Vie des marques

Innovation

Loop, un pilote qui mûrit

12/05/2021

Vingt grandes marques ont développé en France des emballages réutilisables et étiquetés « Loop ». Ce modèle de consigne multi-enseigne a suscité intérêt et adhésion dans le cadre de son premier déploiement, en partenariat avec Carrefour. Et il entrevoit les conditions de son équilibre économique. Entretien avec Blandine Surry, directrice générale de Loop Europe.

Quelle est la singularité du concept Loop et quel est son mode de fonctionnement ?

Blandine Surry : L’ambition de Loop [1] est de promouvoir le réemploi des emballages de produits de grande consommation. C’est la première initiative qui associe des grandes marques nationales et internationales, afin de remplacer leurs emballages jetables par des emballages durables, et des distributeurs, comme Carrefour en France, afin de rendre ces produits disponibles au plus grand nombre.

Pour le consommateur, l’acte d’achat change peu. Il achète des produits de l’assortiment Loop dont les emballages sont réutilisables. Il n’a pas besoin d’amener son contenant comme pour le vrac, car les emballages sont déjà remplis. Au prix de ces produits s’ajoute un montant de consigne pour l’emballage, qui varie de 20 centimes à quelques euros. Ainsi les consommateurs peuvent acheter leurs marques préférées en version zéro déchet.

Loop entend leur offrir la possibilité d’acheter ces produits en emballages réutilisables dans de multiples endroits et de les rendre dans de multiples points de retour : le réemploi accessible à chaque coin de rue. Une fois les contenants retournés, Loop en assure la collecte, le tri et le nettoyage. Les emballages propres sont renvoyés dans les unités de production des marques, pour être de nouveau remplis et remis dans la boucle, jusqu’à plusieurs dizaines de fois.

Épicerie, DPH et boissons

Combien Loop compte-t-il de marques partenaires ? Dans quelles catégories de produits ?

B. S. : En France, vingt marques sont disponibles dans l’assortiment en magasin, de l’épicerie à l’entretien de la maison, aux soins de beauté et aux boissons : Nivea (Beiersdorf), Brâam, Coca-Cola, Fanta, Sprite et Fuze Tea (Coca-Cola European Partners), Danone, Evian et Badoit (Danone), Nutella (Ferrero), La Petite Fabrique provençale (Biscuiterie de Provence), Puget et Lesieur (Lesieur), Chocapic, Nesquik, Ricoré, Vittel et San Pellegrino (Nestlé), Herbal Essences (Procter & Gamble), Maison verte (Swania). D’un point de vue mondial, nous sommes en partenariat avec cent cinquante grandes entreprises de produits de consommation qui expédient ou développent plus de cinq cents produits, et quinze distributeurs nous ont rejoints. Nous comptons aussi parmi nos partenaires McDonald’s et Burger King.

Loop s’est d’abord présenté il y a deux ans comme un modèle de vente en ligne avec livraison à domicile ; a-t-il basculé vers un modèle de corners en magasins ?

B. S. : Il y a deux ans, la plateforme Loop en ligne a été lancée comme une phase de test, pour donner aux marques le temps de créer des emballages durables et d’expérimenter le concept de consigne, passant ainsi d’une chaîne d’approvisionnement linéaire à une chaîne circulaire. L’objectif a toujours été de rendre la solution disponible chez nos partenaires distributeurs – magasins physiques et plateformes de commerce électronique.

Au moins dix réutilisations

Pour les fournisseurs, y a-t-il un cahier des charges commun (conditionnement, logistique…) ? Décident-ils tous selon les mêmes critères de tel ou tel emballage, en dehors du fait que tous doivent être lavables ?

B. S. : Les marques sont chargées de concevoir leurs emballages en respectant les directives de conception de Loop, qui préconise des matériaux durables, le verre ou l’inox par exemple. Il revient à chaque marque de choisir le meilleur matériau, en prenant en compte les caractéristiques du produit qui sera à l’intérieur, mais aussi les occasions où le produit sera consommé (à la maison ou à emporter), et les contraintes industrielles qui leur sont propre. Dans certains cas, un plastique très résistant réutilisable un grand nombre de fois sera privilégié, pour son poids et sa commodité. L’exigence est que l’emballage soit utilisable au moins dix fois, et recyclable lors de son inévitable fin de vie. Bien entendu, il doit également pouvoir être nettoyé conformément aux normes du marché. En ce qui concerne le conditionnement, il est réalisé en partenariat entre le distributeur et Loop, afin de satisfaire les contraintes des différentes parties.

Loop propose-t-il des produits frais ou secs vrac à la livraison ? Et des surgelés ?

B. S. : En France, Loop a élargi son assortiment avec du frais, notamment des yaourts Danone en pot familial en verre. Les consommateurs souhaitent retrouver dans l’assortiment leurs marques préférées, et nous travaillons main dans la main avec nos partenaires distributeurs pour élargir l’assortiment. Nous sommes également en phase pilote pour tester des produits surgelés aux États-Unis que nous pourrions envisager de lancer en France et au Royaume-Uni.

Metro après Carrefour

Qu’avez-vous appris de votre partenariat avec Carrefour quant à la viabilité du modèle économique ? Cette expérience diffère-t-elle de ce qui a été fait au Royaume-Uni ?

B. S. : Les projets pilotes sur les marchés tests où Loop met en place sa plateforme de commerce électronique se sont très bien déroulés et fournissent les informations nécessaires sur les consommateurs pour passer à la vente en magasin. En France, les premiers magasins Carrefour proximité ont été lancés en décembre dernier à Paris. L’excellent accueil des clients a conduit Carrefour à étendre l’initiative à de nouveaux formats (supermarchés et hypermarchés) et à doubler le nombre de magasins dans les prochains mois. Au Royaume-Uni, nous suivons le même modèle avec Tesco, où fort du succès de la phase pilote [2], Loop sera lancé dans une dizaine de magasins dans les prochains mois.

Quels sont les projets de Loop avec les autres enseignes [3] ?

B. S. : En France, nous venons d’annoncer notre partenariat avec Metro, la société de cash & carry qui sert plus de cent mille restaurants indépendants. Metro lancera Loop dans dix entrepôts en septembre et proposera aux restaurateurs des produits dans des contenants durables. Nous avons également signé un partenariat avec Burger King pour la vaisselle consignée et réutilisable, qui se concrétisera par un lancement pilote dans plusieurs restaurants en fin d’année. Au Royaume-Uni, nous sommes en partenariat avec Tesco (supermarchés) et nous lancerons bientôt les gobelets réutilisables Loop pour les boissons chaudes avec McDonald’s.

Quelles sont les perspectives d’atteindre une économie d’échelle, pour rendre les coûts supportables par les industriels et les distributeurs ? Quel est le seuil minimal en volume ?

B. S. : La question de l’échelle est essentielle pour Loop, ainsi que pour ses partenaires, marques et distributeurs. Pour se faire, nous travaillons en premier lieu à développer l’écosystème, en ajoutant de nouveaux partenaires de la distribution pour densifier le réseau de points de vente et de points de collecte, ce qui permet d’optimiser les coûts opérationnels de logistique inversée ; ensuite, à augmenter le nombre de magasins chez les distributeurs partenaires ; enfin, à développer l’assortiment et l’intérêt pour les consommateurs. Ces trois axes autorisent une feuille de route ambitieuse de développement des volumes et d’optimisation économique du modèle. Pour l’instant, Loop est un projet pilote qui s’efforce d’étendre l’infrastructure existante pour atteindre une efficacité opérationnelle plus durable et réduire les coûts.

Complémentarité de la consigne et du vrac

Au vu de ses exigences côté production et logistique industrielle, est-ce que le modèle Loop peut avoir du sens (de la viabilité) seul, ou dans le cadre d’une chaîne d’approvisionnement réorganisée spécialement pour répondre à l’ensemble des circuits toutes enseignes ?

B. S. : La chaîne d’approvisionnement est circulaire et n’importe quelle marque peut être intégrée à notre système de collecte, de nettoyage, de remplissage et d’envoi au client suivant.

Le développement du modèle nécessite-t-il du côté des industriels le lancement de gammes spécifiques ?

B. S. : Le développement d’un nouvel emballage n’exige pas nécessairement la création d’un produit ou d’une gamme spécifique. Tout produit peut être lancé.

Peut-on concilier vrac, consigne et produit emballé dans le même magasin ?

B. S. : Oui, Loop vend à la fois des produits en vrac pour les produits de base du garde-manger et des produits individuels. Carrefour vendra tous les types de produits ménagers ; Loop travaille au développement de l’emballage et du système de la chaîne d’approvisionnement pour les soutenir.

La marque Loop figure-t-elle sur les contenants comme caution ou label ? Cela peut-il poser un problème au niveau des chaînes de fabrication ?

B. S. : Chaque contenant est doté d’un symbole de consigne Loop, qui indique que l’emballage est rempli et réutilisé avec Loop. Le symbole est soit intégré au récipient lui-même, soit sur une étiquette qui peut être enlevée au lavage. Les étiquettes ne sont pas un problème, puisque de nouveaux emballages et de nouvelles lignes de production ont été développés pour soutenir le projet Loop.

Opportunité optionnelle de formats standard

La présence de marques est-elle incontournable pour rendre un modèle de consigne attractif ?

B. S. : Loop est une des solutions qui existent pour réduire les déchets. Elle passe par le partenariat avec les marques que les consommateurs connaissent et auxquelles ils font confiance. Mais le système Loop est aussi tout à fait envisageable avec les marques de distributeurs. Plusieurs enseignes partenaires de Loop travaillent à l’ajout de leur MDD dans l’assortiment de réemploi.

Devriez-vous vous orienter vers des formats et des types d’emballages standard pour compenser l’insuffisance éventuelle des retours de contenants ?

B. S. : L’idée est intéressante. Il nous semble important de laisser les marques, qui sont propriétaires de leurs emballages et connaissent leurs produits, libres de définir le format, le matériau, etc. Dans certaines catégories (les boissons par exemple), il est probable, et cela a du sens, que des emballages standard verront le jour, pour permettre à de nombreux fabricants, grands ou petits, de faire la transition vers le réemploi. Cela permettrait aussi de créer des synergies opérationnelles. En Allemagne, une grosse partie du marché des boissons suit le modèle de la consigne, et plusieurs formats de bouteilles continuent d’exister.

Une appli et des données

Quelles informations portent les contenants Loop ? Sur l’origine des produits, la recette, les conseils d’utilisation, l’impact environnemental, comment les consommateurs sont-ils informés ?

B. S. : Ce qui est partagé sur l’emballage du produit est à la discrétion des fabricants. Loop exige uniquement que le symbole de la consigne Loop figure sur l’emballage, afin de différencier le produit de son équivalent à usage unique et d’inciter le client à le retourner une fois vide.

Qui de Loop, des marques ou de l’enseigne partenaire exploite les données collectées par l’appli Loop (commandes, gestion de solde de consignes…) ?

B. S. : Les données collectées par l’application Loop sont la propriété de Loop.

Usages et profils divers

Avez-vous interrogé les consommateurs sur leur usage de Loop ? S’interrogent-ils sur le contenu du produit (dont ils pourraient croire qu’il est différent de celui vendu dans son emballage jetable traditionnel) ?

B. S. : Oui. Nous construisons Loop avec les consommateurs, au point central du processus de développement : en les faisant participer par diverses enquêtes, entretiens, groupes de discussion, etc. Ils sont de plus en plus désireux d’une transparence totale sur le contenu d’un produit, son origine et sa fabrication.

Quels sont les indicateurs de performance ?

B. S. : Les consommateurs sont encouragés à retourner les emballages, et les premiers mois montrent que cela fonctionne parfaitement. Il y a bien sûr des variations d’un produit à l’autre : les produits dont le cycle de consommation est court (par exemple le frais ou les boissons) ont des taux de retour excellents dès les premières semaines. D’autres produits, dont le cycle de consommation est plus long (produits de beauté ou d’entretien) connaissent un cycle plus long avant d’être retournés, ce qui est tout à fait logique.

Des consommateurs transfèrent-ils certains produits dans des contenants domestiques, par souci de restituer ensemble des contenants Loop vides, ou pour d’autres motifs ?

B. S. : Pour retourner les contenants plus rapidement, certains consommateurs le font. Mais il s’agit d’une minorité. La plupart aiment avoir des emballages beaux et uniques, développés par les marques et qui s’adaptent bien à leur intérieur.

Quelle est la durée de détention des contenants avant restitution ?

B. S. : Cela dépend des catégories de produits et du cycle de consommation. Nous avons un taux de retour très rapide pour les boissons. Les produits du garde-manger comme la pâte à tartiner ou l’huile, les consommateurs ont tendance à les conserver plus longtemps.

Un type de clientèle type se dessine-t-il ?

B. S. : Il est encore un peu tôt pour dessiner un type de clients, néanmoins ce que montrent de nos recherches en magasins, c’est l’intérêt porté à Loop par différents profils de consommateurs : des jeunes à la recherche de solutions innovantes pour l’environnement, des clients plus âgés qui ont connu la consigne et apprécient ce modèle qu’ils jugent plein de bon sens, ou encore des familles. L’objectif de Loop est d’attirer un large éventail de consommateurs. C’est pourquoi le développement de l’assortiment est clé.

Pragmatisme environnemental

Avez-vous mesuré les impacts environnementaux de votre modèle ? Où se situent les économies de Co2 ?

B. S. : La mission de Loop est d’éliminer les déchets d’emballages à usage unique. Cette mission environnementale nous a bien sûr amenés à étudier l’impact de la transition du jetable au réutilisable en matière d’émissions de carbone. Chaque produit a une analyse de cycle de vie (ACV) qui lui est propre et qui dépend d’un grand nombre de facteurs : emballage remplacé et nouvel emballage, lieu de production, distances parcourues… Dans la plupart des cas, le modèle du réemploi est vertueux rapidement, après quelques cycles de réutilisation, mais bien sûr des exceptions existent.

Un emballage consigné, à l’usage, s’use. Qu’en faites-vous ?

B. S. : La fin de vie de l’emballage fait partie des critères que les marques doivent respecter lorsqu’elles s’engagent avec Loop. Tous les contenants (métal, verre et plastique) doivent être recyclables en fin de vie.

Y a-t-il des matériaux exclus des contenants Loop ?

B. S. : Comme nous l’avons dit, Loop est agnostique sur le plan des matériaux. Aucun n’est exclu. Cependant, tous ceux de la plateforme doivent être durables, lavables et recyclables une fois en fin de vie.

Certains emballages peuvent-ils devenir des objets “collectors” ?

B. S. : Peut-être, mais ce n’est pas l’intention de Loop ! Notre intention est que tous les emballages soient utilisés et réutilisés dans le système autant de fois que possible.

[1] « Boucle ». https://loopparcarrefour.com.
[2] loopstore.co.uk.
[3] Fin de l’exclusivité avec Carrefour en juillet 2021 (NDLR).

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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