Entretiens

Commercial

RSE, vue du box

15/06/2021

L’Ilec s’est demandé ce qui fait obstacle, dans la négociation commerciale des industriels de PGC avec la distribution, à la prise en considération par celle-ci des investissements RSE ayant engendré des surcoûts pour ceux-là. Témoignages* avec les directeurs commerciaux de quatre d’entre eux, Essity, Ferrero, Kellogg’s et SC Johnson.

Amélioration de la qualité du produit perçue par le consommateur (réduction des additifs, des teneurs en sucre, sel ou graisses, bien-être animal, présentation et facilité d’utilisation …) ; réduction de l’impact environnemental des matières premières, des produits ou de leur processus de production ou de transformation (réduction des intrants, agroécologie, gestion de l’eau, ingrédients bio, amélioration des emballages avec des matériaux biosourcés, biodégradables ou issus du recyclage…) ; approvisionnement auprès de fournisseurs locaux (matières premières agricoles, ingrédients, emballages…) et ancrage territorial (investissements sur sites en France…) ; revalorisation de l’amont agricole ; investissements non liés directement au produit mais ayant pu engendrer des surcoûts (amélioration consommation énergétique en usine, démarche environnementale en transport…) : quels domaines des investissements RSE, parmi les cinq ainsi résumés, vous paraissent le plus systématiquement refusés par l’acheteur en tant que composantes légitimes de la structure de coût ?

Sébastien Chauve, directeur commercial, SC Johnson : De manière générale, aucun des investissements RSE que l’on peut mettre en avant aussi bien en amont – la production, l’usine totalement autosuffisante en termes d’énergie, l’optimisation des formules, qui demande beaucoup d’investissement en R&D – qu’à l’aval – le conditionnement du produit, son emballage PCR [1] qui coûte plus cher que le plastique conventionnel – n’est valorisé par le distributeur. Il nous répond que ces investissements concernent notre stratégie d’entreprise, que c’est notre devoir de les financer et que le consommateur n’a pas à subir les possibles hausses de prix qu’il serait obligé de répercuter afin de conserver ses marges. Cette absence de création de valeur est un obstacle majeur à l’accélération de  nos investissements RSE.

Olivier Blangeard, directeur commercial, Essity France : Pour Essity, quatre des cinq domaines évoqués entrent dans notre approche RSE, à l’exception de la revalorisation de l’amont agricole, puisque Essity n’a pas de lien avec le monde agricole. Ces quatre points, au cœur de notre stratégie RSE, et à l’origine de surcoûts plus ou moins importants, ne renforcent en aucun cas notre capacité à « garder du net » lors de la négociation annuelle.

Céline Costes, directrice d’enseigne, Kellogg’s : Le principe même des investissements RSE visant l’amélioration continue de nos produits est systématiquement refusé par les acheteurs, partant du principe que ce n’est pas à eux de financer ce type d’investissement.

Simon Boulanger, directeur commercial, Ferrero : Par définition, des approvisionnements durables demandent un investissement bien plus important en matière d’achat de matières premières. Nous ne nous appuyons pas en particulier sur les domaines cités ci-dessus dans nos discussions avec nos clients, mais nous partageons avec eux les montants des investissements industriels en euros réalisés sur nos sites français.

Le métier commercial est-il assez informé des enjeux et formé à la « vente » de la RSE ?

Céline Costes, Kellogg’s : Non, mais nous y travaillons. Cette année nous avons mis en place un programme de formation à la stratégie RSE pour l’ensemble de nos collaborateurs, avec pour nos commerciaux des programmes spécifiques incluant podcasts et jeux de rôle.

Olivier Blangeard, Essity : Pour Essity, oui.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Non, et c’est pourquoi nous avons créé l’année dernière un poste de responsable de la RSE au sein de la direction commerciale. Elle a pour but de porter notre discours RSE à l’extérieur chez nos clients mais aussi en interne, car nous avons constaté un déficit d’information. Nous avons créé un jeu d’entreprise qui a permis de manière ludique à des équipes transversales et fonctionnelles de se confronter sur tous les piliers de notre stratégie RSE. Les gens s’approprient mieux la culture RSE par le jeu et la portent mieux auprès de nos clients et des parties prenantes. Le jeu était destiné aussi bien aux équipes siège qu’aux équipes terrain.

Simon Boulanger, Ferrero : Les équipes commerciales bénéficient d’un “Sales Pack” reprenant les éléments de différenciation Ferrero sur les engagements matières premières, emballage, lutte contre l’obésité, mais sans entrer dans les coûts économiques de ces engagements et de leur réalisation. Nous améliorons ce “Sales Pack” année après année, et nous focalisons sur son intégration par les équipes commerciales. Néanmoins, nous ne communiquons que rarement de manière proactive sur le sujet.

Intérêt relatif pour le “fabriqué in France”

Est-ce que l’argument France (production, emploi, ressources) est plus reconnu ?

Olivier Blangeard, Essity : En fonction des clients, nous avons entre 60 et 70 % de notre chiffre d’affaires réalisé avec nos sept sites de production et 2 500 salariés en France. Mais ces arguments ne pèsent pas dans la négociation annuelle.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Oui, il est plus valorisé par le distributeur. Nous lançons une nouvelle marque, Mrs Meyers, dont la production est localisée en France, en Normandie. Nous le mettons en avant, et cela a pu influencer positivement son référencement. Mais cet argument n’a pas d’impact sur la négociation des conditions commerciales. Ce qui prévaut chez le distributeur, c’est le fait que nous sommes un grand groupe et non que nous produisions en France.

Simon Boulanger, Ferrero : Nous produisons deux marques dans notre usine française : Nutella et Kinder Bueno. Les négociations avec nos clients sont mutualisées sur l’ensemble des dossiers Ferrero, indépendamment du lieu de production, et les demandes des clients, de même que nos propositions, sont globalisées. Nous ne valorisons pas les investissements sur nos sites français dans notre approche tarifaire, mais nous les mentionnons dans nos rendez-vous prénégociation, à tout niveau et dans nos premiers entretiens de négociation, comme un des éléments de la nécessité de maintenir un modèle de création de valeur pour les consommateurs, les distributeurs et Ferrero.

Est-ce que devant une augmentation de tarif, les clients vous demandent le détail, avec identification des investissements RSE, et quand vous pouvez le donner est-ce que ça facilite la discussion ?

Sébastien Chauve, SC Johnson : Non !

Simon Boulanger, Ferrero : Non, nous n’avons pas de demande des distributeurs sur ce volet.

Céline Costes, Kellogg’s : Les augmentations tarifaires sont toujours appréhendées sous l’angle évolution du prix des matières premières.

Olivier Blangeard, Essity : Aucune demande en ce sens ne nous a été formulée. Nous mettons en avant des arguments RSE, sans pour autant vouloir justifier la quote-part des coûts liés à la RSE.

Absence de stratégie d’achat responsable

La principale motivation du refus de prendre en considération des investissements RSE se fonde-t-elle uniquement sur le reproche d’un manque de transparence des industriels, ou sur d’autres griefs ?

Céline Costes, Kellogg’s : Manque de confiance dans la relation, pas de compétence pour négocier d’autres éléments que les éléments financiers, pas de mandat des directions pour le faire… Il n’y pas dans les enseignes, aujourd’hui, de stratégie d’achat responsable intégrant des critères RSE objectifs.

Olivier Blangeard, Essity : Non, il s’agit juste d’un contexte global PGC marqué par des années de déflation, à de rares exceptions près.

Simon Boulanger, Ferrero : Les seules demandes des distributeurs portent éventuellement sur les matières premières.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Le distributeur nous renvoie à notre « devoir » d’industriel. Nous ne détaillons pas nos coûts de production. Il nous est parfois opposé que nous ne mentionnons que nos surcoûts liés à une production plus responsable, mais que nous ne répercutons pas, à l’inverse, les économies de coût que l’on peut réaliser par ailleurs ; ils ne sont souvent pas comparables.

La discussion commerciale souffre-t-elle d’une déconnexion (ou d’intérêts divergents) dans l’enseigne entre l’achat et le marketing, la stratégie globale (acheter moins cher d’un côté, promouvoir une offre responsable de l’autre, etc.) ?

Simon Boulanger, Ferrero : Oui. Le fait de scinder les achats de l’offre (Intermarché) ou de recourir à des super-centrales n’ayant que des objectifs d’indice d’achat est un élément qui décorrèle les achats d’une vision économique plus large.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Oui, car il y a une contradiction entre la demande de baisse des prix de nos produits et les incitations à être plus vertueux en termes de développement durable sur ces mêmes produits.

Céline Costes, Kellogg’s : Le niveau d’intégration de la dimension RSE varie d’une enseigne à l’autre, surtout portée par la direction RSE qui n’est pas connectée aux autres fonctions, dont la fonction achats.

Olivier Blangeard, Essity : Oui, et durant la négociation, dans nos catégories, seul le prix 3 net est source de discussion.

Question de culture

Le refus de prise en considération des investissements RSE tient-il surtout à la culture et à la motivation financière des acheteurs ?

Olivier Blangeard, Essity : Oui, ainsi qu’à l’ensemble des équipes achats.

Simon Boulanger, Ferrero : Oui. Pendant la négociation, les acheteurs sont focalisés sur l’évolution de prix 3 net et sur les prix de marché (évolution des indices d’achat moyens des entreprises concurrentes), sans intégrer la spécificité de chaque entreprise.

Céline Costes, Kellogg’s : C’est lié à leur stratégie d’entreprise, à leur mandat et à leurs indicateurs clés de performance.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Il faut distinguer deux aspects : d’une part le manque d’intérêt pour la RSE de certains de nos interlocuteurs (certains autres ayant beaucoup de connaissances sur le sujet), et le fait que la motivation financière emporte tout. Nos discussions RSE ont lieu en général hors période de négociations.

Est-ce que l’intégration de vos démarches RSE dans la plateforme Valorise[2], si tel est le cas, facilite le dialogue et la visibilité de vos investissements RSE dans la négociation, et jusqu’au tarif ?

Céline Costes, Kellogg’s : Nous ne sommes pas certains de la bonne utilisation de part et d’autre.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Non. Nous avons intégré pour certains distributeurs nos démarches sur la plateforme Valorise sans qu’il y ait le moindre impact chez les acheteurs.

Est-ce que les problématiques RSE sont prises en compte par les centrales d’achat internationales (Eurelec, Lidl, Aldi, Amazon) ?

Céline Costes, Kellogg’s : Non jamais.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Très peu. C’est plus de l’affichage qu’une réalité.

Olivier Blangeard, Essity : Oui, et la RSE peut même être source de projets spécifiques avec les enseignes, les centrales locales ou internationales. En revanche, cela n’influe pas sur le résultat des négociations.

Répercutez-vous plus facilement vos investissements RSE dans les autres pays ?

Simon Boulanger, Ferrero : Oui, même si la démarche commerciale de Ferrero ne met pas en avant les négociations liées aux matières premières ni aux investissements RSE, quel que soit le pays.

Sébastien Chauve, SC Johnson : Il y est parfois possible de passer des hausses de tarif.

Céline Costes, Kellogg’s : Cela reste un sujet difficile pour tous.

Option tiers de confiance

Un tiers de confiance qui attesterait la réalité du surcoût RSE faciliterait-il la prise en considération des investissements RSE ?

Sébastien Chauve, SC Johnson : Pourquoi pas ? Cela faciliterait, car il y a toujours un doute sur la transparence des coûts en amont.

Céline Costes, Kellogg’s : Oui, certainement, pour ce qui concerne la confiance, la question d’un référentiel sera un sujet.

Simon Boulanger, Ferrero : Cela pourrait aider, mais nous ne sommes pas favorables au fait d’entrer dans une démarche d’analyse de la valeur complète de nos produits, intégrant coût des matières premières, coût industriels, investissement RSE. Cela aboutirait à terme à discuter de nos modèles économiques, intégrant soutien médias, frais de structure et marge ; notre modèle, largement communiqué auprès des distributeurs, s’appuie sur des investissement lourds (industriels, médias, force de vente), pour une croissance et une création de valeur profitables à tous.

Olivier Blangeard, Essity : Je pense qu’il n’y a rien à perdre à tester cette approche. Toutefois, quelle capacité aurions-nous à la mettre en place (lourdeur administrative, acceptation des clients etc.) ?

* Ces témoignages ont été recueillis séparément.
[1] “Post-consumer recycled” : plastique fabriqué à partir d’emballages à usage unique.
[2] https://valo-rise.com.

Propos réunis par François Ehrard

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