distributeurs, il faudra créer des métiers de pédagogues pour que le plus grand nombre adopte vite les modes de consommation écoresponsables ; il faudra réécrire les chartes de communication pour qu’elle soit simple. C’en sera fini des ventes en lots, en promotion… Les systèmes de fidélisation changeront : ils récompenseront les actions en faveur des enjeux environnementaux.

À l’heure où la grande distribution réduit ses effectifs, le vrac peut-il en limiter les effets ?

N. I. : Si l’on observe l’évolution de l’emploi dans les petites épiceries, le rôle de l’humain paraît central pour l’accompagnement à tous les moments du parcours : quand le client se sert, quand il veut comprendre le mode de fonctionnement, peser, savoir ce qu’il y a dans le produit : autant d’emplois qu’il y a de questions, à moins que l’intelligence artificielle ne soit utilisée pour la tare, ou le contrôle qualité du contenant.

Jadis, des marques iconiques commercialisaient leur produit dans des boîtes réutilisables pour d’autres ingrédients (boîtes Banania métalliques des années trente destinées comme il était indiqué pour la farine, le sucre, le riz… Plus près de nous, Alsa, Cérébos…). La marque peut-elle justifier sa présence par un contenant très qualitatif que le consommateur peut garder ?

N. I. : C’est déjà le cas, mais la marque Banania, par exemple, ne pourra pas contrôler ce que sa boîte contient, qui pourra être du Nesquik. Ni les bocaux de mousse de chocolat ne pas contenir des cacahuètes. La différence va se faire par la qualité du produit et non plus par la qualité du marketing.

Quelles seraient les autres fonctions que seules les marques pourraient demain remplir ?

N. I. : Le fait de pouvoir acheter une marque en petite quantité, donc moins cher, l’ouvre à une clientèle qui aujourd’hui ne peut y accéder. Voilà une opportunité pour les marques de s’adapter aux différences de pouvoir d’achat.

Peut-on être de « niveau quatre » et fidèle à des marques qui seraient irremplaçables ?

N. I. : Si certaines sont pour l’heure irremplaçables (comme certain gels douche), les produits palliatifs se développent dans les produits de base. Le « consommateur niveau quatre » est prêt à acheter un liquide vaisselle qui lave moins bien qu’une marque, un shampoing qui rend ses cheveux un peu plus électrique, par réaction pour défendre la planète. Il est donc prêt à se priver des marques. Il se réconciliera avec les marques quand elles seront écoresponsables.

Quels moyens permettent le mieux de donner avec le vrac l’information sur le produit qu’un consommateur a l’habitude de trouver sur l’emballage ?

N. I. : Le QR code est privilégié. Mais de par son aspect technique il n’est pas adapté à tous les consommateurs, notamment les plus vieux.

Dans votre nouveau magasin revient au consommateur le soin de tarer ses produits. Est-ce judicieux de lui confier cette tâche alors qu’il entend simplifier ses courses ? Lui revient-il aussi de contrôler la propreté de ses contenants ?

N. I. : Il y a un risque d’erreur et un risque d’abandon si on lui confie la tare, ce qui risque d’accroître l’attente pour les autres consommateurs. Il faut confier ces tâches à l’intelligence artificielle. Dans l’optique d’un déploiement massif de la distribution en vrac, ces questions sont légitimes, car il faudra multiplier les vigiles.

* https://www.mcclients.fr.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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