Vie des marques

Carambar & Co, “made in France” et excellence

17/09/2020

La volonté de faire renaître des marques patrimoniales françaises de confiserie : un défi, dans un contexte concurrentiel préjudiciable à la création de valeur. Entretien avec Thierry Gaillard, président de Carambar & Co.

Quelle est votre appréciation, près de deux ans après l’adoption de la loi Égalim, sur les retombées de ses dispositions intéressant directement les relations industrie-commerce, majoration du SRP et encadrement promotionnel ?

Thierry Gaillard : La loi Égalim partait de postulats corrects et était ambitieuse dans ses objectifs. Avec deux ans de recul, à l’exception de quelques catégories en lien direct avec l’agriculture, les relations avec les distributeurs ont peu évolué. Les demandes systématiques de baisses de prix restent la règle, quels que soient la situation économique propre à chaque entreprise, l’évolution des coûts ou les investissements, par exemple en matière de RSE. En revanche, on commence à sentir une prise de conscience collective quant à la nécessité d’évoluer vers des discussions plus constructives. Le chemin vers plus de création de valeur commune est long, restons optimiste.

Quelles sont dans votre métier les conséquences des pressions déflationnistes qui prévalent dans le secteur agro-alimentaire depuis plusieurs années, en termes de R&D, d’investissement, d’emploi ?

T. G. : Les demandes de déflation, systématiques et transversales, à toutes les catégories et à toutes les entreprises sont une hérésie, puisque globalement les coûts des entreprises, des matières premières aux rémunérations en passant par l’énergie, les coûts de transport, les coûts de transformation ou de distribution, ne baissent pas. Déflation rime avec érosion continue des marges donc des capacités d’investissement dans les hommes, les sites industriels, l’innovation ou la RSE.

Après le rachat en mai 2017 à Mondelez de ses marques de confiserie[1], Carambar & C [2] a relocalisé géographiquement, en inaugurant en novembre 2018 de nouvelles productions de chocolats Terry’s[3], à Strasbourg. Déflation et relocalisation, c’est compatible ?

T. G. : Le projet Carambar & Co est effectivement de sauver de belles marques patrimoniales françaises, longtemps délaissées, de les fabriquer localement, en France, avec l’ambition d’imaginer et de commercialiser des produits bons sur le plan gustatif et bons car plus naturels ou moins sucrés. C’est pour nous une volonté forte, un vrai parti pris. Mais cela reste un défi au quotidien, car les coûts de main-d’œuvre chargés sont deux à quatre fois plus élevés qu’en Espagne ou qu’en Pologne où étaient fabriqués certains de nos produits.

9 000 emplois indirects, en plus de 1 300 directs

Comment la décision de relocaliser a-t-elle été prise ?

T. G. : Nous avons dès le départ choisi de racheter des sites en France et de relocaliser la production. Un actionnariat privé incluant une bonne partie de managers de l’entreprise, reprenant de belles marques françaises, fabriquées en France, voilà l’essence du projet de l’ETI Carambar & Co.

Quelles autres productions que Terry’s avez-vous rapatriées en France ? Toutes les marques sont-elles maintenant fabriquées en France ?

T. G. : Nous avons relocalisé aussi bien du chocolat que des poudres chocolatées ou des bonbons pour la France ou l’export. Nous sommes aujourd’hui en mesure de déclarer avec fierté qu’à de rares exceptions près nos marques sont made in France.

Avez-vous construit un nouveau site industriel, ou étendu un site existant avec de nouvelles lignes de production ?

T. G. : Nous n’avons pas de nouveaux sites. En revanche, un peu plus de 30 M€ auront été investis pour relocaliser des productions réalisées auparavant dans d’autres pays et moderniser nos usines.

Combien Carambar & Co représente d’emplois directs et indirects ?

T. G. : Nous employons directement 1 300 personnes en France dont plus de mille dans nos sites de production. L’emploi indirect est estimé à 9 000 personnes. Nous avons également recours à de la main-d’œuvre intérimaire sur nos sites de production, en fonction de la fluctuation de notre activité, mais aussi à des groupements d’employeurs qui permettent de faire bénéficier d’un emploi en CDI des personnes dont nous partageons le concours avec d’autres entreprises de nos bassins d’emplois.

Avez-vous reçu un soutien public pour faire face au coût de l’investissement ?

T. G. : Non, nous n’entrions pas dans les critères requis, à l’exception du crédit impôt-recherche, puisque nous avons relocalisé également nos deux centres de R&D.

Avantage concurrentiel théorique

Le « fabriqué en France » crée-t-il un avantage concurrentiel sur le marché français ? Et international ? Plus de fidélité des consommateurs ?

T. G. : Question intéressante et difficile. Toutes les enquêtes montrent un intérêt grandissant pour le local avec même une amplification liée à la crise du Covid-19. En théorie, le fabriqué en France devrait constituer un avantage concurrentiel. Dans les faits, les consommateurs ne sont pas prêts à acheter plus cher, même justifié par le fabriqué en France. Cela nous oblige à être chaque jour plus compétitifs en termes de coûts.

La distribution a-t-elle bien accueilli votre initiative ? L’avez-vous communiquée auprès des consommateurs ?

T. G. : Le projet Carambar & Co, à savoir l’ambition d’investir dans le « mieux manger, plus naturel » et une fabrication française, a été accueillie très favorablement, mais… nous butons désormais sur cette pression sur les prix, qui nous limite dans nos capacités à investir.

La relocalisation élargit-elle les possibilités de mutualisation (transport, par exemple) avec d’autres industriels ?

T. G. : Je dirai plutôt que le coût d’une fabrication locale nous oblige à améliorer notre compétitivité, à imaginer des solutions. La mutualisation, de la logistique par exemple, a été un levier d’économies et un facteur d’amélioration de notre service aux clients.

Est-ce un atout pour attirer les talents ? Les salariés sont-ils plus fiers de fabriquer français ?

T. G. : Effectivement, le « cocktail » Carambar & Co est attractif : une ETI française, des marques emblématiques, une fabrication locale, un vrai engagement en matière de RSE… C’est aussi au quotidien beaucoup de liberté d’initiative et d’action ; nous voulons être un peu l’antithèse de certains grands groupes internationaux – sans aucune critique bien entendu, puisque j’y ai fait mes armes.

Relocaliser permet-il de mieux maîtriser la chaîne de valeur ? La R&D ? La traçabilité des fournisseurs ? L’empreinte environnementale ? Envisagez-vous relocaliser une partie de vos approvisionnements ?

T. G. : Ce sont des sujets auxquels nous attachons beaucoup d’importance et nous maîtrisons toute notre chaine de valeur des achats à la mise en marché. Au-delà de la relocalisation en France de la R&D et de la production, nous nous efforçons d’acheter de plus en plus localement, la plus grande partie de notre sucre et notre lait notamment.

Pas de recettes mieux-disantes sans y mettre le prix

Quel est l’effort de votre R&D en matière de qualité nutritionnelle (colorants naturels, ingrédients, bio, additifs) ?

T. G. : Développer des innovations et revisiter les recettes de nos produits historiques avec l’ambition d’en faire des produits bons gustativement et bons parce que plus naturels ou mieux-disants est ce qui nous guide depuis le début de l’aventure Carambar & Co. Nous avons fait des avancées considérables sur ces sujets depuis trois ans, avec des lancements comme Poulain Bio, Poulain moins 30 % de sucre, Poulain au lait végétal, Kréma et Lutti Bio, sans gélatine animale… Cela reste une ambition fortement mobilisatrice en interne.

L’attente de produits plus responsables est-elle sensible chez les consommateurs en confiserie ? À quelles conditions de prix (chez les consommateurs mais aussi pour la distribution) ?

T. G. : Autant se dire la vérité, il est aujourd’hui extrêmement difficile sinon impossible de développer et proposer des recettes mieux-disantes, de remplacer par exemple la gélatine animale par de la pectine de fruits, de remplacer les colorants et arômes artificiels par des ingrédients végétaux, de proposer des variantes bio, de remplacer une partie du sucre par des fibres, sans avoir la possibilité d’augmenter nos prix. Ces recettes coûtent plus cher, c’est une réalité.

Quels sont les enjeux de la robotisation et de la digitalisation pour une industrie agro-alimentaire comme la vôtre ?

T. G. : Fabriquer localement, en France, avec des coûts salariaux chargés nettement plus élevés et des impôts de production également plus élevés qu’ailleurs, sans pouvoir réellement le répercuter dans nos prix nous oblige à travailler avec l’obsession des coûts. Automatisation, digitalisation, simplification, massification sont des voies de travail pour nous.

[1] Carambar, Malabar, Terry’s, Lutti, Kréma, La Pie qui Chante, les pastilles Vichy, Rochers Suchard, Michoko, Poulain, Lutti, Dulciora.
[2] Détenue par le fonds Eurazeo avec une participation minoritaire du management. La marque a changé de nombreuses fois de propriétaire : en 1965 la Générale alimentaire rachète l’entreprise ; en 1980, Carambar est acquis par Danone ; il est repris par le britannique Cadbury en 1998, puis par Kraft Foods en 2010, devenu Mondelez International en 2012.
[3] Des chocolats jusqu’alors produits en Pologne et en République tchèque.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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