Vie des marques

Fleury Michon, la RSE pour boussole

22/06/2021

Faire bouger les lignes. Une singularité de cette entreprise familiale depuis sa création en 1905. Historiquement reconnue pour son engagement pour le « mieux manger », elle continue de développer des initiatives vertueuses pour les consommateurs, les territoires, les salariés, les filières et la planète. Entretien avec Barbara Bidan, directrice de la communication et de la RSE, Fleury Michon.

Quelles répercussions la crise sanitaire et ses confinements ont-ils eues sur les ventes du groupe en 2020 ?

Barbara Bidan : Contrastées selon les activités : l’activité GMS, 90 % de nos ventes, a vu ses volumes progresser de plus de 8 %. La charcuterie, le traiteur de la mer – avec notre produit phare, le surimi –, ainsi que nos plats cuisinés conditionnés en barquette bois ont affiché de belles performances. En revanche, le catering aérien long courrier a baissé de 47 % et la livraison de plateaux repas a souffert du télétravail. Le chiffre d’affaires du groupe est stable.

Dans quelle mesure cette crise a-t-elle modifié les attentes des consommateurs ?

B. B. : La crise de la Covid-19 a plus accentué que révélé les tendances de fond que nous observions depuis un certain temps. Si la recherche d’approvisionnements plus locaux, de produits plus sains et meilleurs pour la planète n’est pas nouvelle, elle s’est amplifiée. Par ailleurs, la consommation digitale a accéléré avec le drive, où nous avons progressé de 47 %. Nous avons néanmoins vu apparaître une demande croissante de produits plus accessibles. En effet, la crise a amplifié la fragmentation de la société française et cette question de l’accessibilité est devenue centrale. Ce constat a conforté un des axes de notre stratégie libre-service : répondre à tous les archipels de consommation, c’est-à-dire proposer des produits répondant à tous les critères et attentes, avec toujours la garantie de la qualité Fleury Michon en matière de goût, de nutrition et de filières.

Votre logo affiche « Maison familiale et vendéenne depuis 1905 ». Quelle importance accordez-vous à cet ancrage ?

B. B. : Fleury Michon est la troisième des marques nationales alimentaires les plus vendues en France. Nous sommes une entreprise de taille intermédiaire (ETI) vendéenne et familiale, dirigée par la cinquième génération. Notre nouveau logo réaffirme qui nous sommes et d’où nous venons, nos racines. Dans la charcuterie, Fleury Michon est la dernière ETI familiale. Ce statut assure une vision à long terme, une pérennité, sans la contrainte d’afficher des résultats à très court terme.

À quoi tient la décision de renommer votre filière « J’aime » en « Filière française d’éleveurs engagés » ?

B. B. : Nous avons souhaité préciser le positionnement de la gamme « J’aime », lancée en 2015. Si le nom change, la filière demeure, avec des engagements plus lisibles envers les éleveurs – une cinquantaine – et le travail mené en commun. Le cahier des charges de la filière est spécifique en matière d’alimentation animale – sans OGM – et de pratiques d’élevage – axées sur le bien-être animal. Depuis 2015, nous y avons intégré un bilan environnemental. Nous collaborons avec deux partenaires – Avril pour le porc et Terrena pour la volaille –, qui élaborent les cahiers des charges et les vérifient. Plus largement, nous travaillons aux côtés de l’Association étiquette bien-être animal (AEBEA), pour proposer aux consommateurs un étiquetage du niveau de bien-être animal selon un principe similaire à celui du Nutri-Score. Nous travaillons également avec l’association Welfarm, engagée dans la protection des animaux de ferme.

Création d’une filière de porcs bio français

En quoi cette « filière française d’éleveurs engagés » se distingue-t-elle des filières « de qualité » ?

B. B. : Le travail avec les filières a commencé dans les années 1970 avec le Label rouge. À l’époque, Fleury Michon était la première entreprise à mettre en avant ce label. Au fil du temps, l’entreprise a continué à s’engager, s’associant avec un certain nombre de filières et devenant membre fondateur de Bleu-Blanc-Cœur [1].Nous avons lancé le premier jambon bio en 2004, quand la demande n’était encore que frémissante.

Notre dernière initiative est le lancement en 2020 d’un élevage pilote bio en plein air de trois cents truies, à Théligny, avec Vallégrain [2], un partenaire dont l’activité couvre l’élevage, l’abattage, la découpe et la transformation pour les bouchers-charcutiers. Nous avons monté cette initiative en deux ans pour répondre à la demande croissante de porcs bio français, alors qu’auparavant nous nous fournissions beaucoup au Danemark, faute de viande française disponible. Avec notre élevage de Théligny, nous souhaitons créer un modèle économiquement viable, avec une exploitation en plein air. Nous sommes à 50-50 dans le projet Vallégrain Développement, mais nous n’avons pas vocation à y demeurer. Notre objectif est d’accompagner le lancement de cette initiative, puis de transmettre le capital à de jeunes éleveurs. À notre échelle, nous leur apportons sécurité et visibilité. Cet élevage doit à terme assurer tout l’approvisionnement de la gamme bio et responsable.

La « Filière française d’éleveurs engagés » se singularise pour sa part par une alimentation sans OGM et sans traitements antibiotiques. Chaque filière porte des promesses spécifiques, qui correspondent à des demandes de consommateurs différentes, certains choisissant le label, d’autres le bio.

Prime à la qualité pour les éleveurs

Le cahier des charges a-t-il été enrichi depuis sa création en 2015 dans le sens d’un renforcement des contraintes ? Si oui, ont-elles eu une incidence sur les coûts supportés par les éleveurs ?

B. B. : Chaque fois que nous créons une filière, nous proposons à nos éleveurs une démarche de progrès par étapes. Sur la qualité, nous allons plus loin que la réglementation, ce qui a bien sûr un coût. Aussi, pour mieux les accompagner, nous versons aux éleveurs une prime à la qualité – qui a augmenté de 25 % depuis 2015. Nous avons également intégré à notre cahier des charges un axe portant sur la gestion environnementale des élevages, avec une série d’indicateurs sur les économies d’eau et d’énergie.

Les éleveurs reçoivent-ils une formation spécifique ? Particulièrement dans le bien-être animal ?

B. B. : Il s’agit d’un sujet très important pour Fleury Michon. Cet enjeu est au cœur de notre projet d’entreprise, « Aider les hommes à manger mieux chaque jour », constitué autour de cinq axes : nutrition, filière, environnement, salariés et territoires. Nous pensons qu’en favorisant les filières de qualité et en travaillant avec les parties prenantes concernées à améliorer le bien-être animal, nous contribuons à faire progresser les filières d’élevage. Concernant les adhérents de la Filière française des éleveurs engagés, ils suivent des formations assurées par leur groupement : les éleveurs de porcs avec le Groupe Avril et ceux de volailles avec Terrena. Ces formations couvrent notamment la question du bien-être animal.

Comment les mettez-vous en valeur dans vos campagnes publicitaires ?

B. B. : Nous l’avons fait lors du lancement de la gamme « J’aime », avec notamment l’opération « Venez vérifier », qui répondait aux questions de transparence en proposant aux consommateurs de visiter les élevages. Si nous avons voulu faire évoluer l’emballage et le nom de la gamme, nous n’avons pas pour l’instant de projet d’opération, compte tenu du contexte sanitaire.

Les céréales utilisées dans vos élevages proviennent-elles toutes de France ? Quelle est la part de votre approvisionnement en porc bio hors de France ?

B. B. : Les céréales et le colza utilisés pour l’alimentation des porcs de notre gamme de jambon Bio et responsable viennent exclusivement de France. L’offre de viande de porc bio a évolué positivement. En 2017, nos approvisionnements français représentaient seulement 2 %, ils atteignent aujourd’hui entre 20 et 30 %.

Innovation globale autour de la barquette en bois

Que représente le bio dans vos filières de qualité ? Quelle est sa part dans les ventes ?

B. B. : Notre ambition est double et nous y répondons avec deux gammes. Avec la gamme « Simplement bio », nous souhaitons rendre le bio accessible au plus grand nombre. Avec notre gamme « Bio et responsable », distinguable par sa barquette en carton, nous souhaitons contribuer au développement de la filière bio française – la viande est issue en majorité de notre élevage en plein air de Théligny. Au total, nos filières de qualité – Label rouge, bio et Filière engagée – représentent 12 % des volumes du groupe.

L’adoption de la barquette en bois en remplacement du plastique pour votre gamme de recettes ne se heurte-t-elle pas à l’absence de filière de recyclage ?

B. B. : L’absence de filière de recyclage constitue effectivement un enjeu pour cette barquette en bois, lancée il y a dix-huit mois pour révolutionner le marché du plat cuisiné. Fleury Michon a investi 7 millions d’euros dans un nouvel atelier qui permet de cuire les produits en cuisson ouverte, alors que traditionnellement un plat cuisiné est conditionné dans une barquette en plastique, operculé avec un film lui aussi plastique, puis pasteurisé. Avec la nouvelle barquette en bois qui passe au four, nous avons changé de technologie, supprimant l’opercule plastique – ce qui permet de nous rapprocher du fait maison, grâce par exemple au gratinage de nos recettes. Nous avons voulu allier le goût à l’écologie grâce au bois. Nous avons travaillé avec un fournisseur du Jura, qui s’est engagé dans une démarche de reboisement : ainsi, pour chaque arbre coupé, un autre est replanté.

Il est vrai qu’aujourd’hui le bois ne fait pas partie des matières recyclables. Nous avons donc travaillé avec Citeo et le syndicat des emballages légers pour faire bouger les lignes. À la fin de l’année, les produits aujourd’hui classés « autres matériaux » chez Citeo deviendront des matériaux non transformés issus de ressources renouvelables et gérées durablement avec des filières de recyclage. C’est une évolution qui va dans le bon sens.

Trois ans de travail pour des conditionnements en verre

Quelles sont vos ambitions dans la réduction du plastique ?

B. B. : La protection de l’environnement est un de nos axes RSE, avec deux objectifs : réduire l’impact environnemental de nos usines (eau, carbone) et réduire l’usage du plastique. Sur ce deuxième volet, nous sommes parvenus à une baisse de six mille tonnes en dix ans grâce à l’utilisation de plus de matière première recyclée (pour le jambon, 25 % du plastique est recyclé). Cette réduction est aussi le résultat du lancement des barquettes en bois, qui ont permis une économie de plastique de 80 % et une réduction de soixante-dix tonnes en un an et demi.

Aujourd’hui, nous travaillons également sur le verre, autrefois considéré comme un matériau à risque dans les usines agroalimentaires pour des raisons de sécurité. Nous avons donc revu tous nos procédés sécurité et qualité, pour dans du verre proposer des plats cuisinés, dont ceux signés Joël Robuchon, qui étaient commercialisés dans des contenants en grès. Pour cette innovation, nous avons travaillé trois ans en partenariat avec notre fournisseur Verallia. Enfin, notre jambon « Bio et responsable » est maintenant proposé dans un emballage composé en partie de carton, qui permet de réduire de 60 % l’utilisation de plastique.

Afficher sur l’emballage et dans les campagnes publicitaires cette nouvelle filière renforce-t-il l’attachement des consommateurs à la marque ?

B. B. : Cela y contribue, mais tous les consommateurs ne souhaitent pas les mêmes produits. Depuis deux ans, nous avons réalisé un travail d’écoute auprès de sept mille consommateurs pour mieux comprendre la réalité du marché. Il en ressort une France « archipellisée », et notre enjeu, en tant que troisième des marques les plus choisies par les consommateurs, est de s’adresser à chacun de ces archipels. Faire de Fleury Michon non pas une marque élitiste, mais une marque du quotidien.

Triplement du budget de formation

Votre stratégie RSE est-elle aussi une manière d’aider les hommes à « produire mieux chaque jour » ? Quelles sont vos formations en interne ?

B. B. : Oui, bien sûr. Pour avoir un bon produit, il faut non seulement avoir une matière première de qualité, mais aussi des salariés engagés ; de même que des éleveurs impliqués et reconnus. C’est le quatrième axe de notre projet d’entreprise, sans lequel elle ne peut croître de manière pérenne. La qualité de vie au travail est fondamentale, qualité non seulement sur le plan de la sécurité, pour, avoir selon notre programme « ensemble zéro accident » grâce à des règles de sécurité draconiennes, mais aussi sur celui des formations régulières. Autre aspect : la formation professionnelle.

Si nous n’abritons pas d’école en interne, nous avons développé des parcours métiers personnalisés dans l’entreprise, pour permettre la mobilité professionnelle grâce à l’acquisition de nouvelles compétences. Nous avons également des coachs d’entreprise pour soutenir le parcours individuel des salariés. Et nous avons construit des parcours d’intégration pour les nouveaux, afin qu’ils découvrent les valeurs et les métiers de l’entreprise [3], ils sont assurés par des tuteurs-parrains. L’ensemble représente soixante mille heures de formation cette année et le budget formation a été multiplié par trois depuis deux ans. La crise sanitaire a accéléré la création de catalogues de formation en ligne. Nos efforts de formation expliquent en partie la fidélité de nos salariés, car l’entreprise donne des perspectives de carrière et d’évolution individuelle.

Voyez-vous poindre de nouveaux métiers ?

B. B. : Oui, dans les domaines de la maintenance des machines, du numérique – pour converser avec nos consommateurs –, de la technologie de pointe – car de nouvelles machines apparaissent –, mais aussi de la cybersécurité. Nous conjuguons des savoir-faire traditionnels, charcutiers, cuisiniers, et modernes.

Parvenez-vous à intégrer dans vos négociations commerciales vos surcoûts en RSE ?

B. B. : Sujet ô combien important ! Au-delà de la nouvelle loi en préparation, nous souhaitons œuvrer et construire avec nos partenaires de la grande distribution dans le domaine de la RSE, car nous partageons une même dynamique et devons faire face à des enjeux de société communs. Pour mieux faire connaître nos avancées à nos partenaires distributeurs, nous avons lancé une campagne en ligne intitulée « Dans le bon sens ». Il s’agit de la traduction concrète des actions de notre entreprise : une entreprise en phase avec les évolutions de la société, qui accompagne les changements sans les précipiter.

Souhaitez-vous devenir entreprise à mission ou adopter le statut B Corp ?

B. B. : Ce n’est pas à l’ordre du jour. Si nous ne sommes pas statutairement une entreprise à mission, nous nous en approchons au travers de nos cinq axes RSE, des missions de notre projet d’entreprise et de notre raison d’être, formalisée en 2015 avec « Aider les hommes à manger mieux chaque jour ». Nous répondons ainsi à la question : à quoi doit contribuer l’entreprise Fleury Michon dans la société ?

[1] https://bleu-blanc-coeur.org.
[2] Partenaire depuis longtemps pour le jambon Label rouge de Fleury Michon.
[3] Trois mille huit cents personnes travaillent chez Fleury Michon, dont deux mille sept cents en Vendée.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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