RH
Mozaïk RH : impérative diversité
07/04/2020
Comment trouver sa place dans le monde du travail quand on est issu de zones défavorisées, banlieues ou régions éloignées des grandes agglomérations, bien que les idées que certains s’en font sont loin de la réalité. « On ne parle pas des gens qui ont du talent, on ne les voit pas, ne les écoute pas », constate Saïd Hammouche, cofondateur en 2008 avec Estelle Barthélémy du cabinet de recrutement Mozaïk RH, association à à but non lucratif, et en 2016 de la Fondation Mozaïk. « J’ai créé cette association pour rendre visible ces talents, compétences, cette volonté, cette énergie dont les médias ne se font pas l’écho. Notre cabinet atypique de recrutement et de conseils RH spécialiste de la promotion de la diversité a pour vocation de mettre sous les radars des procédures de recrutement les talents cachés issus de territoires moins privilégiés. » Puisque des entreprises s’appuient sur le secteur associatif, en pleine évolution dans son modèle économique, « Mozaïk RH est devenu une fondation actionnaire pour aller plus loin dans les collaborations avec elles, afin de systématiser le recrutement inclusif ». De même que la mosaïque utilise une diversité de fragments de pierre, l’organisation inclusive tient compte de la diversité des talents ; l’heure n’est plus aux ressources humaines mais à leurs richesses. Les entreprises qui communiquent sur leur politique de diversité et d’inclusion sont plus attrayantes pour les candidats, et c’est un outil de motivation pour les salariés.
Contre le clonage au recrutement
Comment appréhender la diversité ? « Il est deux manières de le faire, explique Saïd Hammouche : par l’approche sociale ou la relation à l’autre, ou par la création de synergie, de richesse, de performance. Nous croyons à la méritocratie, aussi voulons-nous faire émerger les gens qui souhaitent réussir. Les quartiers défavorisés regorgent de jeunes talents prêts à se former et à travailler. Le travail est la meilleure des intégrations. L’altérité, l’équité, la performance et l’inclusion font partie des valeurs portées par Mozaïk RH. »
La diversité est sur la place publique depuis 2004 quand, sous l’égide de Claude Bébéar, alors président d’Axa, et de l’Institut Montaigne, auteur du rapport les Oubliés de l’égalité des chances, fut élaborée une « Charte de la diversité ». Depuis 2014, la charte incite les entreprises à garantir la promotion de la diversité dans leurs effectifs[1]. « Les enquêtes menées depuis cette date témoignent que c’est un vrai sujet », souligne Saïd Hammouche. Selon un sondage Élabe de novembre 2019, 86 % des Français estiment que la diversité sociale, culturelle et ethnique est un atout pour le monde du travail. Et selon le Baromètre Assess First de septembre 2019, 97 % des recruteurs la jugent importante pour le succès d’une entreprise et un salarié sur deux pense qu’elle est cruciale.
Le mot égalité n’a pas de pouvoir performatif. « On croit tous à l’égalité, aux valeurs de la République, estime Saïd Hammouche, on croit avoir les mêmes chances, on pense même que le fait discriminatoire n’existe pas et pourtant… »
Comment expliquer la discrimination dans un pays qui s’est construit durant des siècles par adjonction de cultures ? Saïd Hammouche avance deux causes : « Les talents issus des territoires les moins privilégiés sont victimes de stéréotypes du fait de leur prénom, nom de famille ou adresse postale. D’après une étude de l’Institut Montaigne de 2015, un jeune diplômé se prénommant Mohammed doit envoyer cinq fois plus de CV qu’un autre s’appelant Michel et on a 25 % de moins de chance d’être sollicité pour un entretien quand on a un prénom à consonance nord-africaine. » Dans un sondage Élabe pour la Fondation Mozaïk de novembre 2019, 61 % des Français citent le poids des préjugés comme frein à la diversité et 35 % des salariés déclarent avoir été discriminés au travail.
La deuxième cause tient au « clonage de profil » : « Nos organisations ont réussi car elles ont mis en place des procédures, des modèles de reproduction sociale, elles ont sécurisé des modèles, maîtrisé le risque au maximum, et cela a généré des cultures de clonage, de l’entre-soi dans les processus de recrutement », explique Saïd Hammouche. Résultat : « Les formations universitaires sont considérées comme de seconde catégorie. Qui n’a pas la chance de connaître le système d’orientation, n’a pas été coopté, débouche sur l’Université : on concentre des populations qui ont du talent dans des parcours universitaires sans issue ou de deuxième ou troisième niveau ; ils ne savent ce qu’est une prépa, une grande école… » Saïd Hammouche invite les recruteurs à diversifier leurs canaux : « Les grandes écoles sont loin d’être les seules filières regorgeant de talents. »
Partenariat avec l’ANDRH
Ne pas recruter dans la diversité coûte, selon France Stratégie, 150 milliards par an soit 7 % du PIB. Situation paradoxale : alors que le taux de chômage demeure élevé chez les jeunes (50 % dans certains quartiers populaires), 400 000 emplois seraient non pourvus selon le Medef. Le cabinet McKinsey&Company estime qu’une politique de diversité des profils (ethnique, sociale, territoriale) dans l’équipe dirigeante assure 35 % de performance financière supplémentaire. Saïd Hammouche en conclut qu’« il faut placer la stratégie diversité au cœur de la stratégie de l’entreprise » : « Il y a quinze ans, on était encore dans le déni, voire la discrimination. Ensuite, on a fait entrer la diversité dans la seule case de la RSE. Aujourd’hui, il faut changer d’ère, entrer dans celle d’un recrutement qui valorise davantage les compétences sociales et moins la simple technique. »
C’est l’ambition de Mozaïk RH, qui entend accompagner, à travers un réseau de trois mille points de contact dans les quartiers et des partenaires à l’expertise territoriale forte, les entreprises qui rencontrent des difficultés à recruter. Le site DiversifierVosTalents.com propose gratuitement un algorithme de mise en relation des entreprises avec des talents de la diversité : « 85 % des inscrits sur la plateforme ont au moins bac+2, souligne Saïd Hammouche, les candidats sont évalués par des tests de personnalité réalisés par les psychologues du travail d’Assess First et non plus seulement par le traditionnel CV. » Mozaïk Campus accompagne les candidats de manière personnalisée, car certains ne connaissent pas le monde de l’entreprise. « Dès qu’on est étudiant, il faut se questionner, connaître sa vocation, car on se connaît mal, commente Saïd Hammouche. Le recours aux sciences cognitives permet d’évaluer les compétences, de faire émerger les talents naturels et d’associer les organisations et entreprises avec lesquelles l’étudiant est le plus à l’aise, en connivence, car on n’est pas tous fait pour travailler dans un grand groupe. Connaître ses talents renvoie à des métiers qui correspondent à sa vocation. »
Saïd Hammouche distingue deux catégories de jeunes : « Ceux qui ont raté la marche, qui sont au chômage et qu’il faut remobiliser car ils sont volontaires : il leur faut un programme spécifique. Et ceux qui ont une bonne maîtrise des codes et qu’il faut connecter avec le monde économique. » Depuis sa création, Mozaïk a accompagné 1 000 TPE et 80 % des entreprises du CAC 40 ; 7 000 contrats ont été signés. Le cabinet a également un rôle systémique avec le « Top 10 des recruteurs de la diversité »[2] lancé en 2016 et dont le jury est présidé par l’Association nationale des DRH. Cette compétition vise à inspirer les recruteurs dans le repérage des candidats, l’évaluation et l’intégration. Quarante bonnes pratiques ont été recensées, réunies chaque année dans un guide, à l’attention d’entreprises qui s’enrichissent par l’apport de nouvelles compétences et par l’implication des jeunes recrutés.
Recrutement 100 % inclusif
« Avec la Fondation Mozaïk, explique Saïd Hammouche, nous souhaitons professionnaliser notre démarche en garantissant des procédures 100 % inclusives, pour qu’elles deviennent un standard de non-discrimination à toutes les étapes du recrutement. » Quatre règles doivent définir ce standard : garantir une recherche diversifiée des candidatures et une information accessible à un public large ; évaluer les compétences le plus objectivement possible (prise en compte du potentiel au vu des compétences techniques et sociales), à tous les niveaux hiérarchiques (souvent les recruteurs n’ont pas été formés au recrutement) ; assurer une intégration dans l’entreprise accompagnée d’une valorisation de la singularité des profils ; prendre en compte l’inclusion des talents de la diversité dans le projet de l’entreprise et sa stratégie de recrutement : « Notre ambition est double. D’une part faire adopter des méthodes de recrutement avec une notion de standardisation, en outillant les entreprises et en accompagnant les recruteurs, en leur donnant accès à un vivier ouvert grâce à la plateforme Diversifiezvostalents.com. D’autre part faire évoluer les mentalités, sensibiliser l’opinion, les managers, et former dans les universités les futurs chargés de recrutement. »
Afin d’explorer les solutions pour faire de l’égalité des chances une réalité, une cellule d’innovation et d’ingénierie, Mozaïk Lab, assure l’évaluation des actions mises en œuvre par Mozaïk RH et le retour sur investissement social (SROI)[3]. Diversité et efficacité font cause commune.
“Nous avons choisi de mettre l’expertise de Mozaïk RH au service d’un algorithme inclusif”
Entretien avec Saïd Hammouche
Quelles sont les singularités de la fondation actionnaire que vous venez de créer ?
Saïd Hammouche : Une fondation actionnaire est un nouveau modèle entrepreneurial, qui conjugue activités non lucratives et activités commerciales. Les secondes sont réunies dans une filiale commerciale dont les bénéfices remontent à la Fondation, pour contribuer au financement des activités non lucratives. Notre ambition est de maximiser l’impact social de nos actions. Ce modèle a l’avantage de les rendre plus lisibles. Il nous permet d’accueillir de grands mécènes et philanthropes qui souhaitent s’engager à nos côtés dans des programmes non lucratifs.
Que recouvre Mozaïk en termes d’activités ?
S. H. : La Fondation Mozaïk est structurée en quatre pôles. Trois sont non lucratifs. Le pôle « employabilité & transformation » anime le Campus Mozaïk destiné aux candidats (en universités et en projet digital), ainsi que les programmes sectoriels et territoriaux de recrutement (plan « Mille Jeunes dans les quartiers de la politique de la ville »[4], programme territorial de transfert de compétences avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires…). Le pôle « plaidoyer » vise les mentalités par la diffusion de notre problématique auprès des acteurs économiques et politiques et de l’opinion publique. Le pôle « innovation RH et digitale », en quelque sorte notre R&D, incube de nouveaux projets propres à favoriser le recrutement inclusif (notre plateforme DiversifierVosTalents.com est née de cette volonté d’inventer).
Quatrième pôle : les activités commerciales avec le cabinet Mozaïk RH, qui accompagne les entreprises dans la conduite d’un recrutement inclusif, avec trois types de prestations : le conseil des dirigeants, la formation des salariés et le recrutement de diplômés, juniors à seniors, issus de la diversité. Le développement de ces activités s’appuie sur notre réseau territorial déployé dans cinq régions : Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Pays de Loire et Occitanie.
Les algorithmes peuvent-ils ajouter à la discrimination ?
S. H. : Notre partenaire Assess First propose à nos candidats des tests fondés sur les compétences et les soft skills afin de faire correspondre leur profil avec les offres d’emplois du site DiversifierVosTalents.com. Ces tests sont en accès libre sur cette plateforme. Des algorithmes ne peuvent pas se tromper, mais ils peuvent orienter les résultats et reproduire des biais discriminants. C’est pourquoi nous avons choisi de mettre l’expertise de Mozaïk RH au service d’un algorithme inclusif, en partenariat avec Data4job. En ne mettant en avant que les compétences techniques et sociales, nos candidats ont la certitude que leur candidature est traitée de façon équitable et transparente.
Comment repérez-vous les talents dans un territoire défavorisé ?
S. H : Mozaïk RH dispose de quatre antennes en région (Nantes, Lille, Lyon et Toulouse). Afin de repérer des candidats en zone périurbaine, rurales ou en « quartiers de la politique de la ville », nous travaillons en étroite collaboration avec des partenaires fidèles que sont les universités (par exemple Paris-VIII Saint-Denis), des agences Pôle Emploi, des missions locales ou des associations de quartier.
Assurez-vous un suivi des jeunes que vous avez fait embaucher ? Un sondage de satisfaction auprès d’elles ?
S. H. : Oui, nous avons à cœur à garder contact avec les « alumnis » Mozaïk RH, qui sont près de sept mille aujourd’hui. Chaque été, un questionnaire leur est adressé afin de suivre leur carrière. Après chaque placement, l’équipe recrutement de Mozaïk RH évalue la mission auprès de l’entreprise