Tribunes

Prix applicable au 1er mars : faut-il légiférer ?

13/09/2022

La question du prix applicable à défaut d’accord entre les parties, à l’échéance de la période légale des négociations commerciales, revient chaque hiver. Elle traduit une inquiétude fondée des parties, quand elles n’ont pas trouvé d’accord, en l’absence de règles claires.

Si le Code de commerce est prolixe en matière de règles applicables pendant la période de négociation entre industriels et grande distribution, et de formalisme contractuel pour leurs relations, il est muet sur les conséquences en l’absence de signature au 1er mars, date butoir fixée par le législateur pour parvenir à un accord. Seule est prévue… une sanction administrative pour non-respect de cette date.

Nombre de commentateurs considèrent qu’il suffit de se reporter au droit commun des contrats, aux principes du Code civil : l’absence de convention unique au 1er mars implique la rupture de la relation commerciale, avec application d’un préavis, généralement un mois par année d’ancienneté, et application du prix fixé au titre de la convention antérieure.

Illusion civiliste

Cette analyse ne tient pas. Les contrats visés au titre IV du livre IV du Code de commerce, articles L. 441-3 et suivants, sont des régimes spéciaux pour lesquels des dispositions spécifiques sont prévues. Au titre de leurs spécificités figurent l’obligation d’adresser des conditions générales de vente (CGV), si elles existent, dans un délai raisonnable (article L. 441-3) ou avant le 1er décembre (L. 441-4), des dispositions spécifiques à la phase précontractuelle (en particulier l’obligation de motiver la contestation de certaines clauses de ces CGV), ainsi qu’un formalisme et un contenu contractuel particuliers. Le régime juridique applicable aux contrats « classiques » ne peut trouver à s’appliquer qu’à titre supplétif, comme l’obligation de négocier de bonne foi et en toute loyauté.

C’est d’ailleurs en ce sens que s’était prononcée la Commission d’examen des pratiques commerciales le 4 novembre 2010 [1] : « En l’absence de convention et d’accord sur le prix, aucun contrat de vente ne peut se former. Le distributeur ne devrait pas passer commande ; s’il le fait, le fournisseur ne devra pas le livrer. Si une commande est néanmoins passée et livrée, il appartiendra au juge de déterminer, en fonction des circonstances propres à chaque cas, à quelles conditions la vente a été conclue. »

Mauvaise pratique unilatérale

La CEPC se situe bien dans le cadre d’un contrat spécifique, qui n’est pas soumis principalement aux règles du droit commun des contrats, et la règle posée est claire : en l’absence de contrat, si la relation commerciale perdure, le prix applicable aux commandes passées ne peut être le prix antérieur.

La question est cruciale à plus d’un titre. D’abord, le contexte économique que nous connaissons, caractérisé par la flambée des prix des intrants agricoles et industriels, induirait, dans l’hypothèse d’une application du prix antérieur, un déséquilibre plus que significatif du contrat.

Ensuite, plusieurs industriels, en 2021, se sont entendu signifier en l’absence d’accord la fin des relations commerciales, assortie de l’application des conditions tarifaires 2020 pendant une période de préavis correspondant peu ou prou à la durée de la relation commerciale antérieure. Ainsi, des enseignes clientes auraient évité les hausses tarifaires pendant une période non négligeable tout en continuant d’être livrées. Pour mieux rouvrir à leur avantage les négociations quelques mois plus tard : aucun fournisseur ne peut refuser de s’y prêter, compte tenu du poids de chacune des enseignes ou alliances dans son chiffre d’affaires. Cette mauvaise pratique doit être combattue.

Au cœur du sujet, l’équilibre du contrat

En l’absence d’accord au 1er mars, si des commandes continuent à être passées et livrées, elles doivent être exécutées à des conditions commerciales qui tiennent compte des circonstances économiques et de l’équilibre contractuel.

Si la position de la CEPC est claire, le sujet donne lieu à de nombreux débats doctrinaux et à des analyses contradictoires, souvent dictées par des intérêts divergents. La question mériterait donc que le législateur ajoute une règle simple aux dispositions du Code de commerce. D’autant que les exemples récents, en particulier en matière de pénalités logistiques, montrent les limites du « droit mou », que les parties ont du mal à s’approprier et dont elles doutent de la valeur normative.

Une fois acquis le principe d’un prix applicable différent du prix antérieur après le 1er mars, reste la question de sa détermination. Dans les recommandations qu’il a délivrées en juin dernier [2], Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales agricoles, suggère qu’est « a minima nécessaire la prise en compte de la variation de coûts de la matière première agricole, rendue obligatoire par la loi Égalim 2 ».

Le raisonnement s’entend, il répond à la logique de cette loi. Il est cependant incomplet, et les renégociations qui ont eu lieu dans le prolongement de la charte d’engagements signée le 31 mars dernier le prouvent : les hausses de coûts de production affectent plus encore les intrants industriels. C’est l’ensemble des éléments qui affectent le coût de production qui doivent être pris en compte.

Le rôle de préavis des CGV

Si le postulat est ainsi que la poursuite des relations commerciales doit s’effectuer à des conditions tenant compte des circonstances économiques et du coût de production (c’est en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation dans son arrêt du 1er décembre 2021) [3], les choses se compliquent avec la structure de la cascade tarifaire qui doit s’appliquer aux nouvelles commandes, en l’absence d’accord sur le prix de cession entre les parties. 

D’aucuns prônent des solutions hybrides. Ils procèdent du même postulat de principe (sur les circonstances et les coûts), mais ils y appliquent les conditions en vigueur dans le contrat précédent. Cette option, inspirée par des préoccupations de pragmatisme commercial, est juridiquement contestable, puisqu’elle revient à mélanger des éléments tirés de CGV en vigueur avec d’autres tirés d’un contrat qui ne l’est plus.

Une autre solution, qui présente l’intérêt de satisfaire pleinement à la logique juridique, est de considérer qu’en l’absence d’accord, c’est le tarif en vigueur qui s’applique. Dans la mesure où l’envoi de CGV vaut préavis de fin de contrat, la seule base juridique qui subsiste une fois l’accord échu, c’est le tarif et les conditions (la cascade tarifaire) qui figurent dans les CGV.

[1] Avis 10-15 de la CEPC.

[2] « Observatoire des négociations commerciales ».

[3] Décision n°20-19.113.

Daniel Diot, Ilec

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