Tribunes

Énergie : une crise, des opportunités

27/06/2022

L’actualité de ces derniers mois nous rappelle à quel point la question énergétique est à la croisée d’enjeux que les entreprises doivent intégrer d’une nouvelle manière dans leurs stratégies. Par Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables [1].

Pourquoi observe-t-on une hausse des prix de l’énergie ?

Revenons d’abord sur les mécanismes qui ont conduit à la hausse des prix que nous observons aujourd’hui dans différentes régions du monde. Depuis mai 2020, les prix du pétrole ont été multipliés par 4, ceux du gaz par 6,5, ceux de l’électricité par 6 et celui du charbon par 7.

Prenons l’exemple du gaz, pour lequel la guerre en Ukraine n’a fait qu’exacerber des tensions qui préexistaient. La reprise économique post-Covid explique d’abord cette flambée des prix. Mais elle s’est ajoutée à une situation climatique défavorable (hivers froids, étés chauds) et à la moindre disponibilité d’autres moyens de production dans plusieurs zones du monde (hydroélectricité en Chine et au Brésil par exemple). À ces différents éléments se sont s’ajoutées des tensions sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL), perturbé par des problèmes dans différentes unités de liquéfaction à travers le monde, et qui s’est vu sous une contrainte encore plus grande lorsque la guerre en Ukraine a poussé plusieurs pays à vouloir diversifier leurs approvisionnements en GNL à très court terme. Enfin, en Europe, les politiques de lutte contre le changement climatique ont conduit, et c’est le signe d’un mécanisme efficace, à ce que le prix de la tonne de carbone augmente. Or les producteurs de sources d’énergie émettant du CO2 doivent acheter des droits d’émission, ce qui mécaniquement renchérit le prix des énergies fossiles.

Ces facteurs ont ensuite pesé sur les prix de l’électricité, en raison du mécanisme de formation des prix sur le marché de gros : en effet, le prix de l’électron est fixé à travers « l’ordre de mérite » : en d’autres termes et afin d’assurer un optimum économique, ce sont d’abord les énergies présentant les coûts marginaux les plus faibles (énergies renouvelables, nucléaire) qui sont mobilisées pour couvrir la demande en électricité. Lorsque la demande augmente ou que les moyens de production compétitifs ne produisent pas en quantité suffisante, d’autres énergies fossiles sont « appelées », et c’est le coût marginal de la dernière énergie mobilisée qui fixe in fine le prix de marché. Puisque le gaz naturel a très souvent été utilisé ces derniers mois pour compléter les besoins électriques sur le marché européen, la hausse des prix du gaz s’est en quelque sorte diffusée au secteur de l’électricité.

Analyser ces mécanismes montre deux choses : d’une part qu’il est difficile d’anticiper l’évolution des prix de l’énergie dans les prochains moins, car de nombreux facteurs sont en cause, d’autre part qu’il est plus que temps de se passer des énergies fossiles.

Souveraineté, neutralité carbone, compétitivité : triptyque pour guider l’action 

Le prix de l’énergie est devenu un enjeu fort pour la compétitivité des entreprises et pour le pouvoir d’achat des ménages. À l’heure d’écrire ces lignes, les données officielles pour l’année 2021 ne sont pas encore disponibles, mais gardons en tête que la facture énergétique d’un ménage français était déjà en moyenne de 2 690 euros en 2020. Le bouclier tarifaire jouera un rôle essentiel pour que les prix de l’énergie observés sur les marchés ne soient pas intégralement répercutés sur les consommateurs finals, mais cette solution n’est budgétairement pas durable. Nous avons donc besoin d’accompagner les consommateurs vers des changements structurels, pour qu’ils puissent se passer des énergies fossiles le plus rapidement possible.

La crise du Covid et la guerre en Ukraine nous ont rappelé qu’au-delà de l’enjeu des prix de l’énergie nous devons renforcer notre souveraineté, au sens le plus noble du terme, en nous donnant les moyens d’agir sur notre avenir. Cela implique de relocaliser sur notre territoire des moyens de production énergétique. Le temps où l’on appuie sur le bouton pour obtenir une énergie produite à des milliers de kilomètres, et dont l’impact climatique, humain et paysager demeure invisible, est révolu.

Enfin, la troisième dimension que l’ensemble des acteurs, publics comme privés, doivent pleinement intégrer dans leur stratégie est celle de la neutralité carbone. La France s’est donné l’objectif d’atteindre cette neutralité en 2050. Dans dix mille jours. Le sentiment d’urgence en la matière a été encore mieux décrit par l’Agence de la transition écologique (Ademe) et le gestionnaire du réseau de transport de l’électricité (RTE), qui ont tous deux présenté leurs scénarios de décarbonation l’automne dernier. Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?

D’abord, que notre demande énergétique doit impérativement diminuer, d’au moins 40 % . Ensuite, que l’électricité, qui ne représente que 25 % de notre consommation (mais qui occupe l’intégralité du débat public…), jouera un rôle central, mais ne pourra pas couvrir tous nos besoins, car certains usages ne pourront pas être électrifiés. Enfin, que même dans un scénario de relance ambitieuse du nucléaire, avec la construction de quatorze réacteurs EPR, scénario esquissé par le président de la République, les énergies renouvelables devront encore être capables de couvrir 50 % de notre consommation électrique en 2050, si nous voulons garantir la sécurité du système et atteindre la neutralité carbone. Lorsqu’on met ces éléments bout à bout, une conclusion s’impose, qui n’est pas un parti pris idéologique mais le résultat mécanique de ces simulations : près de 75 % de nos besoins énergétiques devront être couverts par des énergies renouvelables en 2050. Dans dix mille jours.

Au regard de ces enjeux, la transition énergétique ne doit pas être vécue comme une contrainte. C’est au contraire une opportunité qui permettra de basculer vers un système de protection durable face à la volatilité des prix des énergies fossiles ; c’est ce qui permettra de renforcer notre souveraineté et de défendre nos valeurs démocratiques, comme le montre le débat sur les sanctions face à la Russie ; enfin la transition énergétique constitue un nouveau champ d’opportunités commerciales pour les entreprises.

Quelles solutions pour agir dans ce nouveau monde ?

Les politiques de « durabilité » quittent peu à peu les départements RSE pour imprégner le plus haut niveau de l’entreprise, mais également les directions financières. Les attentes des salariés, en particulier les plus jeunes, mais aussi celles des consommateurs, poussent les entreprises à agir. En parallèle, les importantes baisses de coût des énergies renouvelables (le coût du solaire a été divisé par dix ces dix dernières années) font d’elles un facteur de compétitivité, autant qu’un élément de différenciation pour la marque.

Les exemples ne manquent pas pour en témoigner. Plusieurs fabricants de marque ont décidé de devenir eux-mêmes producteurs d’énergie. C’est le cas d’Heineken. Ce fabricant de bières a depuis plusieurs années lancé la campagne “Brewed by the Sun” en équipant ses brasseries aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Autriche, en Belgique ou en Italie de systèmes de production solaire, tout en axant sa communication vers les Millennials. Une telle démarche est aujourd’hui possible en France, où un cadre réglementaire pour l’autoconsommation sur site a été élaboré.

D’autres secteurs ont besoin de produire de la chaleur. Là aussi, les énergies renouvelables offrent des solutions très compétitives (chaufferies biomasse, géothermie, solaire thermique industriel). Et là aussi, des dispositifs spécifiques ont été développés pour couvrir une partie des investissements initiaux grâce au Fonds Chaleur [2] ou au dispositif de décarbonation de l’industrie pilotés par l’Ademe.

Mais la nouvelle tendance qui se dessine en Europe et en France est celle des contrats de gré à gré [3]. Ils permettent à un fabricant de s’engager à acheter la production d’une installation pendant plusieurs années, à des conditions de prix prédéterminées. C’est bien sûr une manière concrète de maîtriser le poste de dépense énergétique, mais aussi de participer directement au développement de nouvelles capacités de production d’énergie renouvelable. Trois cent cinquante entreprises se sont engagées à couvrir cent pour cent de leurs besoins électriques avec des énergies renouvelables dans le cadre de l’initiative « RE 100 » [4], tandis que la plate-forme européenne RE-Source [5] vise à faciliter le dialogue entre consommateurs et producteurs. On y retrouve une grande variété de secteurs : agroalimentaire, commerce, services, loisirs, biotechnologies, etc.

Dans un contexte de forte volatilité des prix de l’énergie, les entreprises disposent donc d’une variété de leviers pour bénéficier des gains de compétitivité que peuvent leur apporter les énergies renouvelables, tout en participant directement à la transition énergétique dans le cadre de leur stratégie de développement durable. Les situations de crise sont aussi des occasions de saisir de nouvelles opportunités.

[1] Syndicat-energies-renouvelables.fr.
[2] Ecologie.gouv.fr/evolution-du-fonds-chaleur-en-2021.
[3] “Power Purchase Agreements”.
[4] There100.org.
[5] Resource-platform.eu.

Alexandre Roesch

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