Vie des marques

Héritage, fertiliseur de marques patrimoniales

14/02/2024

Hériter, c’est non seulement protéger l’héritage, mais le faire fructifier pour le transmettre. Telle est la finalité de la société Héritage et ses huit marques : l’ambition de devenir un acteur clé du marché hexagonal de la droguerie, avec des produits authentiques, aux recettes saines et fabriqués en France. Et qui innovent. Entretien Richard Lerosey, directeur général d’Héritage.

En décembre 2021, vous avez créé la société Héritage, autour de sept marques de Henkel : Baranne (1913), O’Cedar (1913), Miror (1911), Decap’four (1958), Vigor (1975), Minidou (1982), Terra (1983), auxquelles s’est ajoutée en 2022 Bonux, créée en 1958 par Procter & Gamble et disparue du marché en 2012. Votre projet était-il antérieur à ces achats ou l’ont-ils inspiré ?

Richard Lerosey : Le projet est antérieur. Il remonte à 2014, quand, Daniel Chassagnon, rencontré chez McCormick, et moi créons l’entreprise Swania¹ avec le fonds d’investissement Milestone. Nous venons d’acheter à Recktitt Benckiser les marques Maison Verte, O’Cédar et Baranne, et souhaitons faire de Swania une société écologique proposant des produits qui laissent moins d’empreinte carbone. Ces produits ont la singularité d’être fabriqués à partir de formules ancestrales, avec des ingrédients naturels qui rassurent les consommateurs. Écologie et tradition sont ainsi couplées et répondent à leurs nouvelles attentes, le soin et l’authenticité.

En juillet 2021, le fonds d’investissement, majoritaire, décide de vendre Swania à Henkel, qui n’est pas intéressée par O’Cédar et Baranne, marques jugées trop petites en termes de vente, trop françaises, trop locales. Conscients de l’importance de la taille critique (entre 15 à 20 millions de CA) pour distribuer nos produits dans la grande distribution, nous proposons à Henkel de lui reprendre non seulement O’Cédar et Baranne, mais également Vigor, Decap’four, Miror, Minidou et Terra, marques patrimoniales également trop petites pour le groupe, qui souhaite se concentrer sur les marchés généralistes (lessives, nettoyants multi-usages). Ces sept marques nous permettent de créer en décembre 2021 la société Héritage, basée à Nanterre (Hauts-de-Seine). Une huitième, Bonux, les rejoint car depuis le deuxième semestre 2020 nous souhaitions racheter la marque au groupe allemand Dalli. D’autres acquisitions pourront être envisagées ultérieurement, en priorité dans la droguerie, la parfumerie, l’hygiène (DPH), et pourquoi pas l’épicerie sucrée. À condition qu’il s’agisse de marques iconiques.

Étiez-vous le seul repreneur ? Qui avez-vous associé à votre montage financier ? Avec quelle équipe ?

R. L. : Mon associé Daniel Chassagnon, président du conseil de surveillance d’Héritage, les autres associés du comité de direction avec les vingt-cinq salariés, des amis et de la famille détenons la grande majorité des parts. Le fonds d’investissement Andera Acto détient le reste. Ainsi, nous sommes indépendants, le vrai prix de la liberté. J’étais le seul repreneur et j’ai monté le dossier avec Daniel. J’ai piloté cette reprise de marques en m’appuyant sur lui pour devenir directeur général d’Heritage. J’ai réalisé un rêve d’enfant : avoir ma société².

Savoir-faire, responsabilité et esprit d’entreprise partagés

Quel est le sens du nom Héritage et à quoi vous oblige-t-il ? D’autres noms étaient-ils envisagés ?

R. L. : Le projet Héritage a eu pour nom de code Jeanne, référence à Jeanne d’Arc, qui défendait la belle endormie qu’était la France, comme nous défendons de vieilles marques elles aussi parfois endormies. Nous avons ensuite songé à un vieux prénom d’antan, mais le mot héritage est polysémique. Nous héritons de marques patrimoniales qui ensemble, totalisent six cents ans d’histoire et qui disposent d’un savoir-faire ancien. Nous ne sommes que des passeurs qui devons en prendre soin pour un jour les transmettre à d’autres entrepreneurs. Baranne comme Bonux seront encore là quand j’aurai quitté cette terre.

Héritage encore, car la société est constituée à 70 % par d’anciens salariés de Swania, chacun étant spécialiste de sa fonction grâce à une compétence acquise dans la durée. Nous souhaitons faire naître des âmes d’entrepreneurs chez les salariés qui nous ont suivis dans notre aventure. L’héritage concerne ici la création de valeur pour demain. Héritage toujours, quand nous souhaitons améliorer les produits vers plus d’efficacité et de responsabilité, et transmettre une tradition, un savoir-faire pour pérenniser les marques.

Sur quels arguments avez-vous fondé votre décision de relocaliser la production en France ? Combien d’usines participent à ce savoir-faire industriel français ?

R. L. : L’héritage, c’est aussi celui de la France, de ses territoires et de son savoir-faire. Nous sommes ainsi passé de 0 % en 2014 à 80 % de made in France fin 2023, et nous allons aller plus loin, pour défendre et promouvoir les atouts de la France. Nous souhaitons, dans un monde très concurrentiel, œuvrer pour protéger l’emploi et stimuler la création de valeur en France. Une dizaine d’usines situées sur le territoire et détenues par chaque propriétaire fabriquent nos huit marques. Aucune usine ne nous appartient, mais nous contribuons par un cofinancement à la réouverture d’une ligne de production de cirage dans le Perche dont nous sommes propriétaires.

Par ailleurs, nous innovons, en améliorant par exemple le capot en carton recyclable, éco-responsable, certifié FSC, des bombes aérosols O’Cédar, qui économise 11,2 tonnes de plastique. Le défi a été de retrouver toutes les propriétés du plastique, en termes d’étanchéité et de solidité. Ce procédé inspire l’industrie alimentaire. Il pourrait être adapté à nos aérosols Baranne.

La force de la valeur immatérielle

Pour quelle raison acheter Bonux est-il moins coûteux que de créer une marque ex nihilo ?

R. L. : La phase la plus délicate fut de donner un prix à la marque, qui n’était plus vendue depuis dix ans dans les rayons en France. Elle avait raté le marché de la lessive liquide dans les années 1990, alors qu’elle avait détenu 25 % du marché dans les années 1970 avec la lessive poudre : la promesse du cadeau n’a pas pu être tenue dans la formule liquide… Nous avons donc acheté un nom inscrit dans la mémoire des consommateurs, et c’est sa valeur immatérielle qui a été valorisée : sachant que 65 % des consommateurs connaissent la marque, combien vaut-elle ? Nous avons proposé avec nos associés une valeur au groupe Dalli. Le plus dur a été de convaincre !

La marque Bonux donne du sens à notre stratégie fondée sur la relance de marques patrimoniales. Elle renforce nos trois pôles : la droguerie (Miror, Decap’four et Baranne) ; le ménage – laver la maison du sol au plafond, quel que soit le type de surface avec O’Cedar (bois), Vigor (sol) et Terra (carreaux) ; et le lavage (assouplissant Minidou). Nous avions besoin d’une grande marque de lessive ayant une belle notoriété, une marque iconique. Le marché de la lessive est un gros marché en France, 1,8 milliard, soit un tiers du marché de l’entretien. Pour se faire une place dans la grande distribution, il faut une marque connue. La créer ex nihilo est plus difficile. Au début d’Héritage nous étions présents dans 40 % de la distribution, aujourd’hui, nous dépassons 60 % (Intermarché, Leclerc, Monoprix, Carrefour, Casino). Chez les distributeurs, il y a ceux qui nous aident et les attentifs. Pour Bonux, nous nous fixons comme objectif 4 % de part de marché.

Qu’apporte Bonux, en quoi est-elle légitime pour innover ?

R. L. : Sa singularité repose en premier lieu sur le cadeau. Bonux est une marque de l’enfance et de la famille. Son conditionnement tranche dans le rayon des lessives, où domine un univers froid, technique, normé : le nôtre est joyeux, avec comme icone un enfant. Ce ton se retrouve dans la publicité, qui met en scène une famille, la joie du cadeau, l’émotion, une lessive qui lave bien sans prise de tête. La publicité³ s’adresse prioritairement aux 35-50 ans, car la notoriété de la marque est inégale selon les âges ; seulement 56 % des 35-45 ans connaissent Bonux, mais 85 % des 45-50 ans. Si le produit promet toujours la fraîcheur, un parfum qui sent bon, il apporte davantage en termes d’efficacité avec des matières premières de grande qualité, des ingrédients naturels et l’abandon des matières irritantes. Avec deux labels à l’appui de l’innocuité de notre formule : Air Label Score, qui garantit les très faibles émissions des produits dans l’air intérieur, et la mention « Allergènes contrôlés » par l’Association de recherche clinique en allergologie et asthmologie, qui garantit les produits dont la concentration d’allergènes est considérablement réduite. Des témoignages positifs sur les réseaux sociaux nous confortent dans notre nouvelle formule et notre raison d’être : « Prendre soin de vos biens pour une consommation plus durable. »

Cavité cadeau, ou la main dans la poudre

Quels obstacles avez-vous dû surmonter pour maintenir le cadeau Bonux ? Est-il fabriqué en France ?

R. L. : De fait, ce fut un grand défi à relever que de conserver la promesse Bonux du cadeau. Le flacon de la lessive liquide a une cavité qui le reçoit. Il est breveté. Quant à la lessive en poudre, le geste de plonger la main dans le paquet a été conservé. Les cadeaux (coloriages, cartes à jouer, jeux de plateau ou graines à planter) sont pour l’heure fabriqués en France, voire demain dans des pays européens s’ils ne peuvent l’être en France pour des raisons techniques. Ils sont conçus en interne avec le concours des consommateurs, très heureux de sonu retour du cadeau, qu’ils ne considèrent pas comme superflu en ces temps d’inflation.

Comment assurer que vos huit marques soient toujours présentes en grande distribution ?

R. L. : Notre métier de base est de répondre aux besoins des consommateurs. Une marque comme O’Cedar, destinée originellement au bois, doit s’adapter aux nouvelles offres de mobilier, comme celles d’Ikea. Miror, hier utilisé pour l’argent et le cuivre, peut l’être pour l’aluminium qui habille toutes les cuisines de nos jours. Baranne a élargi son offre de service, des chaussures de ville aux baskets. Le groupe La Brosse & Dupont propose une nouvelle gamme de semelles de cuir sous la licence Baranne. Le défi est commun à toutes les marques : innover, avec comme juges et arbitres les consommateurs.

1. Référence au cygne (swan en anglais).
2. Héritage SA a réalisé un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros en 2022.
3. « Son premier cadeau, c’est l’efficacité. » Le film de l’agence Josiane met en scène une famille dans les années 1980. La mère annonce qu’elle part chercher sa lessive Bonux, et ses garçons se chamaillent à l’idée de savoir qui aura le cadeau. La mère repasse la porte bien des années plus tard (« C’était long !  ») avec le nouveau flacon de Bonux. Le décor a changé, mais la dispute reprend entre les deux fils, adultes, sous l’œil du père, qui leur avait « bien dit qu’elle reviendrait ».                      

Jean Watin-Augouard

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