Entretiens

Attractivité

Un enjeu de souveraineté

26/04/2024

Les réformes encadrant les relations commerciales ont vocation à participer de la politique industrielle, pour soutenir un secteur des PGC où l’attente du “Fabriqué en France” est forte, traditionnel mais engagé dans des transitions de pointe. Entretien avec Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie.

La réindustrialisation de la France est une priorité revendiquée du président Macron et des gouvernements successifs depuis 2017. Quelles ont été les principales mesures depuis sept ans en la matière et leurs résultats ?

Roland Lescure : La part de l’industrie dans le PIB français a reculé de 12 points en un peu plus de quarante ans et nous avons perdu un million d’emplois dans l’industrie entre 2000 et 2017.  Or nous ne pouvons pas avoir un modèle social fort et soutenable en désindustrialisant.

C’est la raison pour laquelle, depuis 2017, nous inversons cette tendance. La réindustrialisation apporte des emplois de qualité dans nos territoires et constitue le meilleur chemin vers le redressement de notre balance commerciale.

Sur l’ensemble du quinquennat 2017-2022, l’emploi salarié privé dans l’industrie a progressé de 2,1 %, avec la création de 100 000 emplois industriels et un solde net de trois cents nouvelles usines. Nous devons amplifier cette dynamique : si l’on poursuit ces efforts, on aura réparé les conséquences de la crise financière et du décrochage post-crise financière à l’horizon 2027.

Quelle part revient à l’attractivité du territoire pour les investissements étrangers, dans la réindustrialisation de la France ?

R. L. : En 2022, pour la quatrième année de suite, la France était le pays le plus attractif d’Europe, avec 1 259 nouveaux projets d’investissements. Elle conservait notamment la plus haute marche du podium pour l’accueil des projets industriels, avec 547 projets recensés. Donc l’attractivité du territoire joue un rôle crucial dans la réindustrialisation du pays.

Le ministère de l’Industrie et de l’Énergie est-il un acteur de Choose France ?

R. L. : Le sommet Choose France est un événement créé par le président de la République quelques mois après sa première élection. C’est devenu, au fil des années, un rendez-vous majeur pour les investisseurs étrangers. Le ministère de l’Industrie et de l’Énergie est l’un des acteurs importants de ce sommet. Plus de la moitié des investissements annoncés au sommet Choose France de 2022 permettront à la France de se positionner au cœur des chaînes de valeur de la production d’équipements dans les filières des énergies renouvelables et décarbonées ainsi que des véhicules électriques.

Constat peu surprenant du mauvais climat commercial

Le 21 décembre dernier, des représentants de l’Ilec et d’EY vous ont présenté le premier baromètre de l’attractivité de la France pour les industries de la grande consommation (agroalimentaire, hygiène-beauté, articles de bureau, entretien). Le constat dressé a-t-il été une surprise ?

R. L. : Ce premier baromètre fait état d’une perte d’attractivité de la France dans le secteur des produits de grande consommation. Les principales causes de cette perte d’attractivité sont, selon les dirigeants interrogés, le niveau des marges plus faibles qu’ailleurs, et la qualité des relations commerciales.

Je n’ai pas été tellement surpris par le constat soulignant la mauvaise qualité des relations commerciales. C’est malheureusement quelque chose de connu. C’est la raison pour laquelle le gouvernement actionne tous les leviers en sa possession pour améliorer le climat des négociations commerciales, en tenant des comités réguliers avec l’ensemble des parties prenantes au niveau des ministres, grâce au rôle joué par le Médiateur Thierry Dahan, ou grâce aux lois dites Égalim, que j’ai votées lorsque j’étais président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale et dont nous veillons à mieux assurer l’application sur le terrain. Le gouvernement vient par ailleurs de lancer un chantier pour améliorer les dispositifs Égalim. Une mission a été confiée à deux parlementaires. Nous cherchons aussi à porter ces dispositifs au niveau européen.

Néanmoins, rien ne se fera sans la détermination de tous les acteurs d’aller également dans ce sens, et de travailler à des solutions collectives innovantes et créatrices de valeur.

Relance des “Territoires d’industrie”

Quelle place occupe ce secteur des « PGC » dans la politique industrielle du gouvernement. En quoi son déficit d’attractivité est-il préoccupant du point de vue des pouvoirs publics ?

R. L. : Les filières industrielles des biens de consommation constituent une opportunité industrielle et peuvent avoir des retombées importantes en termes d’emploi, de préservation des savoir-faire dans les territoires et d’environnement.

Ces filières ont été fortement soutenues pendant la crise sanitaire. Les industries de biens de consommation – hors agroalimentaire – ont par exemple reçu un soutien financier d’environ 125 M€ avec le plan d’investissement France Relance. Ces industries continuent aujourd’hui d’être accompagnées, avec un certain nombre de dispositifs pilotés par BPI France, la Banque des territoires ou les chambres de commerce et d’industrie.

C’est notamment pour aider cette filière à gagner en compétitivité et à accélérer les transitions énergétique et écologiques que le gouvernement a décidé de poursuivre le programme « Territoires d’industrie » lancé en 2018, avec une offre de services repensée. Ce programme permet de mettre en avant cette industrie, plus traditionnelle, qui se modernise, qui se décarbone, et qui enrichit nos territoires.

Au-delà de ces dispositifs d’accompagnement, la valorisation des biens de consommation fabriqués en France se fait aussi grâce à la commande publique et aux labels. Je suis convaincu que le « Fabriqué en France » n’est plus une accroche marketing mais une tendance de fond, portée par une demande croissante de consommateurs attentifs à la traçabilité sociale et environnementale de leurs produits.

Parmi les industries de grande consommation, le gouvernement accompagne particulièrement la filière agroalimentaire, avec l’objectif de renforcer notre autonomie stratégique. Il a présenté l’année dernière un plan de soutien et de souveraineté pour accélérer les transitions, renforcer la compétitivité et soutenir la création de valeur au cœur de la chaîne alimentaire¹. La principale mesure de ce plan consiste en la création d’un fonds public-privé dont la cible est de 500 M€ et qui visera notamment à consolider les entreprises de la filière et à les aider à se moderniser et à se robotiser davantage. Ce fonds sera prochainement opérationnel.

Opportunité industrielle de la décarbonation

Ce secteur est-il plus ou moins attendu que les autres dans les transitions écologiques (décarbonation, déchets, transport, etc.) ? Avec quel accompagnement des pouvoirs publics ?

R. L. : Impératif écologique, la décarbonation de notre industrie est aussi une opportunité pour réindustrialiser notre pays. L’ensemble des filières, notamment celles des biens de grande consommation, sont concernées.

Nous accompagnons la transition écologique de nos industries, notamment avec le programme France 2030, doté de 54 milliards d’euros, qui consacre 50 % de ses dépenses à la transition écologique et énergétique. Nous avons également su en moins d’un an signer avec les cinquante sites les plus émetteurs de CO2 – parmi lesquels des sites agroalimentaires – des feuilles de route qui les engagent dans une transformation de leurs procédés de production. Il s’agit désormais de mettre en œuvre ces feuilles de route.

Il est essentiel que l’ensemble des filières industrielles amplifient leurs efforts de transition écologique et énergétique, même celles qui ne sont pas forcément les plus émettrices de CO2. Certaines filières de la grande consommation ont déjà élaboré, ou sont en passe de le faire, des feuilles de route de décarbonation et de sobriété hydrique. Malheureusement parfois, l’atomisation des acteurs de certaines filières – je pense à l’ agroalimentaire notamment – les empêche d’avancer rapidement dans ces défis majeurs. C’est dommage, et j’appelle tous les acteurs à travailler de concert pour accélérer.

La France peut-elle recouvrer sa souveraineté alimentaire sans les investissements sur son territoire des grands groupes internationaux de PGC ?

R. L. : Les investissements des grands groupes internationaux de PGC contribuent sans nul doute à notre souveraineté alimentaire. J’espère qu’il y aura, cette année encore, de belles annonces pour le sommet Choose France !

1. https://www.economie.gouv.fr/plan-soutien-industrie-agroalimentaire        

Propos recueillis par Antoine Quentin

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