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IA

Une triple accélération

19/05/2025

Le temps est venu de la conciliation entre les enjeux humains dans l’entreprise, ceux de la durabilité et… ceux des usages de l’IA. Vincent Ducrey, président du Hub Institute, propose une grille de lecture stratégique pour relever ce défi.

Comment, en tant que marque ou en tant qu’enseigne, intègre-t-on l’IA, son empreinte environnementale et ses retombées pour les équipes ? En ayant, répond Vincent Ducrey¹, une vision holistique, dans un temps marqué par une triple accélération : « Celle, explique-t-il, des années 2000 avec le digital, celle de 2015 avec la COP21 à Paris et une vraie prise de conscience par les marques des enjeux de développement durable, et celle de l’organisation des hommes en 2020 avec la crise sanitaire et les nouvelles manières de travailler. » Comment piloter ces trois sujets en même temps pour préparer l’avenir ? « Nous entrons dans l’ère de l’innovation intelligente et frugale. » Il s’agit de faire mieux avec moins. Pour cela il faut « rapprocher les moyens et casser les silos en orchestrant ces trois défis », en respectant quatre principes : simplicité, accessibilité, efficacité, rentabilité – comme Henri Ford avec sa Ford T. Donc « créer les services et produits optimaux véritablement prioritaires, dans un contexte de ressources limitées, en minimisant la complexité et le coût ».

Faire la part du mature et de l’immature

Il ressort des nombreux témoignages figurant dans le livre de Vincent Ducrey qu’« il n’y a plus de projets à plus de quarante-huit mois ». L’auteur distingue les chantiers immédiats, engagés sur les vingt-quatre prochains mois, parfois un « tsunami de sujets », et les chantiers ultérieurs portant sur dix-huit à quarante-huit mois. Période un et période deux. Pour concilier ces deux ordres temporels, il recommande de « les orchestrer en identifiant, dans les projets, les technologies qui ne sont pas encore matures, les budgets insuffisants pour avoir un impact, ou des équipes insuffisantes pour atteindre les objectifs, trois facteurs qui relèvent du next et qui permettent de mieux répartir la charge ». Vient ensuite la vision stratégique pour des sujets transversaux : « La capacité des humains à ingérer de la donnée va rapidement arriver à une limite. Le volume des données synthétiques explose, car l’IA produit sa propre donnée. Il va falloir s’organiser pour avoir ses propres outils de synthèse et aider à prendre les bonnes décisions et à rester agile. »

Cinq piliers stratégiques

Vincent Ducrey distingue cinq piliers stratégiques de l’organisation, qui doivent agir de manière transversale, afin que tous les acteurs puissent se positionner pour contribuer à la triple accélération, dans les deux ordres d’échéance : organisation et finance (dirigeant, MD, directeur des opérations, directeur financier), données et technologie (directeur des données et tech), relations clients et usagers, marketing, communication et vente (directeur marketing, responsable du chiffre d’affaires, responsable de la satisfaction client, gestion de la clientèle), ressources humaines, culture et gestion des talents (DRH et responsable de l’apprentissage), retombées sociales et environnementales, logistique (directeurs RSE, supply chain)…

Pour l’accélération digitale, le pilier « organisation et finance »² devra, dans la période immédiate, « accompagner l’extension de l’analyse de données et de business intelligence », et dans la période suivante « faire progresser l’adoption de l’intelligence et du machine learning ». La mise en œuvre au service de la stratégie financière et décisionnelle doit « fortement progresser » de façon à autoriser l’adoption d’une « approche prédictive, prescriptive, agile, réactive et résiliente ».

Pour l’accélération « développement durable », il sera conseillé par exemple au pilier « relations clients et usagers, marketing, communication et vente », pour la période deux, d’« embarquer les clients dans un comportement responsable ». Vincent Ducrey souligne que « la multiplication des labels éco-responsables a parfois créé la confusion » et juge indispensable de « dépasser l’aspect communication et prouver ses actions de manière mesurables pour embarquer les clients et usagers ». Ce pilier devra donc mettre en place un « comité éthique data et IA », de façon à « garantir une utilisation responsable et transparente des technologies de l’intelligence artificielle et des données » et à « renforcer la confiance des clients, des employés et des parties prenantes en intégrant des principes d’éthique, de transparence et d’équité ».

Question de formation et de bien-être au travail

Pour l’accélération organisationnelle, enfin, le pilier « RH, culture et talent management », par exemple, pourra agir dans la période en devenant une « organisation apprenante par des parcours de formation continus et innovants », en ligne ou non, combinant compétences techniques et générales. Vincent Ducrey recommande aux responsables de l’apprentissage d’innover en termes d’outils et de formats, pour des actions plus rapides afin répondant aux évolutions du marché. Pour la période deux, le même « pilier » doit « renforcer par la formation le couple IA et talent », c’est-à-dire concevoir une formation « personnalisée, permanente et engageante » qui favorise « la complémentarité et la cohabitation entre des IA de plus en plus performantes et autonomes et les équipes opérationnelles ». Parce que le bien-être du personnel devient un enjeu de recrutement, d’engagement et de fidélité, l’enjeu « dépasse le sujet des compétences et de la relation avec l’IA pour intégrer le bien-être et la santé mentale ».

Arbitrage et partage

Reste une interrogation : quel arbitrage entre ambitions et moyens, avec des budgets, des équipes et des technologies qui ne sont pas illimités ? Pour Vincent Ducrey, « on ne peut pas être offensif sur chaque lancement de produit, chaque projet, il faut donc s’entraîner à une logique d’arbitrage permanent ».

La réponse change selon le type d’accélération. Dans le cas de l’accélération « développement durable », la posture pourra être réactive : « L’organisation, explique Vincent Ducrey, agit principalement en réponse à des contraintes réglementaires ou à des pressions internes et externes (clients, actionnaires, parties prenantes). La transition durable est vue davantage comme un coût ou une obligation que comme une opportunité. » Mais elle peut être aussi proactive : « L’organisation prend des initiatives pour devenir un acteur majeur de la durabilité. Elle intègre des pratiques écologiques et sociales dès la conception de ses produits ou services, et souvent au-delà, dans toute sa chaîne de valeur. L’innovation durable est perçue comme un levier de croissance et un avantage concurrentiel. »

D’un façon générale, l’intelligence artificielle doit mobiliser l’intelligence naturelle, dit en substance Vincent Ducrey à l’intention des responsables en entreprise : « Il faut investir votre temps sur le développement de votre esprit critique, car la génération d’insights et de recommandations par l’IA va s’accélérer, et votre esprit critique va être sollicité. » Et à la culture open source va devoir s’ajouter une culture inner source, reposant sur le partage efficace des bonnes données en interne et les moyens de fluidifier les prises de décision.

1. Comment réussir votre stratégie de triple accélération, de Vincent Ducrey et Emmanuel Vivier, accompagné de soixante témoignages de leaders, Hub Institute, 2024.
2.  Les autres « piliers » figurent dans le livre.

Jean Watin-Augouard

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