Entretiens

IA

Défis relevés dans l’agroalimentaire

21/05/2025

L’intelligence artificielle optimise les lignes de production et ouvre la voie au jumeau numérique du vivant, qui pourrait aider à concevoir une alimentation personnalisée. Entretien avec Florine Varin, responsable des partenariats dans l’agriculture et l’agroalimentaire au CEA, et Gregorio Ameyugo, chef du département Intelligence ambiante et Systèmes interactifs au CEA (institut List)*.

Quelles sont les enjeux de l’IA pour l’industrie agroalimentaire ?

Florine Varin : Ces enjeux portent sur le produit et sur le process, avec une constante qui est la soutenabilité environnementale. Le défi est d’avoir la bonne quantité de données au bon moment pour en tirer la valeur ajoutée nécessaire et suffisante afin de prendre des décisions et ajuster des éléments de process et de produits.

Gregorio Ameyugo : Le secteur alimentaire est particulièrement contraint avec des marges réduites. Il faut optimiser les coûts en permanence, il y a donc un fort enjeu de réduction des déchets et d’énergie. On doit également faire face à une volatilité des matières premières, du marché, avec des standards très stricts et une pénurie de main-d’œuvre. Tout cela plaide en faveur de l’automatisation. Mais les produits étant tous différents, parfois souples, déformables, on ne peut pas robotiser comme dans l’industrie automobile. Et si on veut de la flexibilité et reconfigurer les systèmes rapidement, il faut pouvoir le faire sans que soit nécessaire une reprogrammation par des ingénieurs.

L’IA générative permet de fluidifier cette réorchestration, et d’interagir avec les humains de façon plus naturelle. Elle intervient aussi pour reconstruire le réel et de le sémantiser, le rendant exploitable par les machines et les personnes. Par exemple, avec une identification et reconstruction 3D de filets de poulet sur une ligne, un robot de découpe va adapter son action à la géométrie de chaque produit. L’IA offre ainsi une réadaptation en temps réel pour optimiser la production. Le domaine du possible avance rapidement : le processus de génération du modèle 3D à partir d’une caméra prenait des heures avant 2020, quelques minutes en 2022, quelques secondes aujourd’hui.

Quelle est la capacité d’interaction de l’IA générative avec l’humain ?

F. V : À travers une hétérogénéité de données très complexes, l’IA générative est capable d’aller chercher elle-même les informations dont elle a besoin pour construire rapidement la réponse la plus pertinente à une demande humaine : comment adapter au mieux la ligne de production, la présence des équipes, la localisation des stocks.

G. A : Il y a une convergence de différentes informations, et au niveau de la couche la plus haute, il s’agit du langage humain. Cela permet de piloter, de faire des demandes et d’accéder à ces informations sans un processus lourd. Il devient possible de programmer sans savoir programmer.

Un atout pour la sécurité sanitaire et la traçabilité

Quels sont les cas d’usage ?

F. V : Pour le produit, cela concerne par exemple l’amélioration du contrôle qualité automatisé. On va pouvoir identifier des données qui seront révélatrices de contaminations croisées potentielles. Donc avec un mélange de vision et de données issues des capteurs, on peut amener des solutions beaucoup plus rapides pour l’analyse microbiologique ou la traçabilité. L’IA va aussi jouer un rôle dans la personnalisation des produits et donc le développement d’innovations liées aux tendances marché qui évoluent. En production, l’IA intervient dans l’optimisation de la maintenance prédictive, du procédé et de la logistique avec le jumeau numérique. Enfin, elle facilite la formation des opérateurs.

G. A : Le tri et la découpe sont des exemples d’applications. Mais aussi ce qu’on appelle la conscience situationnelle. Avec l’IA générative, on numérise l’environnement réel et on l’interroge. Et on peut donner des informations aux humains et aux robots. En reprenant l’exemple des filets de poulets, l’opérateur interroge son oreillette pour savoir où est une caisse manquante, et celle-ci est localisée grâce aux informations remontées par d’autres capteurs, mises en commun pour être interrogées en langage naturel.

À quels types de projets participe le CEA-List ?

F. V : Le CEA participe à plusieurs projets dont certains européens. Parmi eux, Pick a Future concerne le développement de technologies de préhension robotisée de poissons, couplées à des solutions de vision 3D. Pendant le tri automatisé, il y a aussi une vérification de la fraîcheur des produits. Une start-up développe des préhenseurs flexibles, bientôt sur le marché. Un autre projet a été conduit il y a quelques années avec Guelt et Siemens pour le développement d’un jumeau numérique immersif et interactif d’une ligne de conditionnement industriel, afin de rendre le système plus flexible et de s’adapter au mieux aux demandes de production. Cette solution continue d’être améliorée avec l’IA générative. Nous travaillons aussi sur ce qu’on appelle l’IA hybride, la combinaison des modèles d’intelligence artificielle génératifs avec d’autres outils logiciels plus déterministes, ce qui fiabilise le résultat.

Et demain ?

G. A : Il y a d’importants projets de R&D impliquant le monde médical, pour créer des jumeaux numériques du vivant, capables de modéliser le fonctionnement des organes, ou du microbiote pour concevoir une alimentation personnalisée. Ces développements seront progressifs même s’il existe déjà des niveaux de modélisation pour orienter des choix d’alimentation.

Comment le CEA est-il impliqué sur ces sujets ?

F. V : Un des objectifs du CEA est de renforcer la compétitivité industrielle par l’innovation. Pour cela, nous développons et transférons des technologies aux industriels, en particulier sur les énergies bas-carbone et le numérique. Et l’agri-agro fait partie des filières structurantes pour le CEA. Au CEA, il y a un point d’entrée identifié pour le secteur agroalimentaire, mais derrière, il y a plus de vingt mille personnes qui cherchent et trouvent. Nous pouvons ainsi adapter et déployer des innovations qui viennent des domaines de l’énergie, de la défense ou de l’aéronautique : les préhenseurs que j’évoquais viennent de nos travaux sur les bras robotisés pour le nucléaire…

* Dépendant du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA List exerce une « mission de soutien à la compétitivité des entreprises par le transfert technologique et d’innovations ».

Propos recueillis par Isabelle Gattegno (Icaal)

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.