Tribunes

Relations commerciales : et maintenant ?

30/06/2025

Le bilan des dernières négociations commerciales et des lois récentes qui les encadrent appelle une simplification du Code de commerce, sur le fondement d’une concertation entre les acteurs du marché. Par Daniel Diot, secrétaire général de l’Ilec.

Les négociations commerciales de la campagne 2025 se sont achevées en mars. Le bilan réalisé comme tous les ans par l’Observatoire de la médiation des relations commerciales agricoles, au-delà des résultats économiques (bilan qui n’inclut pas par définition les catégories de produits « PLM » (personne, loisirs, maisons) met l’accent sur une détérioration de la perception des relations entre les industriels et les enseignes.

Plusieurs facteurs expliquent cette dégradation :

  • Après une longue période de déflation commencée en 2014 avec le déclenchement d’une guerre des prix à l’initiative des enseignes, l’inflation a marqué les campagnes de négociation 2022 et 2023. Les enseignes ont du mal à accepter les hausses de prix et sont obnubilées par la crainte d’acheter moins bien que leurs concurrents, ce qui suscite la constitution entre elles d’alliances de pure circonstance, souvent contre nature, dans la seule perspective d’optimiser les conditions d’achat.
  • La concurrence à l’aval entre distributeurs a dès lors tendance à s’estomper, d’autant que les demandes d’alignement des prix d’achat, au gré des échanges d’informations sur les conditions commerciales, se généralisent. Une des conséquences en est la négation du tarif : le besoin de l’industriel n’est pas pris en compte par les enseignes. Et encore moins par les centrales internationales d’achat.
  • Lesdites centrales internationales n’ont pas « digéré » les dispositifs de non-négociabilité des lois Égalim et la loi Descrozaille venue leur rappeler le principe de l’applicabilité du droit français pour les produits commercialisés en France, édicter des règles en cas d’absence de signature des contrats au 1er mars, et étendre l’encadrement promotionnel aux catégories du DPH (droguerie et produits d’hygiène).
  • Dans ces catégories du DPH, l’émergence d’enseignes concurrentes comme Action ou Normal, dont les parts de marché restent faibles, suscite des réactions virulentes de la part des grandes enseignes à dominante alimentaire, qui de façon peu cohérente dénoncent les conditions d’approvisionnement, souvent à l’étranger, de ces nouveaux entrants, alors qu’elles se réclament par ailleurs de la libre circulation des marchandises pour justifier le développement des alliances internationales d’achat.

Pour une concertation en format restreint

Le processus législatif qui vient d’aboutir à la loi portée par le député Stéphane Travert montre que, dans un contexte de forte instabilité politique, légiférer est incertain et périlleux. Preuve en est que le projet de loi familièrement et improprement¹ appelé « Égalim 4 », un temps envisagé par le gouvernement, a été reporté à des temps législatifs plus stables.

Dès lors, la question se pose : et maintenant ? Peut-on se satisfaire d’une telle situation, marquée par des relations qui n’ont jamais été aussi tendues entre les acteurs, au détriment de la souveraineté alimentaire et industrielle, au risque de voir s’aggraver la restructuration et la concentration de la distribution la perte d’attractivité des investissements en France et la paupérisation de l’amont agricole ?

Le constat et l’objectif de l’Ilec sont clairs : au regard des enjeux et du contexte, seule une concertation entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement en produits de grande consommation peut permettre d’aboutir à une refonte du Code de commerce (Titre IV du Livre IV). Aucun maillon ne peut exister sans les autres. Les tentatives, discrètes, menées jusqu’ici en ce sens ont montré que, débarrassés des postures politiques, les opérationnels sont capables de se mettre d’accord sur un projet de simplification des textes à hauteur de 70 % de leur contenu. L’antagonisme sur les 30 % restant est inhérent à la relation commerciale et aux mécanismes légaux liés au prix, à sa formation et à son évolution. Il faut l’accepter, tout en visant, y compris sur ces questions, à un relatif consensus.

Reste à définir la méthode et les principes. Les états généraux de l’alimentation, en 2017, ont montré qu’un très grand nombre d’intervenants est contre-productif, néfaste à la sincérité des échanges et à l’art du compromis, incontournable dans un tel exercice. Seul un petit groupe d’experts, juridiques et commerciaux (directeurs généraux, directeurs commerciaux, patrons d’enseigne), sous la houlette d’une personnalité dont la compétence et la connaissance du sujet, ainsi que sa neutralité, sont reconnues, pourra aboutir à ce résultat. Il est grand temps que les experts prennent la plume. La légitimité des participants doit être incontestable, pour permettre dans un second temps l’adhésion de l’ensemble des opérateurs.

Revenir au droit des contrats

La simplicité et l’intelligibilité du texte doivent être de règle. La complexité des normes qui régissent les relations a atteint son paroxysme. L’ajout par strates successives, sans vision d’ensemble, conduit certains représentants des PME à demander une dissociation des régimes selon la taille des entreprises. Cette approche serait néfaste, car elle reviendrait à diviser les industriels et à affaiblir leur position, mais elle exprime une attente légitime de simplification, dont tout le monde doit bénéficier. La complexité explique aussi en partie l’évasion juridique des enseignes, qui cherchent à s’extraire d’un corpus légal contraignant dont la visée est de rééquilibrer un rapport des forces structurellement favorable à la distribution.

Ce travail doit aussi passer par une réflexion sur les modalités de contrôle des relations verticales et sur les outils de régulation. On le voit, l’administration ne peut et ne veut pas tout. La voie judiciaire de son côté devient de plus en plus longue, coûteuse, et de plus en plus hasardeuse. La création récente d’une chambre arbitrale de la grande distribution² est un signe en ce sens.

L’Autorité de la concurrence doit pour sa part se décider à intervenir sur le sujet. La concurrence dysfonctionne, c’est une évidence. La police des pratiques illicites des alliances doit être effective. Elle fera prendre conscience qu’être alliés à l’amont et concurrents à l’aval est en soi une hérésie, tant d’un point de vue commercial que d’un point de vue concurrentiel. Et que ce n’est certainement pas une solution viable à moyen terme.

Il faut pour cela du courage et une volonté partagée. L’Ilec tend la main aux enseignes pour débattre de la réécriture d’un texte clair, plus axé sur des mécanismes classiques du droit des contrats, d’équilibre des obligations réciproques, et pour constituer un groupe de travail animé d’un esprit constructif, en ayant en tête que l’intérêt général doit primer les intérêts corporatistes ou individuels. La situation l’exige, et il y a urgence.

1. Il n’y a eu que deux lois « Égalim » visant les produits agroalimentaires : la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 « pour l’équi­libre des rela­tions commer­ciales dans le secteur agri­cole et alimen­taire et une alimen­ta­tion saine et durable » et la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 « visant à protéger la rémunération des agriculteurs ».
2. Cf. « “CAGD” : l’arbitrage, règlement alternatif des conflits ».

Daniel Diot

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