Tribunes

Quel rôle pour la médiation dans les relations commerciales ?

08/03/2021

Dans la grande consommation, secteur très encadré, le règlement amiable des différends passe par des institutions aux missions spécifiques et plus ou moins complémentaires. Qui souffrent de ne pas constituer un dispositif exhaustif. Par Daniel Diot, secrétaire général de l’Ilec.

Bruno Deffains dans son article pour l’Ilec, décrit parfaitement la médiation et ses mécanismes, et fait à juste titre la promotion du diplôme proposé par l’université Paris-II Panthéon Assas, dont l’objectif est de former des médiateurs et de voir ainsi prospérer ce mode de résolution des différends. La médiation est un processus amiable, volontaire et confidentiel de résolution des conflits. Le principe en est simple, il s’agit de proposer aux parties l’intervention d’un tiers, indépendant et impartial, dont l’objectif est de contribuer par le dialogue et l’écoute à un compromis permettant de résoudre le différend. Le médiateur n’intervient ni comme un juge, ni comme un arbitre. Ses préconisations n’ont pas vocation à s’imposer aux parties.

Dans le contexte des relations industrie-commerce, le développement de cette institution s’avère cependant très spécifique. Les négociations commerciales qui viennent de s’achever présentent un atypisme certain, qui les distinguent des autres. Elles se tiennent à un moment de vérité pour les dispositions de la loi Égalim et de l’esprit des États généraux de l’alimentation qui l’ont précédée et inspirée.

Soit Égalim est une réussite (encore faut-il s’entendre sur les éléments permettant de considérer que c’en est une), soit c’est un échec, et les pouvoirs publics devront en tirer les conclusions qui s’imposent.

Médiateurs institutionnels et médiateurs internes

S’il est toutefois un élément nouveau qui s’affirme, c’est le rôle dévolu à la Médiation des relations commerciales agricoles, dirigée par Francis Amand. Cette institution a été instaurée par la loi 2010-874 du 27 juillet 2010 « de modernisation de l’agriculture et de la pêche », avec l’objectif initial de faciliter la rédaction de contrats entre l’amont agricole et les premiers transformateurs, sur la base du constat que cette contractualisation était nécessaire. Elle a pris l’intitulé actuel avec la loi 2014-1170 du 13 octobre 2014 « d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt », qui a étendu sa compétence de l’amont à l’aval de la chaîne agroalimentaire. Il peut désormais être saisi par tous les acteurs, des agriculteurs, aux transformateurs jusqu’à la grande distribution.

Parallèlement, sous l’égide de Bercy était créée en 2010 la Médiation interentreprises, avec pour mission de favoriser des relations collaboratives et durables entre clients et fournisseurs. Cette institution intervient principalement en matière de respect des dispositions légales et contractuelles relatives aux délais de paiement. Bien qu’étant compétente dans tous les secteurs d’activité, elle s’est montrée jusqu’ici réticente à s’intéresser aux relations industrie-commerce. Sollicité par le ministère de l’Agriculture et le Médiateur agricole, Pierre Pelouzet, le Médiateur des entreprises, a indiqué récemment que ses services n’ont pas une connaissance suffisante de ces relations pour intervenir efficacement.

Sous l’égide de la Médiation des relations commerciales agricoles ont également été mis en place, dans certaines enseignes (en fait toutes à l’exception de Leclerc à notre connaissance, des médiateurs internes, salariés du distributeur ou de la centrale d’achat, mais indépendants de leurs services achats, et placés directement auprès de la direction générale. Le médiateur interne a pour rôle de chercher une solution amiable aux litiges commerciaux advenus entre son enseigne et un fournisseur. La procédure de médiation interne n’est ni obligatoire ni contraignante pour les parties au contrat.

L’intention est louable et doit être saluée. Elle a toutefois, par définition, une efficacité relative, car un médiateur interne demeure sous un lien de subordination à son employeur, et ne peut à ce titre être totalement exempt de subjectivité, quelle que soit sa bonne foi. L’institution de médiateurs internes n’a pas donné à notre connaissance les résultats escomptés. Elle ne doit pas pour autant rester lettre morte.

Un rôle crucial cette année

Depuis 2018, année où a été créé l’Observatoire des relations commerciales, la Médiation des relations commerciales agricoles joue un rôle particulier. Sous l’égide des services de Francis Amand, les organisations professionnelles représentatives (Ilec, Ania, Coopération agricole, Feef, FCD, FCA, Leclerc…), il publie tous les ans les résultats agrégés des négociations commerciales, permettant d’établir un constat difficilement contestable, fondé sur les curseurs commerciaux (prix trois fois net principalement) dans plusieurs catégories de produits alimentaires. Il permet d’objectiver les résultats, et d’éviter l’éternelle controverse entre fournisseurs et distributeurs sur les hausses de tarifs et les prix finalement convenus.

Ces deux institutions sont la traduction d’une tentation toujours présente des pouvoirs publics de réguler l’économie, à tout le moins de jouer un rôle d’arbitre. C’est particulièrement le cas cette année, car la réussite ou l’échec des principes Égalim aura une influence sur le contexte de l’élection présidentielle de 2022. D’où la pression mise par le ministère de l’Agriculture pour favoriser les saisines de la Médiation des relations commerciales agricoles en cas d’écarts significatifs des positions des industriels et des distributeurs, car la médiation peut cette année jouer un rôle crucial en matière de négociations commerciales.

C’est dans cette optique que l’Ilec avait reçu le médiateur Francis Amand, le 4 février dernier, afin qu’il présente à ses adhérents les modalités de la saisine. L’enjeu est considérable : la Médiation des relations commerciales agricoles a fait l’objet de nombreuses saisines dans le cours des négociations 2021. Du sort de ces médiations dépend la photo, en positif ou en négatif, d’une partie non négligeable des accords commerciaux cette année.

Couvrir l’ensemble des PGC

Le recours massif à cette institution est justifié par la volonté de faire réussir Égalim. Mais c’est aussi la démonstration que quelque chose ne fonctionne pas. La nécessité d’en référer à un tiers à la relation commerciale pour parvenir à un accord est un aveu d’échec du secteur de la grande consommation, qui ne parvient pas à s’autoréguler. Cela devrait rester sinon exceptionnel, du moins réservé à quelques cas spécifiques. La généralisation de ces recours, pour souhaitable qu’elle ait été cette année, serait inquiétante. Car ils traduisent les insuffisances du dispositif Égalim, vertueux dans son esprit, mais incomplet. Un dispositif légal complémentaire s’impose désormais. Il doit s’accompagner d’une extension de certaines mesures aux produits des catégories non alimentaires.

La médiation doit rester un outil de facilitation réservé à quelques cas, et surtout être étendue aux autres produits de grande consommation, non alimentaires, lesquels, entre l’exclusion des mesures de majoration du seuil de revente à perte et d’encadrement promotionnel, et pour certains d’entre eux un régime contractuel dérogatoire, font figurent de parents pauvres du secteur. La Médiation des entreprises dirigée par Pierre Pelouzet doit développer sa connaissance des relations industrie-commerce, et répondre à ce besoin, pour compléter un dispositif dont les équipes de Francis Amand sont en train de démontrer l’intérêt et l’efficacité.

Daniel Diot

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