Vie des marques

Entremont, affineur patrimonial

26/05/2023

Marque du groupe coopératif Sodiaal, l’entreprise fromagère revendique savoir-faire traditionnels et tradition française. Soucieuse de la durabilité de ses procédés industriels, elle s’engage aussi pour le renouvellement – démographique et écologique – des exploitations agricoles. Entretien avec Marie-Hélène Larrive, responsable marketing, et Nathalie Le Clezio, responsable RSE, Entremont.

À quoi vous engagent la mention « Fromager affineur 1948 » et les trois couleurs du drapeau français figurant sur vos emballages ?

Marie-Hélène Larrive : Le drapeau français figure sur nos emballages depuis un an et témoigne de notre volonté d’afficher clairement qu’Entremont est, dès son origine, une marque française et que ses produits sont entièrement fabriqués en France. Nous souhaitons conjurer les doutes que les consommateurs expriment de plus en plus, même sur des marques historiques. Nous les réassurons également avec la mention « Fromager affineur 1948 », présente depuis longtemps et mieux valorisée depuis un an. Elle rappelle que nous sommes une marque patrimoniale depuis soixante-quinze ans et que nos produits sont fabriqués par des fromagers. Notre fromage râpé est ainsi conçu selon l’affinage traditionnel sans le moindre additif. Nous avons également des maîtres fromagers pour nos produits spécifiques, dont la recette « Dégustation » créée il y a trente ans et la raclette « Saveur d’antan ».

Dix-sept mille producteurs coopérateurs

Qu’apporte à Entremont, à ses éleveurs et à ses salariés, l’appartenance à la coopérative Sodiaal depuis 2011 ?

M.-H. L. : Chaque producteur a une voix, quelle que soit la taille de l’exploitation, le lieu et le type de lait fabriqué. Ils sont tous propriétaires de la coopérative et ont voix au chapitre concernant l’orientation donnée à son activité. Les deux tiers de bénéfices leur sont reversés, le troisième tiers étant consacré aux investissements de la coopérative. Sodiaal rassemble dix-sept mille producteurs de lait implantés dans soixante-douze départements ; 31 % d’entre eux sont en zone de montagne. Entremont valorise au mieux le lait des producteurs coopérateurs et contribue au dynamisme agricole sur l’ensemble du territoire français. Le capital social de la coopérative est depuis deux ans ouvert aux salariés ; 20 % d’entre eux en sont aujourd’hui adhérents et s’impliquent dans la vie de coopérative.

De combien de fromageries et de caves d’affinage disposez-vous ?

M.-H. L. : Entremont dispose de neuf fromageries et caves d’affinage. Sodiaal fromages détient également des marques plus régionales comme Capitoul, la fromagerie de Saint-Flour, Maison Monts & Terroirs, La Pastourelle, Renard Gillard… Sur les dix-sept mille producteurs de lait, 6 000 ont leur lait valorisé par Sodiaal fromages et 50 % des collectes se font en zone montagne.

Quels investissements avez-vous engagés sur vos sites depuis 2020 ? Vous-ont-ils conduits à embaucher  et y a-t-il des tensions dans certains de vos métiers ?

M.-H. L. : Nous recrutons régulièrement, d’une part pour assurer le renouvellement de départs naturels, comme les retraites, d’autre part pour faire face à de la croissance d’activité, selon les sites. Nous pouvons rencontrer des difficultés selon le niveau de tension locale du bassin d’emplois concerné, dans des métiers comme les opérateurs, les conducteurs de ligne, la maintenance, les caristes. Nous travaillons notre marque employeur au niveau local pour faire découvrir l’intérêt de nos métiers. Nos investissements sont par exemple en ce moment ceux de nos deux sites de raclette, pour les doter de nouvelles capacités de production et de découpe.

Consommateurs associés au renouvellement des exploitations

Quel programme mettez-vous en place pour conjurer le manque de vocations des producteurs de lait et assurer le renouvellement des générations ?

M.-H. L. : Le renouvellement des générations est au cœur des préoccupations de Sodiaal, car beaucoup d’éleveurs vont partir à la retraite d’ici moins de dix ans. Le métier doit retrouver plus d’attrait pour accueillir les nouvelles générations Le programme SodiaalBox, créée par Sodiaal il y a plus de dix ans, accompagne les jeunes agriculteurs dans leur installation. Deux cents jeunes s’installent chaque année et bénéficient de la dynamique du collectif. Des journées jeunes agriculteurs sont organisées pour partager les bonnes pratiques, les expériences. Des sessions de formation sont également proposées, concernant par exemple le bien-être animal. Sur le plan des produits et des marques, Entremont organise des opérations promotionnelles récurrentes, une fois par an, avec un relai consommateur : chaque fois qu’un consommateur participe à l’opération, Entremont abonde dans la SodiaalBox pour augmenter les moyens mis à la disposition des jeunes agriculteurs.

La coopérative protège-t-elle les éleveurs des fluctuations de son prix ?

M.-H. L. : Le prix du lait est défini par le conseil d’administration de la coopérative. Dans le contexte très inflationniste de 2022, le prix a augmenté de 23 % , permettant de compenser l’explosion des charges dans les exploitations. La mission de la coopérative est de valoriser chaque litre de lait de nos associés coopérateurs et de maintenir les équilibres globaux de ses activités de transformation. Nos marques (Entremont, Yoplait, Candia…) sont pour notre collectif une des meilleures façons de valoriser le lait des territoires, nos savoir-faire, et contribuent à la fierté d’être aujourd’hui présent dans neuf foyers français sur dix.

Comment les éleveurs sont-ils associés à la transition agro-écologique ?

M.-H. L. : Nous représentons 20 % de la collecte française et nous agissons pour réduire notre impact. En 2022, 77 % de nos adhérents ont réalisé un diagnostic Self CO2, plus de 15 % ont bénéficié d’un diagnostic Cap2ER et d’un plan carbone individuel entre 2020 et 2022, et plus de trois cents éleveurs sont engagés dans la démarche label bas carbone.

Blocages réglementaires aux économies d’eau

Quelles sont vos ambitions pour la décarbonation et les énergies renouvelables ?

Nathalie Le Clezio : Notre objectif est de réduire de plus de 50 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 2019. Notre trajectoire de réduction de 30 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 a été validée par SBTi¹ au début de l’année. Nous envisageons une deuxième chaudière biomasse, l’achat systématique d’appareils plus économes en énergie, lors des remplacements de « groupes froid », nous récupérons la « chaleur fatale »² de ceux-ci, nous étudions la mise en place de systèmes membranaires au lieu de concentration par évaporation ou pompe à chaleur…

Depuis quand considérez-vous l’eau comme une ressource rare à protéger ?

N. Le C. : Entremont se préoccupe de la gestion de l’eau depuis toujours. En 1999, j’étais chargée de suivre tous les jours les compteurs d’eau, d’identifier les causes des surconsommations et de limiter les fuites. L’entreprise est membre de l’Association des entreprises agroalimentaires bretonnes (ABEA), au sein du collectif « Eau propre », avec deux autres groupes laitiers (Laïta, Lactalis) et d’autres entreprises agroalimentaires implantées en Bretagne (Cooperl, Ardo…).

Ce collectif a pour objectif de montrer que les industriels ont des possibilités de réduire les consommations d’eau, mais que des blocages réglementaires les en empêchent, notamment pour les eaux issues du lait ou les eaux usées recyclées. Un décret va bientôt être publié et l’ABEA a été sollicitée pour donner son avis. Dans nos activités laitières et fromagères l’eau est nécessaire pour assurer la salubrité des produits. Nos procédés imposent de nettoyer régulièrement les citernes, tanks ou écrémeuses, pour maintenir un niveau d’hygiène et de qualité irréprochable. Cela représente selon les sites (conditionnement ou fabrication de fromages) l’équivalent de la consommation domestique d’une commune entre 200 et 13 000 habitants.

7 % d’eau consommée en moins en trois ans

Quels leviers activez-vous pour économiser l’eau ?

N. Le C. : Depuis 2019, nous avons une feuille de route pour réduire nos impacts. Nous visons une diminution de notre consommation d’eau d’au moins 20 % d’ici à 2030. Parmi les actions mises en place, citons des compteurs d’eau dotés d’alarme et des relevés journaliers, des diagnostics d’eau selon les sites, la sensibilisation du personnel par affichage de fiches d’info, le contrôle des consommations des nouveaux équipements achetés, l’optimisation des nettoyages sous contrôle sanitaire, la recirculation en circuit fermé de certaines boucles d’eaux techniques. Ce dernier point peut représenter des volumes, par site, allant jusqu’à 70 000 m³ par an.

L’investissement pour la réduction de la consommation en eau était de 860 000 euros, pour une économie de 250 000 m³ en 2022. Pour 2023, il s’élève à 2,6 millions d’euros, pour une économie de 260 000 m³. Une accélération nécessaire, car la crise de l’été 2022 aurait pu mettre en péril certaines de nos activités qui utilisent l’eau des rivières. Entre 2019 et 2022, Entremont a réduit de 7 % sa consommation d’eau. Signalons que nous sommes producteurs d’eau, par le lait qui s’appelle « eau de concentration de matière laitière » ou ECML. Mais jusqu’à présent, on ne pouvait pas l’utiliser pour du rinçage final en raison du contact avec le produit.

Le président de la République a annoncé des plans de sobriété pour l’eau dans chaque secteur d’activité. Quelles mesures envisagez-vous en ce sens que vous n’auriez pas encore adoptées ?

N. Le C. : Le Plan eau d’Emmanuel Macron et la levée des freins réglementaires autour du décret « Reuse », qui concerne la réutilisation des eaux usées traitées et les eaux issues des matières laitières, ouvrent de nouvelles perspectives, dont le recyclage de l’eau dans les entreprises. Notre action avec l’ABEA et l’Association de la transformation laitière française a porté ses fruits. Nous continuons à travailler sur la réutilisation de l’eau en circuit fermé, l’optimisation des nettoyages et l’achat de machines plus économes.

Les années récentes ont -elles changé le comportement des Français dans le domaine des fromages ?

M.-H. L. : Nous observons une accélération de la consommation « made in France » et de la production locale. Ainsi que le lien entre ce que l’on consomme et la santé. Le besoin de réassurance est de plus en plus élevé.

L’inflation conduit-elle vos consommateurs à arbitrer leurs achats entre vos différents fromages ?

M.-H. L. : Nous commençons à constater un début d’arbitrage pour des produits dont le prix à l’unité devient élevé, ou pour les AOP en libre-service. Les produits dont le prix de vente unitaire dépasse 4 euros entrent dans la catégorie des produits non essentiels : leur consommation baisse. Mais la raclette progresse, car elle est une alternative au restaurant…

1. Cf. https://www.wri.org/initiatives/science-based-targets.
2. La chaleur fatale ou chaleur de récupération est celle générée par un procédé dont ce n’est pas la finalité première et qui n’est pas récupérée.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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