Tribunes

Le mauvais procès fait à la proposition de loi Descrozaille

11/01/2023

Les polémiques nourries par la grande distribution contre la proposition de loi Descrozaille qui entre en discussion à l’Assemblée nationale se trompent d’objet. Que n’entend-on à son encontre : la fin des négociations, une inflation multipliée, des députés sous influence… En réalité, ce texte modeste par ses dimensions (quatre articles) ne fait que compléter ce qui a besoin de l’être, notamment des textes Égalim 1 et 2, afin de sécuriser tous les acteurs, y compris les distributeurs, dans une période de crise où l’effort des pouvoirs publics a jusque-ici tendu en priorité à protéger le pouvoir d’achat des consommateurs plutôt que l’outil productif.

Que contient la proposition de loi Descrozaille ?

  • Un rappel de l’applicabilité du droit français aux produits commercialisés en France (article 1), sans laquelle les enseignes vertueuses ne peuvent continuer à rémunérer équitablement les filières si d’autres s’en exonèrent en s’installant en Belgique ou ailleurs pour échapper au droit français et dévoyer le marché unique européen vers le dumping fiscal, social et écologique. L’arrêt de la CJUE du 22 décembre 2022 dans l’affaire Eurelec contre la DGCCRF, sans mettre en cause l’action du ministre sur le fond, montre qu’il est nécessaire de clarifier le droit.
  • La prolongation des mesures expérimentales Égalim 1 (article 2) ? Elles avaient l’objet d’un consensus des parties sous l’égide des pouvoirs publics et sont le socle de la revalorisation du revenu agricole. Personne ou presque n’en demande l’abandon, mais elles tomberont sans véhicule législatif cet hiver pour les prolonger : les députés ne font que pallier un oubli.
  • Vient ensuite une précision sur le droit applicable en cas de désaccord au 1er mars (article 3). Elle répond à la nécessité de dissiper une insécurité juridique préjudiciable à toutes les parties mais particulièrement aux fournisseurs et source de contentieux : le régime actuel permettrait aux distributeurs d’exiger du fournisseur la poursuite de ses livraisons pendant souvent plus d’une année au tarif de l’année précédente, ce qui est économiquement insupportable en période d’hyperinflation des coûts de production. Il ne s’agit nullement de donner au fournisseur toute latitude d’imposer son tarif : le distributeur qui ne serait pas parvenu avec lui à un accord sur le prix de cession peut décider d’arrêter ses commandes et se fournir auprès de fournisseurs concurrents. Le commerce n’est pas plus une obligation d’acheter qu’une obligation de vendre quand les conditions d’un équilibre économique ne sont plus réunies!
  • Enfin (article 4) le texte de Frédéric Descrozaille, inspiré par une recommandation du Médiateur des relations commerciales agricoles, fait droit aux critiques de la distribution sur « l’option 3 » de transparence (des matières premières agricoles), en renforçant le rôle du tiers de confiance et les obligations imposées aux fournisseurs.

Marges rognées… côté industriel

Depuis longtemps, le rapport des forces est à l’avantage des distributeurs dans les négociations commerciales, face aux entreprises de marques industrielles, quelle que soit leur taille. Quand les conditions de la concurrence entre enseignes les portent à la guerre des prix, il s’ensuit une destruction de valeur considérable pour l’appareil productif. Entre 2013 et 2021, l’indice des prix des marques de PGC a ainsi dévissé d’un indice 108 à un indice à peine supérieur à 100, soit à son niveau de… 2007 (source IRI).

Avec l’inflation de coûts, les entreprises ont rogné leurs marges. Le rapport de l’Inspection générale des finances commandité par Bruno Le Maire à la suite d’une interpellation de Michel Édouard Leclerc contre les « profiteurs de l’inflation » montre que les industriels rognent depuis des années sur leurs marges pour protéger le pouvoir d’achat des consommateurs : il conclut que l’EBE de l’industrie agroalimentaire a baissé de 16 % sous l’effet d’une hausse des prix des intrants non compensée par celle des prix de vente à la grande distribution, alors que l’EBE du commerce ne s’est dégradé que de 1 % . La contraction de l’EBE des industriels contribuerait, à elle seule, à réduire la hausse des prix finaux à la consommation des biens alimentaires de 1,3 % .

Postures pour la négociation commerciale

Aujourd’hui, les entreprises de marques que représente l’Ilec – des ETI autant que des grands groupes – ne peuvent plus absorber l’intégralité des hausses de coûts après dix-huit mois d’envolée des cours des matières.

Les attaques dont la proposition de loi Descrozaille fait l’objet, sous couvert de défense du pouvoir d’achat, révèlent surtout l’intensité de la concurrence par les prix entre enseignes. Ce sont des « positions de négo » en période de négociations annuelles industrie-commerce. MM Leclerc ou Duhaupand ne s’intéressent pas aux attendus de la proposition de loi, mais cherchent à discréditer les raisons économiques de leurs fournisseurs avant d’entrer dans le box. Ils connaissent pourtant bien la réalité de l’inflation des coûts : leurs MDD connaissent depuis un an une hausse de prix consommateurs supérieure de 60 % à celle des marques nationales¹.

L’appareil productif de la France ne peut être pris en étau entre l’envolée de ses coûts et la concurrence entre distributeurs. En complément des lois existantes, une réponse est attendue pour en assurer l’avenir, le maintien des emplois, et l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation. Elle peut l’être par ce texte pragmatique qui laisse toute sa place à la négociation entre les parties, pour développer une offre accessible au pouvoir d’achat contraint des consommateurs sans casse économique dans l’agriculture et l’industrie.

1. Source IRI, cf. https://www.ilec.asso.fr/indices_et_conjoncture/19589/category.

Richard Panquiault

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