Vie des marques

Nouveaux circuits

Day by day, les lettres de noblesse du vrac

27/01/2020

Enseigne d’épicerie 100 % vrac, Day by day promet la juste quantité avec la juste qualité au juste prix, pour un moindre impact sur l’environnement grâce au moindre emballage. (Synthèse de l’intervention de Didier Onraita-Bruneau, cofondateur de My Retail Box et Day by day, à la matinée « vrac » organisée à l’Ilec le 14 janvier 2020.)

Allemagne, Portugal, Italie, Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, Canada, Japon, Sénégal… : destinations proposées par une agence de voyages ? Non, des pays parmi d’autres qui sont candidats pour accueillir un nouveau type de commerce fondé sur le 100 % vrac. « Je reçois toutes les semaines des demandes de franchises que je ne peux, pour l’heure, satisfaire faute de moyens », regrette Didier Onraita-Bruneau, cofondateur de My Retail Box[1]. Cet engouement atteste que le vrac doit être appréhendé comme un vrai marché, ne plus être considéré comme une expérience, mais comme une réponse à une demande mondialisée. Berceau des marques commerciales au début du XIXe siècle et du droit de propriété industrielle qui les protège, la France serait-elle, deux siècles plus tard, devenue celui du vrac, antithèse à première vue des marques ?

« Nous sommes en avance et nous demeurons l’aiguillon », estime Didier Onraita-Bruneau. Porte-drapeau de cette révolution commerciale n’est pas une mode passagère malgré sa faible part de marché (1 % ), l’enseigne Day by day est aujourd’hui, avec 59 magasins, le premier réseau d’épiceries cent pour cent vrac en France.

Après avoir œuvré des années dans la grande distribution, Didier Onraita-Bruneau, à la tête d’un cabinet de conseil dans le même domaine, s’est penché sur le vrac en 2004. Deux ans après qu’Auchan fut la première enseigne à introduire le vrac dans un hypermarché, à Noyelles-Godault, dans le Pas-de-Calais ; il s’agissait alors surtout pour l’enseigne nordiste de riposter à l’émergence du maxidiscompte. L’obsession de Didier Onraita-Bruneau est tout autre : « lutter contre le gâchis permanent ». Et de citer trois chiffres de nature à alerter les consciences : 230 kg de plastique jetés chaque seconde dans l’océan, 41 tonnes de gaspillage alimentaire par seconde, soit 16 milliards par an. « On jette l’équivalent de l’Himalaya en nourriture tous les ans dans le monde. C’est un drame environnemental, sanitaire et social. » Son ambition : changer les comportements des consommateurs.

Travail de longue haleine. Les convertis au vrac sont encore rares, tels qu’ils apparaissent dans sa classification de la population française : trois millions d’« engagés » qui intègrent la consommation responsable de manière quotidienne dans leur parcours, 9,2 millions de « curieux », et les autres, les plus nombreux, les « nomades opportunistes ». Sa mission : transformer les nomades en curieux, les curieux en engagés et rassurer les engagés.

L’idée de conjuguer « la juste quantité avec le juste emballage grâce au vrac » va mûrir jusqu’en 2011. Avec son partenaire et associé David Sutrat, il conçoit alors l’enseigne « Day by day, mon épicerie en vrac ». Le premier magasin ouvre à Meudon en 2013, sous l’égide de My Retail Box, société créée la même année et chargée de développer l’enseigne. « En 2013, se souvient-il, le vrac avait une image négative. Le modèle économique n’existait pas, le vrac coûtait cher, le taux de casse était très élevé, les magasins étaient sales. Bref, c’était un cauchemar pour le distributeur. » Visionnaire opiniâtre, il ne baisse pas les bras et opte pour un éco-système spécifique, « séparément de la grande distribution ».

Le vrac, légitimement plus cher

Fort de ses 59 magasins dans 47 départements et un à Bruxelles, Day by day affiche en 2019 quelque 30 millions d’euros sous enseigne (+ 65 % depuis2018) pour une surface totale exploitée de 2 600 m2. « Nos plus anciens magasins réalisent 13 à 14 000 euros de vente au m2 avec uniquement du PGC et DPH, et sur 50 m2, ce qui est tout à fait honorable. » De 750 à 1 000 produits sont proposés répondants à une trentaine de fonctions essentielles[2] pour la consommation quotidienne, sélectionnés auprès de 83 fournisseurs ; 70 % de ces produits sont d’origine française. Le bio ne représente que 25 % de l’offre, car « la consommation responsable doit être pour tous, or le bio n’est pas toujours pour tous », souligne Didier Onraita-Bruneau. « Notre croissance est maîtrisée, avec 20 à 25 magasins par an en France et à l’exportation. Notre modèle semble attrayant, puisque l’année dernière nous avons reçu mille quatre cents candidatures à la franchise. »

Si le vrac, c’est d’abord acheter la juste quantité utile et nécessaire de manière sûre et saine, c’est aussi acheter au juste prix. « Nous n’avons pas pour ambition d’être déflationnistes, de détruire de la valeur. Au contraire, nous voulons en créer pour la partager. » Didier Onraita-Bruneau bat en brèche l’idée que le vrac coûterait moins cher : « Le vrac n’a pas être moins cher, il ne peut pas l’être, car notre modèle est peu mécanisé et nous avons deux fois plus de salariés au m2 que la distribution traditionnelle. Aussi devrait-il être plus cher que le préemballé, si on le fait bien », affirme-t-il. Pour autant, l’argument économique en faveur du vrac demeure, car avac le vrac, le consommateur achèterait moins et surtout n’achèterait pas quelque chose destinée à finir à la poubelle. Ainsi le recours à la promotion est-il banni par l’enseigne : « C’est consacrer stupidement de l’argent à des produits que l’on risque de jeter, c’est immobiliser de l’argent et réduire son pouvoir d’achat, c’est stocker et donc perdre de la place, c’est se condamner à consommer la même chose pendant longtemps quand acheter des petites quantités de chaque aliment permet de goûter à plus d’aliments et à se faire plaisir. » Bref, la promo ça coûte cher.

Les vendeurs en magasin, le meilleur marketing

Autre aspect de ce travers de la grande distribution, la fidélisation et les cartes ou bons de réduction : « Nous ne voulons pas acheter nos clients pour qu’ils nous achètent. Nous les fidélisons en faisant notre travail, en tenant notre promesse. » En communiquant, également, de manière ciblée : « Nous n’avons que 58 magasins en France dans 47 départements, inutile donc de faire de la pub télé. Le budget consacré à la communication privilégie les relations presse. Enseigne de proximité, nous avons une communication de proximité, aussi se fait-on connaître dans nos quartiers. Quand on fait bien son travail, les gens en parlent ! »

My Retail Box choisit aussi une méthode traditionnelle qui a fait ses preuves : les tournées urbaines d’un triporteur, afin de démocratiser la pratique du vrac avec des animations pédagogiques et ludiques : Strasbourg, Bruxelles, Lille, Rennes, Lyon, Toulouse, le parvis de la gare Saint-Lazare à Paris avec quatre chalets thématiques. Et les réseaux sociaux sont bien utiles, quand les moyens financiers sont limités. La chaîne de la société,  propose donc sur YouTube des vidéos sur le vrac, le concept Day by day expliqué par Didier Onraita-Bruneau[3], la présentation des équipes, des fournisseurs et des produits.

S’il y a un point commun avec la grande distribution, le libre-service, c’est avec la volonté d’associer aussi au mot service tout son sens noble : les équipes de chaque épicerie sont formées pour informer et rassurer les clients : « Ils sont nos meilleurs ambassadeurs. La proximité, ce n’est pas forcément géographique, c’est aussi le contact relationnel. Il faut respecter le client en le rassurant sur la qualité du produit, mais aussi le fabricant en lui disant que le client apprécie et achète son produit. Il n’y a pas de meilleur marketing. » Autre complément au livre-service : le moment de la tare faite par les gérants et leurs équipes, qui font un contrôle visuel de propreté des contenants apportés par les clients ; c’est auprès de ceux-ci que l’enseigne, qui refuse la consigne, collecte des pots (moutarde, cornichons…), qu’elle nettoie et met à leur disposition gratuitement.

Le modèle mis en place par My Retail Box a également ceci de singulier qu’il ne dispose pas de service achat mais d’un service filière innovation qui met en relation les producteurs avec les vendeurs et les clients. Il est centralisé et offre la même gamme dans tous les points de vente. « Nous avons mutualisé à Dreux l’approvisionnement, la logistique, pour regrouper les produits de nos 83 fournisseurs, explique Didier Onraita-Bruneau. S’y trouvent le siège social, le marketing et la fonction support : plateforme de stockage, mise en bacs, usine de lavage et expédition. C’est un travail de titan, mais cette mutualisation explique la réussite de nos magasins et l’appétence de nos clients. »

Innovations numériques et commerciales

Afin de tenir la promesse de la réduction drastique du gaspillage, My Retail Box a créé une base de données qui permet de mesurer les poids d’emballage primaire, secondaire, tertiaire de chacun des articles depuis leur réception en amont jusqu’à ce que le client achète, même avec les sachets en papier, poids ramené à chaque kilo de matière consommable vendue (farine comme lessive). « J’ai fait avec mes fournisseurs le même travail d’analyse dans leurs formats préemballés standard le plus vendu du même produit. L’évitement en 2018 du poids d’emballage mis sur le marché est supérieur à 70 % . On pourra monter à plus de 80 % dans quelques années. »

La vente en vrac a pourtant ses limites. Celle du temps, puisque les gens, rappelle Didier Onraita-Bruneau, « veulent faire toutes leurs courses au même endroit, sous le même toit ». Or Day by day ne vend pas pour l’instant de produits périssables non frais. « C’est pourtant un véritable enjeu, car nos clients nous en demandent tous les jours. » Une expérience a néanmoins été tentée dans un magasin parisien des Batignolles, deux semaines de juin 2019 : un distributeur réfrigéré proposait des yaourts brassés nature bio Faire Bien, marque réservée au circuit bio des Prés Rient Bio avec le soutien du « MIA » (« Manifesto Innovation Accelerator »), l’accélérateur d’innovation de Danone. « Sans aucune publicité, nous avons fait un carton plein pour la recevabilité du produit par les clients, malgré les imperfections techniques et logistiques, savoure Didier Onraita-Bruneau. Une seule référence de yaourt bio, plutôt chère, sur les mille du magasin a représentée 1,4 % du chiffre d’affaires. Les clients sont revenus quatre fois acheter les yaourts. Pour autant le volume d’achat est moyen, ils achètent un peu plus que trois pots mais pas le quatre-pots habituel. » Day by day ne vend pas non plus de produits AOP, jus de fruit, confiture, ni de liquides gazeux comme la bière. Ni de cosmétiques, pour des raisons réglementaires et techniques, car « les produits sont fragiles ». « Nous proposons néanmoins quelques produits solides, par exemple de la marque  Cozie[4], que l’on peut considérer comme une usine déportée, mais cela coûte cher. »

Le succès et la pérennité de la vente en vrac reposent sur la confiance. Didier Onraita-Bruneau estime que « si l’on veut faire évoluer ce marché qui est en forte demande, il faut renforcer la confiance à tous les niveaux, construire des protocoles de qualité sérieux et partagés ». Comment par exemple déterminer la vraie date de durabilité minimale d’un produit en vrac ? « Combien de temps le produit peut-il être conservé dans le paquet, combien de temps quand ce même produit est mis dans le bac ? » Le succès repose également sur les réponses aux questions que se pose le client quand il utilise et conserve le produit chez lui.

Si l’enseigne a vite touché tous les types de revenus, la grande majorité de client se caractérise par un niveau d’études élevé. Autre particularité des premiers temps : une suréprentation des moins de 35 ans (deux fois plus que dans la population générale). Mais le recours au vrac s’est étendu depuis deux ans : à des populations moins formées puis à des quadras et quinquas, qui viennent motivés par leurs enfants. La moitié des clients de l’enseigne y basculent tous leurs achats de PGC au bout de neuf mois.

Le vrac, allié des marques

Marque et vrac dans le même bateau ? Pour Didier Onraita-Bruneau, « les marques existent et existeront toujours, c’est un gage de confiance pour celles qui font bien leur travail ». Les consommateurs les plébiscitent toujours ; 60 % ne fréquentent pas les magasins vendant du vrac parce qu’ils n’y trouvent pas leurs marques habituelles. Si elles devaient rester sur le pas de la porte, « elles passeraient à côté d’une opportunité de croissance, rateraient un transfert de marché, certes petit aujourd’hui mais qui va grandir », les avertit le fondateur de Day by day. « Combiend’entre elles, ajoute-t-il, ont laissé passer le train du bio ? » La loi du premier occupant est toujours d’actualité en marketing.

Mais, reconnaît Didier Onraita-Bruneau, « elles ont besoin de savoir comment leurs produits sont traités et marqués ; elles doivent bien vérifier la procédure qualité et ne pas être un anonyme perdu dans un coin ». L’heure est à la réinvention : « Il faut trouver ensemble des solutions alternatives, repenser le marketing pour que la marque ait sa place dans le vrac. » Day by day joue le jeu en étant très vigilant sur la procédure qualité et en valorisant les marques par des reportages sur YouTube, Facebook, des informations sur le lieu de vente, en vitrine. Quant au circuit qu’elles devraient privilégier, spécialisé ou grande surface alimentaire, Didier Onraita-Bruneau n’en conseille aucun en particulier sinon « celui qui est prêt à faire tous les efforts opérationnels, d’exécution pour que les enjeux de sécurité, d’identité, de qualité, de marketing soient garantis jusqu’au bout de la chaîne ».

En août 2019, My Retail Box a installé un premier coin de vente Day by day dans un hypermarché, un Cora à Ermont (95), avec l’objectif de s’adresser à tous les consommateurs et pas uniquement aux résidents des centres-villes. « Si cette expérience est plutôt positive en termes de résultat commercial, elle ne nous conduit pas à déployer le modèle immédiatement, car nous n’avons pas encore de certitude quant à son succès sur le long terme », analyse Didier Didier Onraita-Bruneau. Quant à savoir si la grande distribution va prendre une part importante du marché, le fondateur de Day by day loin de s’en inquiéter est porté à en souligner le bénéfice : « Tant mieux, car si on veut changer le monde, il faut le faire vite, et on ne peut pas se passer d’un commerce qui représente 70 % des courses. Autant qu’il le fasse bien et qu’il représente là aussi 70 % du business. Comment changer de modèle de consommation sans s’appuyer sur la capacité, la puissance, et le professionnalisme, cet incroyable accélérateur qu’est la grande distribution ? Nous avons une énorme réserve devant nous. »

[1] Un entretien complète par ailleurs la présente synthèse.
[2] PGC et DPH (22 % de l’offre) : pâtes, riz, légumes secs, fruits secs, céréales, confiserie, thé, café, biscuits, vins, sirops, produits d’hygiène et produits d’entretien.
[3] Il donne rendez-vous deux fois par mois sur le site pour répondre aux questions liées au vrac.
[4] Cosmétique objectif zéro impact environnemental.

Jean Watin-Augouard

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