Entretiens

Carbone, le prix et la chose

27/04/2023

Une décarbonation fictive ? L’efficacité du système européen d’échange de carbone n’allait pas de soi, et il a tardé à convaincre de son efficacité. Un cap semble pourtant avoir été franchi, sous bénéfice d’inventaire. Et de précautions à prendre dans le déploiement des mesures carbone nouvelles, qu’il s’agisse d’émission ou d’absorption. Entretien avec Marc Baudry, professeur à l’université Paris Nanterre, laboratoire Economix*, et responsable du pôle « Tarification du CO2 et innovation bas carbone » à la Chaire Économie du climat**.

Dans quelle mesure le marché du carbone contribue-t-il effectivement à la réduction des gaz à effet de serre ?

Marc Baudry : La question est complexe. En effet, à première vue, l’essence même d’un marché de quotas est de fixer un plafond global pour les émissions de gaz à effet de serre que les entreprises doivent respecter. Les émissions couvertes par l’EU-ETS [1] baissent donc bien comme fixé par ce système d’échange. Il y a toutefois trois arguments pour dire que cette « décarbonation » peut être fictive.

Le premier, le plus immédiat, est celui des « fuites de carbone », c’est-à-dire que le surcoût de production induit par l’EU-ETS ferait que des produits importés se substitueraient à la production européenne ou que les entreprises européennes délocaliseraient leurs usines hors d’Europe. Autrement dit, l’EU-ETS ne ferait que déplacer les émissions de l’Europe vers d’autres régions du monde, sans résoudre le problème du réchauffement climatique, puisque les émissions resteraient les mêmes au niveau mondial, voire empireraient si les usines hors d’Europe sont moins performantes sur le plan environnemental. Toutefois, les études quantitatives publiées dans des revues académiques indiquent qu’il n’y a pas d’évidence empirique que de telles « fuites de carbone » aient eu lieu jusqu’à présent. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de délocalisations (la fameuse « désindustrialisation »), mais qu’elles auraient d’autres causes que la tarification des émissions de gaz à effet de serre (coût du travail, coût de l’énergie…).

Le deuxième argument mettant en doute la réalité de la décarbonation est qu’il faut raisonner par rapport à un contrefactuel : quelle aurait été l’évolution des émissions sans l’EU-ETS, plus exactement si aucune régulation des émissions n’avait été mise en place. Par définition, ce contrefactuel n’est pas observé, et les économistes doivent mettre en œuvre des travaux de modélisation pour le simuler. Toutefois, sans se lancer dans ces travaux complexes, on comprend aisément que la crise financière de 2008 (et surtout la crise économique qui a suivi) a provoqué une baisse des émissions par simple effet de ralentissement de l’activité économique. Autrement dit, même sans l’EU-ETS les émissions auraient baissé autour des années 2009-2010. C’est du reste en partie pour cela que les entreprises régulées se sont retrouvées avec un excès de quotas et que le prix de la tonne de CO2 est restée longtemps à un niveau désespérément bas. L’argument ne vaut toutefois plus pour les années récentes, surtout depuis 2018 où le prix connaît une tendance nettement haussière.

Changer ou non de paradigme

Le troisième argument est le plus complexe, mais il est très important dans le débat sur la décarbonation de l’économie européenne. Il consiste à distinguer deux types de baisse des émissions.

Le premier type est la baisse résultant d’un ajustement de la production consécutif à la hausse des coûts marginaux de production associée à la tarification des émissions. Cette baisse se fait à technologie inchangée et elle est réversible. En ce sens, elle ne correspond pas véritablement à une décarbonation de l’économie, car il n’y a pas de changement de paradigme technologique.

Le second type est la baisse obtenue grâce à un changement de paradigme. Il résulte d’investissements irréversibles dans des solutions techniques bas carbone. Mais les entreprises ne se lancent dans de tels investissements qu’à condition qu’elles soient sûres que le prix du carbone est durablement haut et ne risque pas de baisser une fois l’investissement réalisé, de sorte qu’elles regretteraient leur décision. Il faut donc non seulement que le prix soit élevé, mais aussi que les engagements politiques en faveur d’une régulation exigeante de l’EU-ETS soient crédibles et que la volatilité du prix dans l’EU-ETS soit faible.

Ces conditions n’ont longtemps pas été satisfaites, de sorte qu’il est très probable que les baisses d’émissions observées n’aient été que du premier type, et qu’il n’y ait donc pas encore eu de réelle décarbonation de l’économie européenne. La tendance haussière du prix (qui frôle actuellement 100 euros la tonne) depuis presque cinq ans peut laisser penser que la donne a changé. Mais on commence seulement à avoir le recul temporel suffisant pour mener des études économétriques permettant de le vérifier.

Un prix pour partie fonction des anticipations des entreprises

Comment ont évolué les prix du carbone depuis le début de la crise énergétique ?

M. B. : Le prix de la tonne de carbone est particulièrement résilient aux chocs subis depuis quelques années (pandémie, crise énergétique, invasion de l’Ukraine). Cela s’explique par le fait que la flexibilité intertemporelle offerte par l’EU-ETS (possibilité d’épargner des quotas pour les prochaines années) conduit les entreprises régulées à prendre leurs décisions d’abattement des émissions et d’achat ou vente de quotas en se projetant sur du relativement long terme. Leurs anticipations quant à l’avenir, notamment en ce qui concerne la politique climatique, jouent donc un rôle déterminant dans le niveau de prix observé aujourd’hui. Or la Commission européenne, depuis l’annonce du Green Deal voire depuis la mise en place de la MSR (Market Stability Reserve) [2], n’a jamais fléchi dans sa volonté de mener une politique ambitieuse en matière climatique. En témoignent les récentes décisions qui confirment le resserrement des règles de l’EU-ETS et la mise en place de l’ajustement carbone aux frontières. Les acteurs économiques considèrent donc ses engagements comme crédibles, ce qui limite l’impact des crises et des chocs de court terme. Et explique que le prix de la tonne de carbone poursuit sa tendance haussière commencée en 2018, et qu’il n’a jamais été aussi haut qu‘actuellement.

Le calcul du prix du carbone est-il assez robuste et partagé à l’échelon international pour fonder un signal prix sur l’ensemble des marchés dans les conditions de la crise énergétique ?

M. B. : Contrairement au cas d’une taxe carbone, dans le contexte d’un marché de quotas d’émissions échangeables comme l’EU-ETS il est impropre de parler de « calcul » du prix du carbone. En effet, le prix résulte d’un équilibre de marché et peut donc fluctuer en fonction des conditions de ce marché. Il s’agit toutefois d’un marché extrêmement particulier, car l’offre (les quotas alloués gratuitement ou par mise aux enchères) est contrôlée par le régulateur. En ce sens l’EU-ETS est beaucoup plus comparable au marché interbancaire (où la banque centrale contrôle l’offre de monnaie par sa politique de rachats d’actifs et où le « prix » en question est le taux d’intérêt interbancaire qui conditionne les autres taux d’intérêt) qu’à un marché de commodités.

Disparité durable des signaux prix

Une conséquence majeure est que, comme pour la politique monétaire, le niveau et la dynamique du prix dépendent étroitement de la politique menée. Ce sont donc les ambitions climatiques, leur crédibilité et les outils mis en œuvre pour l’asseoir qui assurent la robustesse du signal prix.

Si la Commission européenne a nettement gagné en crédibilité dans sa régulation de l’EU-ETS, rien ne garantit que ce soit vrai des régulateurs d’autres ETS à travers le monde (nationaux comme en Chine, en Nouvelle-Zélande ou en Corée du Sud, régionaux comme en Californie, dans des États de l’est des USA et au Québec). Comme pour les monnaies, il y a des pays ou groupes de pays qui mènent une politique rigoureuse, et d’autres moins regardants. Il semble ainsi que le récent ETS national chinois, lancé en juillet 2021 (différent des ETS pilotes mis en place au niveau local), a du mal à générer un signal prix crédible. Il est donc assez improbable qu’à court ou moyen terme on observe une homogénéisation du signal prix envoyé par les différents ETS mondiaux, et encore plus improbable qu’on parvienne à associer ces ETS pour générer un signal prix unique.

Les dissensus internationaux sur la valeur du carbone sont-ils aggravés par la crise ?

M. B. : Au sein de l’UE, quelques pays ont tenté de remettre en question l’EU-ETS en arguant que le coût du carbone pour le secteur électrique aggrave la hausse des prix de l’électricité, due rappelons-le à la hausse des prix du gaz naturel utilisé par les centrales électriques mobilisées en période de pic de la demande. Il s’agit de pays comme la Pologne dont le mix électrique est fortement carboné et qui sont historiquement assez opposés à l’EU-ETS. Mais cela n’a pas suffi à fléchir la politique de la Commission. Peut être aussi parce que le développement parallèle de la mise aux enchères des quotas génère des recettes qui sont pour partie directement reversées aux États (au prorata de ce qui est acheté par leurs entreprises) ou indirectement redistribuées via des fonds d’aide à l’investissement bas carbone. La Commission européenne a pu également justifier de maintenir le cap de la décarbonation en soulignant qu’à moyen ou long terme elle répond au besoin impérieux d’indépendance énergétique de l’Europe, tant vis-à-vis de la Russie que d’autres puissances.

Vis-à-vis des autres grandes aires économiques, on ne peut pas à proprement parler de dissensus aggravés. La Chine n’a pas remis en cause son ETS national, dont le périmètre est pourtant limité au seul secteur électrique, encore largement carboné, et des incertitudes sur la régulation de cet ETS planent, mais elles ne sont pas nécessairement le résultat direct de la crise énergétique. Du côté des États-Unis, les choses sont plus discutables. Alors qu’un projet de taxe carbone au niveau fédéral, couplé à un ajustement carbone aux frontières sur les importations et avec restitution pour les exportations, était en discussion en 2022, c’est finalement un soutien massif aux investissements bas carbone, avec préférence nationale, que l’administration Biden a mis en place avec l’Inflation Reduction Act (IRA). L’objectif affiché est bien de limiter l’inflation due à la hausse des prix sur les marchés mondialisés des énergies fossiles. Or cet IRA pose des problèmes de distorsion de concurrence et de compétitivité aux entreprises européennes. En ce sens, oui, la crise a potentiellement creusé le fossé entre les deux côtés de l’Atlantique.

Croissance probable de l’attractivité du bas-carbone

Des industriels très engagés dans la transition écologique déplorent que le retour sur investissement des réductions d’émissions soit faible ; au point que dans la conjoncture présente ils hésitent à les prolonger, accaparés par leur trésorerie à court terme. Par quelle politique augmenter le bénéfice court terme des stratégies de réduction ?

M. B. : Il faudrait préciser de quels industriels, de quels secteurs il s’agit. Pour une entreprise d’un secteur qui n’est pas couvert par l’UE-ETS [3], il n’y a pas de retour sur investissement directement sous la forme de la valeur des émissions évitées, telle qu’établie par le prix des quotas de l’UE-ETS. Mais avec un prix de la tonne de carbone qui ne fléchit pas et dépasse régulièrement 90 euros, pour ceux qui sont couverts par l’EU-ETS la rentabilité des investissements bas carbone a clairement bondi depuis plusieurs années. À moins que, comme je l’ai expliqué avec mon « troisième argument », ce ne soit la volatilité du prix qui reste trop élevée pour qu’ils s’engagent dans ces investissements. Mais des instruments sont discutés qui vont probablement être mis en place pour répondre à ce problème : les Carbon Contracts for Difference (CCfD), qui vont transférer le risque de fluctuation des acteurs privés vers les pouvoirs publics. Ce sont des contrats conclus entre l’entreprise et l’État : il sera donc techniquement possible d’appliquer ces CCfD à des acteurs non couverts par l’EU-ETS. L’attractivité des investissements bas carbone devrait donc croître.

Pour une “Banque centrale” du carbone

Sur quelle base une entreprise peut-elle établir sa « trajectoire carbone » au vu de l’objectif collectif « < 1,5° » si le prix du carbone est flottant ? Sont-elles portées à sous-estimer ce prix ?

M. B. : Le principal défaut d’une régulation par les quantités des émissions de carbone telle que l’EU-ETS est que le signal prix est passablement brouillé par les aléas affectant le marché du carbone. La Market Stability Reserve a pour fonction de limiter la volatilité, mais elle ne la supprime pas totalement, contrairement à qu’on aurait avec une taxe carbone. À l’inverse, une taxe carbone ne garantit pas que les objectifs de réduction des émissions seront atteints. Confrontés à une volatilité élevée du prix du carbone et donc de la rentabilité des investissements bas carbone, souvent irréversibles, les entreprises vont exiger une prime de risque élevée, augmentée d’une prime d’irréversibilité pour déclencher ces investissements, ce qui revient finalement au même que si elles sous-évaluaient le prix.

Il est donc fondamental de réfléchir à une politique qui confère une grande visibilité à la trajectoire de long terme du prix. Un certain nombre d’économistes dont je fais partie considèrent qu’une « banque centrale du carbone » chargée de la régulation de l’EU-ETS, comme la BCE pour la politique monétaire, pourrait améliorer les choses en la matière. Si ses statuts la rendent suffisamment autonome dans ses décisions au jour le jour, elle pourra réguler les mises aux enchères de quotas, de sorte à réduire la volatilité tout en maintenant le prix sur une trajectoire de long terme définie dans sa mission par le pouvoir politique.

Le pilotage « carbone » des entreprises est-il en pratique porteur d’un risque d’occultation des autres gaz à effet de serre ?

M. B. : Normalement non, car tout industriel formé à ces questions sait que le terme « carbone » (pour le pilotage comme pour le marché ou les quotas, ou l’empreinte) signifie en réalité « équivalent CO2 ». Pour certains secteurs, ce sont d’autres gaz à effet de serre qui sont les plus importants : en agriculture le méthane émis par les animaux d’élevage a un pouvoir de forçage (contribution à l’effet de serre) bien plus élevé que le CO2 par unité de volume émis…

Opportunité d’un “prix interne” des GES en entreprise

Face au risque que le marché de la donnée carbone se fragmente de par les exigences disparates de grands donneurs d’ordre au titre de leur « scope 3 », les pouvoirs publics songent-ils à encourager l’harmonisation des méthodes ?

M. B. : Pas à ma connaissance, c’est peut-être par défaut d’information de ma part, mais ce serait bienvenu qu’il y ait une homogénéisation, nécessairement au niveau européen.

Maximiser l’efficacité du signal prix pour les entreprises passe-t-il par une évolution des normes comptables, pour associer des indicateurs environnementaux aux indicateurs financiers (avec les notions de « double matérialité », « capital naturel », etc.) ?

M. B. : Le signal prix tel que généré par l’EU-ETS s’impose de l’extérieur aux entreprises couvertes par le marché du carbone, mais il est en effet important qu’elles parviennent à le répercuter en interne. Le mécanisme de prix interne du carbone est potentiellement intéressant pour y parvenir. Il s’agit d’un prix fixé par la direction de l’entreprise et qui s’impose en son sein pour toute décision. Ce mécanisme n’est pas sans rappeler la valeur tutélaire du carbone utilisée pour les investissements publics. Il permet de tenir compte des flux de carbone générés ou évités dans les décisions prises à tous les niveaux de l’entreprise et n’est pas sujet à fluctuation. A priori, il ne doit pas être fixé en deçà du prix de l’EU-ETS, mais il peut être fixé plus haut, si l’entreprise veut être plus ambitieuse. Le recours au prix interne du carbone ne nécessite pas de faire évoluer les normes comptables.

L’attractivité économique des énergies renouvelables est-elle vouée à être fragile ?

M. B. : La décarbonation de l’économie passe largement par une plus grande électrification, sous réserve que l’électricité utilisée soit produite de manière décarbonée. Il y a deux principales façons d’y parvenir : le nucléaire (mais encore faut-il bien regarder l’empreinte carbone tout au long du cycle de vie des centrales), sachant que les investissements en la matière sont très longs à porter leurs fruits ; et les énergies renouvelables, dont les capacités peuvent augmenter à beaucoup plus court terme. Leur attractivité ne me semble donc pas menacée, d’autant moins qu’elles contribuent à renforcer l’autonomie énergétique. Leur modèle économique est cependant susceptible d’évoluer, notamment avec le développement des technologies de stockage, dont le coût pourrait diminuer rapidement une fois l’impulsion de départ donnée.

Difficultés et pièges du “carbon farming”

Le trilogue européen a abouti à un accord sur les objectifs d’absorption de carbone [4]. Les politiques publiques sont-elles solidement orientées vers l’encouragement à développer des moyens en ce sens ?

M. B. : À l’inverse des émissions, l’absorption doit faire l’objet une rémunération, pour le carbone retiré de l’atmosphère au bénéfice de la collectivité. En soit, l’EU-ETS s’y prête bien, car il permet de facilement revendre sur le marché du carbone des certificats d’absorption.

Il faut toutefois faire attention à deux choses, et il n’est pas certain que les politiques publiques en la matière soient déjà au point.

Tout d’abord, à une garantie solide que les certificats portent sur de réelles absorptions. Faut-il par exemple que le statut des certificats émis par des forêts puits de carbone, qui existent déjà et captent donc déjà du CO2 tant qu’on ne les détruit pas, soit le même que celui des certificats émis pour de nouvelles installations de captage direct du carbone dans l’atmosphère, qui eux ont besoin d’une impulsion pour être rentables et déployés ?

Ensuite, aux garde-fous à mettre en place pour éviter de réitérer le problème des offsets auquel l’EU-ETS a été confronté vers les années 2010. Il s’agissait de certificats de réduction d’émissions associés à des investissements bas carbone effectués dans un pays hors Annexe I du protocole de Kyoto, c’est-à-dire pour l’essentiel des pays en développement (dont la Chine) ayant à l’époque encore peu contribué au cumul des émissions de GES. À l’époque, de nombreux certificats ont ainsi été émis dans le cadre de projets de fermes éoliennes en Chine et revendus sur l’EU-ETS, déstabilisant le marché et contribuant significativement à la baisse du prix, et à une moindre décarbonation en Europe. Or le principe d’un marché de quotas d’émissions est que l’offre de quotas soit sous le contrôle du régulateur. En réintroduisant une offre exogène de quotas, sous la forme de certificats d’absorption, comment va-t-on modifier la dynamique du signal prix ? Je ne suis pas du tout sûr que les pouvoirs publics en aient une idée claire.

Quelles seraient les perspectives ouvertes aux entreprises d’un éventuel marché des certifications des absorptions agricoles de carbone (“carbon farming”) [5] ?

M. B. : Outre les éléments de précaution que je viens de mentionner se pose ici la question de la mesure du niveau d’absorption et des coûts de transaction. En effet, il faudrait quantifier pour chaque agriculteur l’impact de ses pratiques en matière d’absorption, et surtout l’impact additionnel par rapport aux pratiques actuelles. Il faudrait par ailleurs que chaque agriculteur ait la maîtrise et la disponibilité nécessaires à la revente, au bon moment, de ses certificats.

Si le trading de certificats peut se faire aisément dans de grosses entreprises, ce n’est généralement pas le cas pour des PME (a fortiori des TPE) comme le sont la plupart des exploitations agricoles. Il est donc sans doute illusoire d’articuler des certificats issus du secteur agricole directement avec l’EU-ETS. Reste donc à inventer le mécanisme adéquat de rémunération des absorptions pour ce secteur, quitte à la lier indirectement au prix du carbone sur l’EU-ETS.

Risque à l’exportation

Le Parlement européen a aussi voté l’extinction progressive des quotas gratuits [6] pour l’industrie entre 2026 et 2034 : quelle pourra en être la portée incitative ? Et les risques économiques dans certains secteurs ?

M. B. : L’extinction progressive des quotas gratuits et leur remplacement par des mises aux enchères induit une charge financière nettement plus élevée pour les entreprises couvertes par l’EU-ETS. Prise isolément, elle incite à délocaliser les sites les plus affectés hors de l’Union européenne. Toutefois, cette extinction se fait en parallèle à la mise en place progressive du « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (MACF) [7] dont l’objectif est de corriger la distorsion de concurrence sur le marché européen entre entreprises européennes soumises à la tarification du carbone (EU-ETS) et la concurrence extra-européenne exempte d’une tarification comparable (ETS ou taxe). Encore que le MACF ne corrige la distorsion que pour les importations vers l’Europe, mais pas pour les exportations européennes hors d’Europe. Les secteurs très dépendants des exportations sont donc clairement les plus exposés.

* https://economix.fr/membres/?_chercher_un_membre=baudry
** https://www.chaireeconomieduclimat.org
[1] EU Emissions Trading System, système européen d’échange de quotas d’émission.
[2] https://climate.ec.europa.eu/eu-action/eu-emissions-trading-system-eu-ets/market-stability-reserve_en
[3] Les secteurs couverts par l’UE-ETS sont les installations de combustion, les raffineries de pétrole, les fours à coke, la cogénération d’énergie, la sidérurgie, la fabrication de ciment, verre, chaux, briques, céramique, pâte à papier et papier. Le secteur de l’aviation est également couvert, mais avec un régime assez spécifique.
[4] Pour la période 2026-2030, les absorptions devront dépasser les émissions et chaque État aura un objectif contraignant pour 2030. Pour la France, 34 046 kt d’équivalents CO₂
[5] Défini par la Commission européenne, dans son projet de texte encadrant la certification des absorptions de carbone comme une « activité d’élimination du carbone liée à la gestion des terres, qui entraîne une augmentation du stockage du carbone dans la biomasse vivante, la matière organique morte et les sols, en améliorant la séquestration du carbone ou en réduisant la libération de carbone dans l’atmosphère ».
[6] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20230414IPR80120/le-pe-adopte-cinq-textes-cles-pour-atteindre-l-objectif-climatique-de-2030          
[7] Ibidem.

Propos recueillis par François Ehrard

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