Vie des marques

Heineken-Matcha, innovation commerciale 4.0

13/03/2023

Par leur partenariat autour de l’expérience d’achat en ligne, le numéro un de la bière en France et une jeune pousse française inventent de nouvelles voies pour répondre aux attentes des consommateurs, qu’elles soient gustatives ou économiques. Entretien avec Anne Cubizolles, consumer connection manager chez Heineken, et Thomas Dayras, cofondateur et président de Matcha.

Heineken a mis en place un partenariat avec la startup Matcha afin de développer un nouveau service auprès des consommateurs, un caviste virtuel en bières : d’où est venue l’idée?

Anne Cubizolles : Cela fait environ dix ans que la catégorie bière est en croissance. C’est aujourd’hui un produit plus désirable mais aussi plus valorisé. Mais la conséquence, c’est la démultiplication du nombre de références, que ce soit dans les rayons des supermarchés ou sur les sites de drive des distributeurs. Face à la plus grande diversité de goûts, d’origines et de styles de bières, les consommateurs déclaraient trouver « assez difficilement » ce qu’ils recherchent dans le rayon bières, notamment en raison d’un choix trop important (35 %) et d’un manque de conseil (19 %) [1].

Quel est l’apport de cette initiative à l’expérience du consommateur ?

A. C. : Précisément de répondre à ces difficultés. Malty est un outil qui recommande une sélection de produits en fonction des critères de préférence des acheteurs, que ce soit sur le style de bière, la couleur ou le format. Aujourd’hui, près de 80 % des utilisateurs de Malty suivent le parcours proposé et obtiennent un conseil sur mesure, et environ un utilisateur sur cinq réalise un ajout au panier après avoir obtenu de Malty un conseil sur mesure. Ces chiffres témoignent de la pertinence de l’expérience et de la sélection proposée face à un besoin réel de conseil dans cette catégorie.

Et les avantages pour les enseignes partenaires ?

A. C. : Les enseignes cherchent à la fois à conseiller leurs clients pendant leurs courses, à les fidéliser grâce à des solutions innovantes ou différenciantes, et bien sûr à améliorer leur performance commerciale dans une catégorie qui se « prémiumise ». Malty, le caviste digital expert en bières, leur permet de répondre efficacement à tous ces enjeux.

Quel est l’apport de ce projet à votre relation avec les distributeurs partenaires Casino, Monoprix et Intermarché drive ? D’autres distributeurs sont-ils sollicités ?

A. C. : C’est clairement gagnant-gagnant. En mettant en œuvre Malty, nous contribuons à développer le chiffre d’affaires de nos clients dans le rayon bière mais également nos propres ventes. En tant que leader sur le marché de la bière en e-commerce depuis 2014, il est de notre responsabilité de constamment investir pour innover dans ces canaux et aider nos distributeurs à s’adapter aux attentes des acheteurs. Aujourd’hui, les rôles sont clairs : c’est Matcha qui propose cette solution aux distributeurs, et nous les accompagnons. Le succès de notre collaboration tient également au fait que les rôles sont bien définis.

Éviter de réinventer ce qui existe

Quelles sont les raisons pour lesquelles Heineken s’est orienté vers un développement avec un partenaire externe, plutôt qu’en interne ? Est-ce que c’est une pratique récurrente ?

A. C. : Lorsqu’un besoin d’innovation se pose, nous regardons principalement deux choses : avons-nous les ressources techniques et l’expertise en interne pour y répondre ou existe-t-il une solution similaire déjà testée et approuvée sur le marché ? L’idée étant de ne pas perdre de temps à recréer une solution existante et performante s’il y en a une avec laquelle nous pouvons imaginer créer des synergies pour une mise en œuvre et des résultats plus rapides.

Comment avez-vous choisi le partenaire ? Quels étaient les critères à respecter ?

A. C. : Nous avions la volonté de travailler avec une startup qui avait déjà développé et testé une technologie similaire à grande échelle, et Matcha avait une solution qui avait fait ses preuves et qui nous permettait de proposer rapidement à nos distributeurs un “minimum viable product” performant. Le choix de Matcha a également été guidé par cette vision commune du test & learn. Et cela fait presque trois ans que cela dure.

Dans le cas de Matcha, quelles sont les compétences qu’Heineken recherchait ? Que vous apporte cette collaboration avec cette start-up ?

A. C. : La force de Matcha était que sa technologie avait déjà été développée mais surtout qu’elle avait déjà été testée dans l’univers du vin et qu’elle avait fait ses preuves. Matcha avait donc du recul sur sa technologie, sur son déploiement chez les distributeurs, et une connaissance des problématiques consommateurs, similaires aux nôtres.

Marché français, startup française

Le fait que Matcha est une startup française est-il un critère important pour Heineken ?

A. C. : Oui, absolument. Bien que faisant partie d’une entreprise multinationale, nous avions besoin ici de collaborer avec un acteur ayant un savoir-faire et une connaissance précise de la distribution française, très spécifique. Cela aurait été clairement plus compliqué avec une startup moins au fait du tissu distributif français.

Comment le partenariat s’est-il mis en place ?

A. C. : Face aux interrogations des consommateurs de bière que nous avions identifiées, nous avons discuté de notre projet avec l’un de nos distributeurs afin de tester le concept. Emballé par notre proposition, il nous a alors parlé d’une solution existante sur le vin et qu’on pouvait imaginer répliquer au rayon bière. Tout est parti de là. Le fait que la genèse de cette collaboration soit issue d’une discussion avec un distributeur est très éloquent.

Cette collaboration a-t-elle nécessité une nouvelle organisation chez Heineken ? Quelles sont les fonctions impliquées dans le projet ?

A. C. : Malty est un outil à la croisée de plusieurs compétences. Chez Heineken nous avons eu besoin de mettre en place une collaboration entre les équipes marketing, digitales et trade marketing. Nous avons eu également besoin de notre expert en biérologie pour catégoriser au mieux les bières selon les besoins de nos consommateurs et leur apporter le meilleur conseil. Cette collaboration s’est mise en place lors de la création d’une product team chez Heineken, utilisant la méthode SCRUM [2] et travaillant sur plusieurs projets digitaux innovants. L’objectif commun : accélérer la création d’un minimum viable product qui corresponde au plus près aux besoins de nos consommateurs et de nos clients.

Quels ont été les obstacles à surmonter ?

A. C. : L’une des difficultés est de réussir à se positionner dans les roadmap d’intégration sur les sites de nos distributeurs pour pouvoir lancer rapidement. Les projets sont nombreux et les délais peuvent être longs. Mais les enjeux ne portent pas tant sur les aspects techniques du projet que sur notre capacité à faire adopter ce type de solutions encore très novatrices dans les habitudes des consommateurs.

Est-ce que votre collaboration s’arrête au développement ou s’étend à l’exploitation de l’outil ?

A. C. : Notre collaboration concerne toutes les dimensions d’amélioration de performances. Nous en discutons régulièrement : quels comportements observons-nous chez les acheteurs ? Comment adapte-t-on Malty ? Quelles priorités dans les développements ? Etc. C’est un ping-pong permanent.

Un outil anti-inflation

Quelle utilisation faites-vous des données consommateurs ? L’utilisation de la solution suppose-t-elle l’accès à des données personnelles ?

A. C. : Nous ne collectons que des données de session anonymes qui nous servent à améliorer l’expérience de l’utilisateur. Nous faisons évoluer Malty grâce aux aperçus de comportements d’achat des utilisateurs. Cela nous permet de revoir la catégorisation des bières conseillées et d’adapter notre offre aux besoins des consommateurs. Concrètement, notre réponse à l’inflation et à la hausse des prix de nos produits est d’avoir mis en place un critère de choix « Les accessibles », qui permet à l’acheteur d’avoir accès directement à une recommandation des produits les moins chers du rayon.

Quels sont les indicateurs de suivi du partenariat pour juger de sa pertinence et de sa viabilité ?

A. C. : Nous portons une importance toute particulière à la bonne collaboration avec Matcha. Nous souhaitons continuer à développer nos méthodes de travail avec les startup tout en servant nos objectifs de rentabilité. Tant que ces objectifs sont communs à notre entreprise et à Matcha, nous continuerons de faire grandir Malty à travers les plateformes de nos distributeurs.

Comment êtes-vous entré en contact avec Heineken ? Et pourquoi avoir choisi cette entreprise ?

Thomas Dayras : C’est Heineken qui a pris contact avec nous par l’intermédiaire d’une de nos enseignes partenaires, Intermarché. L’enseigne avait déjà activé le caviste digital Matcha pour son rayon vins et champagne, et nous a mis en relation.

Que vous apporte ce projet avec un grand groupe comme Heineken ?

T. D. : Ce type de projet de développement conjoint était une première pour Matcha. Autant le faire avec un des leaders de la catégorie bières en France, avec une équipe au sein du groupe dimensionnée pour ce type de projets entrepreneuriaux. Nous nous sommes rapidement appuyés sur leur connaissance du marché, aussi bien des consommateurs que des enseignes.

Par exemple, avez-vous des experts en biérologie formés par Heineken ?

T. D. : L’équipe Matcha inclut trois sommeliers, dont Pierre Vila Palleja, un des jeunes sommeliers français les plus capés. Nous avions donc déjà des armes pour développer cette version bières du caviste digital. Les experts bières d’Heineken nous ont aidés, dans une démarche de construction partagée.

Développez-vous d’autres projets avec des entreprises plus petites, des PME ?

T. D. : Matcha travaille avec des grands comptes, comme Intermarché, Carrefour, Casino, Monoprix, Lagardère Travel Retail, et avec des entreprises de taille plus modeste, notamment des pure players. Mais nous n’avons pas lancé d’autre projet comme celui avec Heineken.

Comment gérez-vous dans ce partenariat la question de la propriété des données ?

T. D. : Le caviste digital bières est déployé en e-commerce et en magasins des enseignes partenaires, qui nous confient leur flux produits (références, prix, stocks, promotions). Les enseignes restent propriétaires de ces données. Matcha conserve de son côté la propriété intellectuelle du service développé.

Quelle sont les obstacles que vous avez dû surmonter ?

T. D. : Assez peu en réalité, dans la collaboration avec Heineken France, car nous avions aligné nos méthodes de travail, pour réaliser d’abord un minimum viable product – une beta en quelque sorte – avant de prioriser et planifier des améliorations fonctionnelles. Le défi a plutôt été de rentrer rapidement dans les roadmaps d’intégration des distributeurs, qui sont parfois bouchées sur plusieurs mois.

Esprit startup, esprit intrapreneurial

La culture d’entreprise d’un grand groupe est-elle compatible avec celle d’une startup ?

T. D. : Je dirai que c’est moins une question de culture que d’état d’esprit. Les grands groupes sont moins agiles, moins rapides ; mais ils peuvent très bien mettre en place des équipes d’intrapreneuriat ou à dimension entrepreneuriale, pour mener rapidement et efficacement de nouveaux projets. Comme une startup cherche à le faire constamment. C’est la chance que nous avons eue en travaillant avec l’équipe qui s’est formée chez Heineken France.

Que vous a apporté votre expérience dans le domaine du vin ?

T. D. : L’univers du vin est le plus complexe, relativement à la bière ou aux spiritueux. Le fait d’avoir déjà une technologie opérationnelle, notamment pour comprendre de manière automatisée les cuvées de vins et champagnes, nous a grandement aidés à développer la solution pour la bière.

Existe-t-il des systèmes concurrents au vôtre ?

T. D. : Oui bien sûr. Mais plutôt dans l’univers vins et champagnes, qui est historiquement plus compliqué et anxiogène pour les consommateurs.

Pourquoi avoir choisi comme nom Matcha, nom d’une poudre de thé vert moulu, et Malty ?

T. D. : Les fondateurs de Matcha sont des amateurs de thé vert, c’était un clin d’œil hors de l’univers des boissons alcoolisées. Et un mot simple, très dynamique, presque tranchant. Malty, le nom du caviste digital expert en bières, fait en effet référence au malt de la bière.

1. Enquête Yougov « Les Français face au rayon bières » (2021)
2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Scrum_(d%C3%A9veloppement)

Propos recueillis par Idalgo d’Ambrosio et Jean Watin-Augouard

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