Entretiens

Médiation

Industrie-commerce, voies et moyens de la confiance

05/04/2022

Si des précautions s’imposent, la transparence des coûts promue par la loi est proconcurrentielle entre fournisseurs et enseignes. Les instances de médiation, observatrices et actrices de la discussion tarifaire, en favorisent le bon usage. Entretien avec Francis Amand, ancien médiateur des relations commerciales agricoles.

Les fabricants de marques multiplient les initiatives pour répondre à la demande de transparence et traçabilité accrues des consommateurs, nécessaire à la confiance. Cette transparence est-elle également nécessaire à la confiance entre distributeur et fabricants ?

Francis Amand : Chaque distributeur a besoin d’avoir une assurance raisonnable qu’il n’achète pas plus cher que ses concurrents et ne risque pas de se trouver hors marché. La transparence sur les coûts effectivement supportés par le fabricant est évidemment de nature à limiter ce risque et à assurer au distributeur que son fournisseur le traite équitablement. La clause de révision imposée par la loi pour tenir compte des évolutions significatives du prix des matières premières agricoles participe de cette recherche de transparence.

Le distributeur est également intéressé aux efforts de transparence engagés par les fabricants de marques à l’égard des consommateurs, pour valoriser au mieux les produits en rayon : un produit qui répond le mieux à la demande des consommateurs a une rotation plus rapide et accroît la rentabilité du magasin. Il y a ainsi une convergence entre les deux types de transparence.  

Acheteur et parfois concurrent

Quelles en sont les limites (droit de la concurrence, risque d’infractions à la propriété intellectuelle) ?

F. A. : Les limites à la transparence ne me paraissent pas tellement d’ordre juridique. Il ne peut y avoir d’infraction au regard de la propriété intellectuelle si le détenteur du droit en a librement concédé l’usage à un tiers, à condition toutefois que ce dernier n’aille pas au-delà de ce que le détenteur l’a autorisé à faire.

La transparence peut à l’inverse limiter la concurrence si chaque fournisseur connaît les coûts de ses concurrents et décide alors de ne plus exploiter son éventuel avantage compétitif. Par ailleurs, révéler ses coûts à son concurrent peut lui donner un avantage décisif. Et c’est encore plus vrai quand ce concurrent est un distributeur qui vend des produits à sa marque propre.

Mais la transparence sur ses coûts qu’un fabricant donne à tous ses clients ne limite pas la concurrence entre eux, et même favorise la concurrence à la revente en mettant tous les revendeurs sur un pied d’égalité.

Souci d’agir de bonne foi

Quel bilan tirez-vous des différentes médiations entre industriels et distributeurs qui vous ont été soumises ?

F. A. : Je rappellerai d’abord que les médiations dont j’ai été saisi concernaient des négociations annuelles qui n’avaient pu aboutir dans les délais fixés par la loi. Les parties à la médiation avaient le sentiment d’avoir été au bout des concessions possibles et de ne plus avoir de marges de manœuvre, compte tenu des contrats conclus avec les autres partenaires. C’est un paradoxe à relever : chaque intervenant recherche un résultat global sur son bas de compte, mais les négociations se font de manière éclatée avec chacun de ses partenaires sans grande visibilité du résultat final. Il en résulte un certain attentisme en début de négociation et des demandes inconsidérées en fin de négociation pour « rattraper » en partie les concessions déjà faites.

Le premier enseignement que je tire est que les parties n’étaient pourtant pas hostiles à essayer une dernière fois de trouver un accord sous l’égide d’un tiers, ne serait-ce que pour prouver leur bonne foi. Et de fait, elles ont joué le jeu, et un accord a pu être trouvé dans la quasi-totalité des cas.

Le deuxième enseignement est que la prise en compte du coût des matières premières n’est pas un sujet, du moins en niveau, car le prix convenu in fine le couvre dans la presque totalité des cas, si bien que la négociation commerciale porte pour l’essentiel sur les coûts propres de transformation du fournisseur et la valeur ajoutée qui reste aux industriels. On a eu ainsi quelques cas où l’augmentation de la valeur des achats ne couvrait pas totalement celle des matières premières, le client distributeur considérant qu’il revenait au fournisseur de financer une partie de cette dernière, par des économies de coûts. La loi Égalim2 devrait en principe éviter cela.

Le troisième enseignement est l’importance de la dégradation tarifaire entre le tarif proposé par le fournisseur et le prix convenu après négociation, sans qu’on puisse y trouver de véritable justification par l’évolution des services rendus par les distributeurs. Cela résulte évidemment de ce que la négociation du prix triple net part du prix triple net de l’année précédente, et non du tarif du fournisseur, diminuant la portée concrète de ce tarif alors même qu’il devrait être le « socle » de la négociation. En définitive, la médiation porte ainsi beaucoup plus sur la valorisation du plan d’affaires que sur la prise en compte des coûts allégués par les fournisseurs.

Rémunérer la performance en coûts

L’évolution législative vers une transparence des coûts et des prix de plus en plus poussée n’est-elle pas contradictoire avec le principe de liberté des prix et plus généralement du droit de la concurrence ?

F. A. : Le principe de liberté des prix vise à permettre à tout acteur du marché de fixer le prix qui lui permet de prendre la place de ses concurrents, et le droit de la concurrence vise à éviter que ces derniers le lui interdisent en exerçant une pression contraire, seuls ou par une entente. Ni ce principe ni le droit n’interdisent à l’acheteur de négocier son prix d’achat sur la base de l’information disponible sur les coûts de ses fournisseurs potentiels. La transparence est donc proconcurrentielle de ce point de vue.

Il y a toutefois un risque pour la concurrence si plus aucun fabricant n’est incité à améliorer ses coûts, s’il ne peut en tirer le moindre profit. Pour que la concurrence fonctionne en tant que système il faut bien que les acteurs les plus performants gagnent un peu d’argent ! Un excès de transparence peut de cet autre point de vue nuire à la concurrence.

N’y a-t-il pas un risque de transformer le médiateur en une partie prenante quasi automatique des négociations commerciales ?

F. A. : Le risque est limité, car le Médiateur des relations commerciales ne pourra jamais matériellement s’immiscer dans chaque négociation. Mais il serait à mon avis utile que l’esprit de modération, la capacité d’écoute, la recherche d’un compromis acceptable qui tienne compte des difficultés du partenaire commercial, toutes ces caractéristiques de la médiation, soient plus présents pendant les négociations. Cette mission de promotion de la médiation figure au demeurant au nombre de celles confiées au Médiateur, qui doit être en capacité de susciter des initiatives privées en la matière, par exemple au sein des organisations professionnelles.

Développer un réseau de médiateurs internes

Quel bilan faites-vous de l’utilité des médiateurs des enseignes ?

F. A. : J’en fais un bilan positif, justement, parce que ces médiateurs d’enseigne essaient d’amener leurs négociateurs à adopter plus souvent ces attitudes permettant une négociation gagnant-gagnant. Ce n’est pas facile, et le Médiateur des relations commerciales agricoles doit donc les soutenir, valoriser le plus possible leur action au sein des enseignes, en veillant notamment à ce que leur positionnement leur permette d’agir efficacement.

Faut-il selon vous renforcer les mécanismes de prévention et de médiation d’abord au sein des entreprises, industriels et distributeurs ?

F. A. : Absolument. Mais on ne pourra le faire que si chaque médiateur d’enseigne a l’assurance qu’il ne demande pas plus à ses négociateurs que le médiateur de l’enseigne concurrente. À cet égard, le cadre de transparence instauré par la loi Égalim2 devrait éviter que certains négociateurs ne formulent des demandes excessives qui enveniment la négociation. Par ailleurs, il serait utile que les médiateurs se rencontrent et puissent échanger de manière informelle, en réseau, notamment sur le cadre économique général dans lequel les négociations se tiendront ou la meilleure façon de présenter les propositions innovantes des industriels. Sur ce dernier point, la Médiation avait ainsi commencé à travailler sur la RSE.

Enfin, il me semble qu’il y aurait un grand intérêt à ce que des médiateurs fassent le même travail chez les industriels, pour apaiser les relations avec leur amont, agricole notamment.

Propos recueillis par Daniel Diot

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