Vie des marques

Carambar&Co ou la relocalisation réussie

31/03/2022

Quand une ETI fait le choix industriel de la France, elle doit compter avec des coûts salariaux plus élevés voire des pénuries de main-d’œuvre. Dans une catégorie hautement concurrentielle, Carambar&Co en a fait le pari en s’appuyant sur les acteurs locaux. Entretien avec Thierry Gaillard, président-directeur général de Carambar&Co.

Combien de sites, usines et centres de R&D comptez-vous en France, et leur enracinement local est-il ancien ? Chacune est-elle consacrée à une marque en particulier ? Toutes vos marques [1] sont-elles made in France ?

Thierry Gaillard : Carambar&Co compte cinq sites en France, trois sites de production de confiserie, à Bondues, Saint-Genest-d’Ambière et Vichy, et deux usines de chocolat, à Blois et Strasbourg. Nous avons également créé en 2018 deux centres de R&D, l’un pour le chocolat, l’autre pour la confiserie. L’ancrage local de nos marques est ancien. Poulain, par exemple, est fabriqué à Blois depuis 1848 et nous y effectuons le conchage [2] de notre propre chocolat. Strasbourg, l’usine historique de Suchard, fabrique les célèbres Rochers ainsi que la marque Terry’s pour le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada ou l’Australie. Le site de Bondues, près de Lille, est l’usine historique de Lutti et fabrique désormais Carambar et Michoko, il couvre toutes les techniques de la confiserie (gélifiés, sucres cuits, pressés, guimauves). Saint-Genest, près de Châtellerault, fabrique notamment Kréma et possède un large éventail de technologies. Enfin la pastillerie de Vichy, comme son nom l’indique…

Dès 2018, lorsque nous avons acheté ces belles marques patrimoniales, nous avons fait le choix de relocaliser notre production en France, sur nos territoires, alors que, sous le précédent actionnaire, nombre de fabrications avait été délocalisées dans des pays à plus faible coût de main-d’œuvre (Espagne et Pologne notamment). Ainsi, Saint-Genest, site de production des chewing-gums Hollywood à l’époque Mondelez, est devenue une usine de bonbons (Lutti, Kréma, La Pie qui chante, Malabar). Nous avons rapatrié à Blois l’ensemble de nos fabrications de poudres chocolatées en sus du moulage des tablettes. Exception faite de quelques technologies (pâte à tartiner Poulain et Carambar par exemple), nous sommes fiers d’arborer le drapeau français sur la plus grande partie de nos gammes.

Plus de treize mille emplois directs ou indirects

Combien Carambar&Co compte-t-il d’emplois directs et indirects ? Quelles sont vos perspectives de recrutement ?

T. G. : Carambar&Co compte mille trois cents emplois directs et douze mille emplois indirects. En 2021, nous avons recruté 170 personnes et nous continuerons à recruter en 2022, sur un marché de l’emploi particulièrement tendu dans certains métiers. La filière de la maintenance industrielle, par exemple, est structurellement en déficit de candidats et ce, depuis des années ; mais il est devenu difficile de recruter en France dans nombre d’autres fonctions.

Comment se comprend et se décline le concept de responsabilité territoriale d’une entreprise comme Carambar&Co, particulièrement sur le plan des externalités ?

T. G. : Nous avons fait le choix durable d’une implantation industrielle en France et nous travaillons en étroite collaboration avec tous les acteurs locaux. Carambar&Co est une ETI de 350 millions d’euros de CA qui a choisi de confier une large autonomie dans ce domaine à ses directeurs de sites, qui s’emploient, au quotidien, à tisser ce réseau local.

Le territoire est-il un argument marketing comme le fabriqué en France ?

T. G. : Nous avons fait le choix de fabriquer en France avec tout ce que cela implique, donc oui, nous l’exploitons et le communiquons auprès de nos consommateurs, nos clients en France et à l’exportation. Inutile de préciser que le coût de la main-d’œuvre est environ deux fois plus élevé en France qu’en Espagne et quatre fois plus qu’en Pologne. La grande majorité de nos emballages et communications publicitaires arborent donc fièrement le « Fabriqué en France », mais nous savons que les motivations d’achat sont avant tout les qualités organoleptiques, la plus grande naturalité des recettes, la recyclabilité des emballages et le rapport qualité-prix.

Formation locale des jeunes

Quels avantages comparatifs recherchez-vous dans un territoire : infrastructures, densité de population, compétences, politique fiscale ?

T. G. : Deux éléments sont clés : la qualité des infrastructures (logistiques notamment), essentielle pour des usines qui acheminent des milliers de tonnes de matières premières et d’emballages, et réacheminent les milliers de tonnes de produits finis chez nos clients, en France et à l’international ; deuxième point : les compétences et les filières de formation. Nos usines emploient localement près de mille personnes et nous sommes en permanence en recherche de compétences. La possibilité de former localement les jeunes à des métiers industriels est déterminante.

Avez-vous des métiers nouveaux ?

T. G. : Au-delà bien sûr des métiers liés au développement du digital et de l’e-commerce, ce sont plutôt les métiers d’hier qui évoluent sensiblement. Par exemple, le maintenancier d’hier réparait des lignes un peu comme un mécanicien automobile réparait une voiture en panne. La maintenance préventive (entretien et optimisation des outils de production en permanence) requiert d’autres compétences, une autre philosophie de travail, d’autres formations. Autre exemple, la robotisation de certaines lignes de fabrication ou de conditionnement et l’entrée du digital en milieu industriel requièrent de nouvelles compétences pour nombre d’opérateurs.

Politique de transport doublement primée

La mutualisation de certaines fonctions avec d’autres entreprises est-elle recherchée ?

T. G. : Nous avons privilégié très tôt la mutualisation dans le domaine logistique, avec trois autres industriels et deux prestataires logistiques. En partageant les camions pour l’ensemble de nos marchandises, nous comptabilisons dix mille camions de moins par an sur les routes, soit –une baisse de 8 % des émissions de gaz à effet de serre sur trois ans. Nous sommes particulièrement fiers de cette réalisation, pour laquelle nous avons reçu deux récompenses en 2020 : le prix des Rois de la supply chain [3] et celui de la Meilleure Présentation aux European Logisitics Association Awards [4].

Quels liens, partenariats, tissez-vous avec les acteurs locaux (institutions publiques, associations, collèges, ESAT…) autres que ceux strictement industriels ?

T. G. : À Strasbourg, nous avons une collaboration étroite avec l’Agence du développement industriel d’Alsace (Adira). À Blois, nous avons signé un partenariat avec l’École de la deuxième chance et nous participons aussi à l’action « 100 chances, 100 emplois » qui permet de parrainer des jeunes en recherche d’alternance, de stage ou d’un premier emploi. Nous ouvrons nos portes aux lycées et collègues pour des visites de sites et nous allons présenter notre site/ et nos métiers dans les collèges de ZEP à Blois. À Bondues, nous faisons appel à un ESAT, pour du coemballage-réemballage ainsi que pour l’entretien de nos espaces verts.

Le programme « Pacte efficacité matière » qui associe votre usine de Saint-Genest à onze entreprises peut-il être duplicable dans vos autres usines ?

T. G. : Ce pacte est une initiative de la chambre de commerce de la Vienne pour la réduction et la valorisation des déchets, dans un projet d’un an ; pacte auquel nous avons adhéré en 2021. La chambre a regroupé onze industriels pour qu’ils trouvent des synergies, c’est une initiative novatrice. Quant à une possible duplication, pourquoi pas, mais cela doit être initié par les chambres du commerce locales.

Loin des grandes multinationales

Y a-t-il quelqu’un chez Carambar&Co qui suit spécialement les retombées de ses activités dans leur dimension de proximité socio-éco-environnementale, une fonction RSE qui pense « territoire » ?

T. G. : Bien sûr, nous avons nommé une responsable RSE, et j’ai choisi un reporting direct au président pour signifier en interne comme en externe à quel point c’est une pierre angulaire de notre stratégie et un sujet transversal. Son rôle est de mener le diagnostic de notre impact carbone, de dessiner les grandes priorités, de coordonner nos plans d’action avec chaque métier ou fonction de l’entreprise, et de mesurer les impacts. Nos priorités vont à une plus grande naturalité des recettes, à la recyclabilité des emballages, à l’approvisionnement local, à l’impact environnemental de nos activités et à l’inclusion.

Ce dernier point constitue-t-il un axe important de votre « marque employeur » sur le plan de l’attractivité, en termes d​‌’emplois et de management ?

T. G. : Nous mettons l’accent à la fois sur notre incroyable portefeuille de marques patrimoniales, sur notre choix d’ancrage local (fabrication mais également R&D et approvisionnement en biens et services) et sur nos engagements RSE. Nous insistons aussi sur notre très large autonomie de travail. Carambar&Co est une ETI qui se veut un peu l’antithèse des grandes multinationales (bien entendu sans aucune critique ou stigmatisation de groupes dans lesquels j’ai moi-même effectué une grande partie de ma carrière) : liberté d’initiative, rapidité de décision, flexibilité, ambiance de travail. Nous sommes également engagés dans une politique d’inclusion tournée aussi bien vers celle des jeunes sans formation, en réorientation ou issus de quartiers prioritaire et vers celle du handicap. Enfin, comme notre index femme-homme en témoigne (99/100) nous nous voulons exemplaire dans ce domaine aussi.

[1] Carambar, Lutti, Poulain, Kréma, Michoko, Terry​‌’s, La Pie qui chante, Vichy, Suchard, Malabar, Dulciora, Kaba, Benco, Suchard Express.
[2] Affinage du chocolat par brassage.
[3] Cf. https://www.supplychainmagazine.fr/nl/2020/3231/plebiscite-europeen-pour-mg2-le-roi-de-la-supply-chain-2020-628077.php.
[4] https://elalog.eu/winners-2020.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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