Vie des marques

Pernod Ricard, une RSE globale

23/09/2020

La préservation des terroirs et l’économie circulaire sont des piliers de la feuille de route mondiale du groupe de spiritueux. Des objectifs ambitieux échelonnés jusqu’à 2030. Entretien avec Jean-François Roucou, directeur de la performance durable groupe, Pernod Ricard

Pernod Ricard est la seule entreprise du secteur des vins et spiritueux à être, depuis 2018, membre du Pacte mondial des Nations Unies[1]. A-t-il des responsabilités particulières qui l’engagent de manière singulière ? Son internationalisation (90 filiales) rend-elle le groupe encore plus vigilant ?

Jean-François Roucou : Pernod Ricard est membre du Pacte mondial des Nations unies depuis 2003 et travaille avec d’autres entreprises à des initiatives en faveur du développement durable. Notre engagement est continu dans deux plateformes d’action : rapport sur les objectifs de développement durable des Nations unies et travail décent dans les chaînes d’approvisionnement. En tant que groupe décentralisé présent dans soixante-treize pays, et possédant un portefeuille de marques mondiales, il est essentiel pour nous de disposer d’une orientation et d’une vision claire et que nos activités aillent toutes dans la même direction. Notre feuille de route RSE intitulée “Good Times from a Good Place” va dans ce sens. C’est une stratégie qui soutient directement les objectifs des Nations unies, fondée sur les souhaits et les besoins des consommateurs, intégrée à notre modèle d’entreprise et à son agenda mondial. Elle garantit son engagement à aborder les principaux sujets mondiaux : biodiversité, agriculture durable, droits de l’homme, formation pour préparer l’avenir, achats responsables, santé et sécurité, emballages et objets promotionnels durables, consommation responsable d’alcool, etc. Elle comporte un plan adopté par toutes les filiales, avec des objectifs pour 2030 et des étapes en 2022 et 2025. Elle est soutenue par une structure de gouvernance solide.

Cette feuille de route 2030 a pour objectifs « préserver nos terroirs ; valoriser l’humain ; agir circulaire ; être responsable ». En quoi a-t-elle enrichi celles de 2010 et de 2013 ?

J.-F. R. : Les versions précédentes étaient spécifiquement orientées sur l’environnement. Nous venons de clôturer notre feuille de route environnement 2010-2020 avec succès pour nos sites de production, avec des baisses de 23 % de la consommation d’eau (objectif de 20 % ), de 33 % des émissions de CO2 (objectif 30 % ), et de 95 % de déchets en décharge. Cela nous a donné une base solide pour notre feuille de route 2030. Pour celle-ci, nous avons tenu à prendre en compte de manière cohérente l’ensemble des aspects stratégiques de la responsabilité sociétale, à savoir l’environnement – qui reste un enjeu majeur avec les piliers « préserver nos terroirs » et « agir circulaire » – mais également les sujets sociaux, traités notamment dans les piliers « valoriser l’humain » et « être responsable ».

Par ailleurs, nous avons considérablement relevé le niveau d’ambition dans chacun des domaines de la feuille de route. Ainsi, nous allons engager chacune des 90 filiales du groupe dans des projets de protection de la biodiversité, ou dans le domaine du climat. Nous allons réduire l’ensemble de nos émissions de CO2 directes (celles de nos sites) ou indirectes (les produits achetés) d’un facteur 50 % en intensité. C’est considérable. Ce niveau d’ambition est la troisième différence avec nos engagements précédents : ils sont devenus des objectifs stratégiques majeurs, totalement portés par le haut management, et revendiqués auprès de tous nos parties prenantes, qu’il s’agisse des investisseurs, des salariés, des fournisseurs ou de la société civile.

Agriculture régénérative

La préservation des terroirs concerne quelle superficie, combien de vignobles ?

J.-F. R. : Notre action sur les terroirs concerne bien entendu les vignobles, que nous exploitons via nos filiales. Ils représentent 5 600 hectares dans huit régions viticoles très diverses : Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine, Californie, Espagne, et bien sûr les vignobles de Cognac et de Champagne. Dans ces régions, nous voulons jouer un rôle de leader en mettant sur pied de nouveaux systèmes de production viticoles réellement durables, conformes à notre vision de l’agriculture régénérative : une agriculture qui contribue à améliorer l’état du sol et à y fixer du carbone, à enrichir l’écosystème et à développer la biodiversité. Nous utiliserons pour cela nos propres vignes comme des terrains d’expérimentation et de démonstration, afin de les partager avec tous les viticulteurs qui nous livrent leurs vins.

Au-delà des vignobles, nous nous engageons dans la même direction dans toutes nos filières agricoles majeures, pour avoir un impact positif et développer des pratiques durables d’une agriculture résiliente. Cela concerne au total 270 000 hectares, de céréales (blé, orge, maïs…), betterave, canne à sucre, agave, ou de cultures aromatiques comme le café ou la noix de coco.

Quelles mesures prenez-vous pour la décarbonation de la production et de l’amont agricole ? Quels objectifs vous fixez-vous ?

J.-F. R. : Notre ambition globale est de réduire de 50 % l’intensité carbone de nos activités entre 2018 et 2030. L’amont agricole est une partie majeure de notre empreinte carbone, avec les emballages, la logistique et la distillation. Il est trop tôt pour évaluer de combien nous pourrons réduire l’empreinte de l’amont agricole. Cela nécessitera la mise en œuvre de différents leviers, comme le recours à une énergie renouvelable pour la motorisation, l’utilisation de formes d’engrais moins émissifs, ou la fixation de carbone dans les sols. Cet objectif est très ambitieux car il passe par la collaboration avec des milliers d’agriculteurs. Nous sommes persuadés que le monde agricole est conscient de cet enjeu, et prêt à s’engager dans cette transition. C’est une nécessité.

Combien d’agriculteurs sont associés à cette feuille de route ? Doivent-ils suivent une charte particulière ? La traçabilité des matières premières agricoles est-elle maîtrisée ?

J.-F. R. : Nous sommes en train de procéder au recensement détaillé de tous nos « terroirs », et à l’évaluation des enjeux. Chaque terroir est spécifique, il y a des différences énormes entre un bassin de céréaliculture du nord de l’Europe, un vignoble arménien issu de la privatisation familiale d’anciennes coopératives d’État, ou un village de petits producteurs de café de la région de Vera Cruz au Mexique. Au total, cela représente des milliers de familles et 276 000 hectares de terres agricoles. En termes de traçabilité, nous avons une idée assez précise de ces zones de production, dans une trentaine de pays où nous sourcons les principales matières premières de nos vins et spiritueux. En effet, la grande majorité de nos marques sont associées à des appellations d’origine contrôlées, ou sont ancrées depuis leur origine dans des terroirs agricoles locaux où elles puisent leur qualité et leur spécificité, par exemple la vodka Absolut, issue du blé dur cultivé exclusivement dans le sud de la Suède, à proximité de la distillerie. Chez Martell, nous collaborons avec 1 200 vignerons pour engager des initiatives de viticulture durable. Le travail en cours consiste à en identifier aussi précisément que possible les enjeux en matière de biodiversité, d’eau, de climat, de sol, de conditions de travail, de droits de l’homme… Au terme de ce travail, nous serons en mesure d’identifier les actions prioritaires.

Bouteille en papier

En termes de nouveaux produits pour le consommateur, comment votre stratégie environnementale s’illustre-t-elle ?

J.-F. R. : L’innovation est une composante essentielle de la transformation de notre industrie. Il s’agit soit d’innovation sur les procédés de production, par exemple pour adapter les procédés de distillation à un objectif de neutralité carbone ou développer des pratiques agricoles moins dépendantes des pesticides, soit de nouveaux emballages écoconçus, 100 % circulaires ou utilisant moins de ressources naturelles. La première n’est pas perceptible pour le consommateur, mais elle demande un effort de recherche et des investissements importants. La seconde offre aux consommateurs des produits différents, et l’invite aussi à faire évoluer sa façon de consommer et sa perception de la marque. Par exemple, avec son projet de « bouteille en papier », The Absolut Company vise à développer un emballage 100 % renouvelable qui nous amène à reconsidérer la façon de produire, marketer et consommer les spiritueux ; le prototype de cette bouteille en papier est en phase de test, avec un lancement auprès de consommateurs prévu pour novembre.

Un industriel de PGC dont les contenants sont en verre a-t-il néanmoins l’opportunité d’agir en faveur de la réduction des déchets plastiques ? Depuis 2018, vous interdisez l’usage de pailles et mélangeurs à cocktails en plastique lors des événements promotionnels. Y a-t-il dans ce domaine d’autres actions envisageables, de votre chaîne d’approvisionnement à la diffusion de vos produits ?

J.-F. R. : Nous utilisons effectivement peu d’emballages en plastique, mais nous ne devons négliger aucune piste d’amélioration. Le PET représente environ 1 % des matériaux d’emballage utilisés par les marques du groupe. Nous devons nous assurer que ce matériau est recyclable (ce qui implique de respecter certaines règles sur les colles, les encres, les colorants, etc.), mais nous demandons également à nos fournisseurs d’incorporer de plus en plus de matériau recyclé (rPET) dans la fabrication des emballages. Et nous avons pour objectif d’atteindre 25 % de rPET en 2025. Nous travaillons également à privilégier des monomatériaux et à éviter les poches plastiques multicouches, difficiles à recycler, ainsi que les autres composants en plastique (calages, bouchons, protections). Enfin, en dehors des emballages sont associés à nos marques des objets publicitaires ; notre objectif est « zéro objet publicitaire en plastique à usage unique » en 2021.

Nous estimons à plus de 99 % la part de nos emballages qui sont recyclables ; ils sont majoritairement en verre. Mais nous nous engageons à atteindre l’objectif de 100 % d’emballages recyclables, compostables, réutilisables or biosourcés en 2025. À cette fin, nous avons adressé des directives à nos filiales, fondées sur les « 5R » (rethink, reduce, reuse, recycle, respect), visant les emballages et les objets promotionnels. Nous misons aussi sur la collaboration avec nos fournisseurs et nouons des partenariats, par exemple depuis 2018 avec la Fondation Ellen MacArthur New Plastics Economy[2].

Écosystèmes industriels

Quelles solutions avez-vous mises en place pour réduire les déchets sur vos sites de production ?

J.-F. R. : Ces sites génèrent principalement des déchets non dangereux (99 % du total) et certains déchets dangereux (1 % ). Au nombre des premiers, les déchets d’emballages (verre, papier, carton et plastiques), ceux issus de la transformation des matières premières agricoles non valorisées sous forme de sous-produits (marc de raisin, tiges, sédiments, etc.) et les déchets issus des activités du site (boues d’épuration, déchets de bureau, déchets verts, etc.). Les déchets dangereux sont liés au fonctionnement des sites : contenants de produits chimiques, huiles usagées, solvants, déchets électriques et électroniques, néons, piles, etc. L’ambition de Pernod Ricard est de minimiser les déchets à la source et de tendre vers zéro déchet en décharge dès 2020.

La clé pour atteindre ces objectifs est le tri à la source et la ségrégation des déchets, l’élimination de certains déchets et la recherche de filières de recyclage et de valorisation appropriées pour les déchets restants. Cela nécessite aussi de former le personnel et de mettre en place l’infrastructure de bacs de collecte dans les usines. Les déchets en décharge ont ainsi diminué de plus de 95% entre 2010 et 2020. En Suède, les vinasses de la distillerie d’Absolut alimentent directement les élevages porcins de la région d’Ahus dans le cadre d’un véritable écosystème industriel qui contribue à nourrir 250 000 porcs et 40 000 vaches tout au long de l’année. En France, la société Revico valorise en biogaz les vinasses issues de la production des distilleries de cognac Martell & Co. Pour les déchets dangereux nécessitant une filière de traitement spécifique, le groupe continuera à identifier les procédés de traitement appropriés localement.

Comment comptez-vous équilibrer votre consommation d’eau dans les bassins à risque ?  

J.-F. R. : Dans un premier temps, il est essentiel de réduire au maximum la consommation des sites situés dans des zones géographiques où l’eau constitue une ressource sensible. Ainsi, les sites de production en Inde ont réduit leur consommation d’eau de 50 % depuis 2008. Ensuite, l’idée est d’identifier un projet par lequel nous pouvons générer des économies d’eau, ou restituer au milieu local (écosystème ou communauté) des volumes d’eau quantifiables, qui doivent correspondre au moins au volume consommé par nos activités industrielles.

Nous avons commencé ce programme il y plusieurs années en Inde, dans la région très sèche du Rajasthan, par la construction de bassins collinaires permettant soit de recharger la nappe, soit de fournir en eau les communautés villageoises. Les programmes peuvent également consister en projets d’adduction d’eau pour des villages isolés, ou de restauration de zones humides ou de bassins forestiers dégradés, permettant d’augmenter leur capacité de stockage. Après l’Inde, nous étendons progressivement ce programme à d’autres pays où l’eau est une ressource critique : Mexique, Arménie ou Australie.

Nouvel état d’esprit dès la conception du produit

Comment se décline l’ambition d’« agir circulaire » dans la conception de vos produits, avec quelles techniques et pour quel ordre d’investissement ?

J.-F. R. : Le modèle de la consommation à usage unique a atteint ses limites. De nouveaux modèles doivent émerger pour réduire la pression sur les ressources naturelles, la circularité est l’une des priorités du groupe. Produire de façon circulaire nécessite un changement d’état d’esprit lors de la conception des produits, et les investissements font partie intégrante de cette transformation. Pernod Ricard engage depuis 2019 toutes ses filiales à appliquer les « 5R » dès la conception du produit : commencer par repenser l’emballage, l’optimiser en réduisant au maximum les matières premières utilisées, s’assurer de sa recyclabilité et de l’origine des matières premières ; pour le produit, s’assurer d’un processus circulaire avec réutilisation de l’eau consommée, diminution de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 associées, valorisation des déchets, etc. Absolut vodka a ainsi réduit le poids de sa bouteille de 13 % et en a augmenté de 45 % le pourcentage de verre recyclé, alimente des élevages bovins et porcins avec les sous-produits du processus de distillation, collecte le CO2 issu de la fermentation afin qu’il soit réutilisé dans d’autres industries, utilise 100 % d’électricité d’origine renouvelable et a atteint la neutralité carbone de sa production.

Depuis décembre 2019, le groupe est membre de RE100[3], une initiative mondiale menée par The Climate Group[4] qui rassemble 221 entreprises internationales engagées pour une électricité 100 % renouvelable. Quels sont vos objectifs ?

J.-F. R. : L’objectif est d’atteindre 100 % d’électricité d’origine renouvelable en 2025. Cela concerne nos quatre-vingt-dix sites de production et les bureaux de nos filiales dans plus de soixante-dix pays. Les moyens peuvent varier. En Inde, nous avons investi dans la pose de panneaux photovoltaïques sur les toitures (5 000 m2) de nos bâtiments industriels ; en Australie aussi, où les sites de production comptent plus 10 000 panneaux solaires (plus de 2,5 MW). Dans d’autres pays, nous avons signé des contrats d’approvisionnement en énergie solaire, éolienne ou hydraulique. Ainsi, tous les sites de Chivas Brothers, d’Irish Distillers Limited et tous les sites français utilisent de l’électricité d’origine renouvelable.

Nous en sommes à environ 71 % d’électricité renouvelable sur l’ensemble du périmètre, 74 % pour les seuls sites industriels. Pour aller plus loin, nous étudions la possibilité de souscrire un PPA (power purchase agreement : « contrat d’achat d’énergie ») qui nous engagerait avec un investisseur dans le cadre d’un projet de génération d’électricité renouvelable. Nous pourrions l’utiliser pour couvrir les besoins de plusieurs filiales dans une même région.

[1] “Global Compact Lead”, https://www.unglobalcompact.org/take-action/leadership/gc-lead.
[2] https://www.ellenmacarthurfoundation.org/our-work/activities/new-plastics-economy.
[3] https://www.there100.org/companies.
[4] https://www.theclimategroup.org.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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