Tribunes

Déchets d’emballages, le moyen d’une révolution

27/06/2023

La France sera-t-elle pionnière pour mener l’UE vers une économie circulaire ? C’est possible, et les marques ont un rôle à jouer. Avec “Digital Watermarks Initiative Holygrail 2.0”, filigranes numériques pour le recyclage intelligent des emballages. Par Margherita Trombetti, AIM (Association des industries de marques) – European Brands Association .

Une initiative de toute la chaîne de valeur

L’optimisation des ressources par le tri et le recyclage est essentielle à une économie circulaire des emballages. Pour un recyclage de meilleure qualité, il faut trier mieux les emballages post-consommation, en identifiant avec précision leurs attributs : type de plastique utilisé, composition des objets multicouches, utilisation alimentaire ou non alimentaire…

La technique des filigranes numériques est une solution qui peut révolutionner la manière dont les emballages sont triés. Elle ouvrirait de nouveaux flux de recyclage, dépassant les limites auxquelles se heurtent les techniques actuelles de « tri dans le proche infrarouge » (« NIR »), et favoriserait une véritable économie circulaire pour les emballages.

Quelque cent trente entreprises et organisations parties à la chaîne de valeur de l’emballage, des industriels de marques et des distributeurs aux fabricants d’emballages, en passant par les recycleurs, les systèmes de responsabilité élargie des producteurs (REP), les fournisseurs de technologies et de machines, etc., ont uni leurs forces dans le cadre de l’initiative “Digital Watermarks HolyGrail 2.0”, un projet pilote dont l’objectif est d’établir la viabilité technique des filigranes numériques pour un tri précis des déchets d’emballages, ainsi que leur viabilité économique à grande échelle.

Ce projet est piloté par l’AIM et soutenu par l’Alliance to End Plastic Waste. L’initiative remonte au projet pionnier pan-industriel “HolyGrail 1.0”, qui s’est déroulé de 2016 à 2019, sous l’égide de la Fondation Ellen MacArthur, et dans le cadre duquel les participants ont exploré les initiatives visant à améliorer les processus de tri des emballages, en utilisant des traceurs chimiques et des filigranes. Les filigranes se sont révélés la technique la plus prometteuse, recueillant le soutien d’une grande majorité de parties prenantes.

À l’issue des travaux HolyGrail 1.0, le secteur des produits de grande consommation de marque a développé une plateforme destinée à faire passer l’initiative à l’étape suivante. En septembre 2020, HolyGrail 2.0, a été lancé en tant qu’initiative intéressant toute la chaîne de valeur et visant à éprouver la technique des filigranes à l’échelle semi-industrielle et industrielle.

Une technique qui peut changer la donne

Les filigranes sont des codes optiques de la taille d’un timbre-poste, imperceptibles à l’œil nu mais détectables par des caméras à haute résolution, qui sont directement appliqués sur l’étiquette de l’emballage ou embossés dans le moule. Pour l’impression, ils consistent en des carreaux répétés, dont les morceaux peuvent être combinés pour reconstituer un code-barres, qui sont appliqués par le codeur sous forme de mosaïque. Ce processus ne nécessite ni encres ni procédés d’impression particuliers. Quant aux filigranes pour les moules, ils sont le résultat de variations microtopologiques dans le substrat du moule, créant des tuiles de signal.

Ces codes optiques sous forme de filigranes peuvent comporter un large éventail d’attributs, tels que l’identité du fabricant, l’unité de gestion de stock (“SKU”), le type de matériau utilisé, la composition pour les objets multicouches, ou l’utilisation alimentaire ou non alimentaire.

Les filigranes répondent bien à l’ambition écologique du projet, car aucun produit chimique ne doit être ajouté à l’emballage lorsque les filigranes numériques sont appliqués ou embossés, contrairement à ce que nécessitent les marqueurs-traceurs non permanents.

Remédier aux lacunes des processus de tri

Ces caractéristiques font de cette technique le moyen d’un changement essentiel dans la manière dont les déchets d’emballage sont triés, et par conséquent recyclés. Le but est qu’après l’arrivée de l’emballage dans un centre de tri des déchets, le filigrane puisse être détecté et décodé sur la ligne de tri à l’aide d’une caméra haute résolution standard, pour que la ligne de tri dirige les emballages vers les flux correspondants, sur la base des informations transférées (par exemple s’il s’agit de contenants alimentaires ou non). Cela augmenterait l’efficacité et la précision des flux de tri, et améliorerait la qualité des matériaux recyclés, au bénéfice de l’ensemble de la chaîne de valeur des emballages.

La technique des filigranes permettrait donc de remédier aux principales lacunes des procédés actuels de tri des déchets d’emballage. Jusqu’à présent, les installations de tri industrielles produisent environ 16 à 20 fractions de tri uniques (par exemple, les quatre principaux polymères, PP (polypropylène), PE (polyéthylène), PET (polyéthylène téréphtalate), PS (polystyrène), le papier, l’aluminium, etc.). En gros, chaque fraction nécessite un itinéraire de recyclage spécifique. Toutefois, il n’est pas possible de différencier davantage le processus de tri, par exemple entre des matériaux d’emballage identiques mais utilisés à des fins différentes (par exemple, applications alimentaires et non alimentaires). Ni de créer de nouveaux flux de recyclage (par exemple pour des catégories de produits cosmétiques ou de détergents).

Gestion des données et marketing mobile

“Digital Watermarks HolyGrail 2.0” met l’accent sur les questions clés permettant de passer de la conception à une application éprouvée dans un environnement d’exploitation. Si le tri intelligent est le principal objectif de l’initiative, l’extraction de données et l’engagement des consommateurs sont deux autres enjeux.

Un tri intelligent grâce aux filigranes numériques nécessite des informations précises et actualisées sur toute une série d’attributs essentiels de l’emballage. L’identification des composants d’emballage et des produits finis au moyen d’identifiants globaux, ouverts et uniques est essentielle pour permettre la connexion ou l’intégration des technologies, et pour garantir l’évolutivité et l’interopérabilité. Cela devient le langage de base pour la saisie, le stockage et le partage des données. Dans le même temps, il est essentiel de garantir les concepts fondamentaux de la sécurité des systèmes d’information, pour assurer la confidentialité et l’intégrité des données. “Digital Watermarks HolyGrail 2.0” vise donc à développer une plate-forme de gestion de données bidirectionnelle, pour établir des connexions intelligentes entre les normes GS1 et les attributs essentiels de tri des emballages.

Par ailleurs, le parcours de l’emballage, du consommateur au recycleur, est long et complexe. Dans cet environnement complexe, il est essentiel d’exploiter la simplicité pour obtenir des taux de collecte élevés. À cet égard, les filigranes numériques sont particulièrement intéressants, car ils peuvent être intégrés à la technologie du marketing mobile, ce qui permet de communiquer directement avec les consommateurs, dans la langue de leur smartphone ou en fonction de leur localisation.

« Démontrée dans un environnement pertinent »

HolyGrail 2.0 s’articule en trois phases : 1) développement d’un prototype d’unité de détection ; 2) essais semi-industriels, 3) essais industriels.

La phase 1, développement d’un prototype, a consisté à développer un module complémentaire fonctionnel pour l’unité de tri de détection, qui peut détecter et séparer efficacement les emballages marqués d’un filigrane numérique des emballages non codés dans l’installation de tri, en conjonction avec les trieurs NIR.

Le critère de réussite de cette première phase était la capacité de l’unité à détecter et à trier des emballages à filigrane numérique de différentes tailles : trois emballages rigides imprimés, trois emballages rigides gaufrés, trois emballages flexibles imprimés et un emballage à base de fibres. L’expérimentation s’est achevée avec succès en septembre 2021 et avril 2022 respectivement pour deux prototypes. Lesquels, associés à la technologie NIR, ont atteint des taux de détection et d’éjection très élevés, portant le niveau de préparation technique (TRL) à « TRL 6 » (« technologie démontrée dans un environnement pertinent »). Les prototypes validés ont ensuite été utilisés pour la phase d’essais semi-industriels.

Dans cette phase 2, visant à tester les capacités de tri des prototypes sur des sites adaptés à la réalisation d’essais semi-industriels, les systèmes ont été testés en termes de vitesse, de précision et d’efficacité de détection pendant plusieurs mois d’affilée, afin d’évaluer l’état de préparation technique dans un environnement opérationnel.

Des résultats constants, pour toutes les catégories de matériaux d’emballage plastique testées, avec des taux de détection de 99 % , d’éjection de 95 % et de pureté de 95 % en moyenne, ont démontré une performance impressionnante des prototypes, qui sont maintenant prêts pour des essais pilotes à l’échelle industrielle.

Ultime et cruciale phase d’essais

Phase 3 du projet, les essais industriels ont lieu en cette année 2023. Ils consistent en le déploiement des prototypes fonctionnels sur des sites de tri et de recyclage en exploitation, dans des conditions de fonctionnement normales. Les produits des industriels de marques et des enseignes sont lancés sur les marchés danois, français et allemand. Les consommateurs achèteront ces produits en rayon avec un emballage numériquement filigrané qui, après consommation, entrera dans le flux des déchets et sera trié dans différentes installations de valorisation des matériaux, qui effectueront des essais industriels pour divers matériaux d’emballage. Ces essais en conditions et temps réels ont pour but de déterminer la fiabilité des systèmes, afin de garantir des performances de tri optimales.

La première partie des essais a eu lieu au début de l’année, dans l’usine de recyclage de Wellman Indorama à Verdun, en France. Les résultats de l’essai valident, une fois de plus, l’efficacité des filigranes numériques dans la séparation, avec une granularité élevée (dans ce cas, la séparation entre produits alimentaires et non alimentaires). Dans le courant de l’année, d’autres essais industriels sur différents flux seront menés avec des déchets d’emballages danois et allemands.

La réussite des essais industriels amènerait la technologie au niveau TRL 9, c’est-à-dire celui d’un « système réel éprouvé dans un environnement d’exploitation ».

Appel à élargir le cercle des pionniers

Depuis peu, une nouvelle initiative visant à amener la technologie HolyGrail 2.0 au-delà du stade industriel est en cours de développement : l’intention est de mettre en œuvre la technique du filigrane numérique sur le marché français en 2024, en s’appuyant sur les réalisations de HolyGrail 2.0, et en suscitant des apprentissages en situation réelle pour un déploiement commercial à l’échelle européenne. Outre les distributeurs, les recycleurs et d’autres partenaires, les principaux industriels de marques actifs en France sont déjà engagés dans des discussions pour la planification du projet pilote. Les autres sont invités à se joindre à eux, et à contribuer aux efforts du groupe pionnier. Le message des animateurs du projet est simple : « Si la stratégie de votre entreprise associe le développement durable à l’avenir de vos marques, contactez l’AIM et joignez-vous à cet effort interprofessionnel pour une véritable économie circulaire ! »

* www.aim.be

Margherita Trombetti, AIM

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