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Usines

IAA, au seuil de l’ère 4.0

28/03/2022

Des dispositions culturelles ou des moyens financiers manquent souvent dans le tissu industriel très morcelé de l’industrie agro-alimentaire, pour une large « conversion 4.0 ». Mais les grands groupes ont donné le la, avec des usines « plus, plus, plus ». Entretien avec Jacques Renault, fondateur de Funae*.

Le secteur industriel des produits de grande consommation est-il à l’heure de l’usine 4.0 ?

Jacques Renault : Pour le secteur agroalimentaire, le retard est certain, mais il n’est pas si important que cela. La dynamique est constatable pour ce qui est de l’équipement en robots, qui sont en croissance significative dans les trois dernières années. Cependant le taux d’équipement reste faible, et les robots font partie de la troisième révolution industrielle, pas de la quatrième.

Si on parle de « digitalisation », parfois assimilée au « 4.0 » à tort, le retard est encore important : la diffusion des ERP est encore limitée aux grosses PME et aux grandes entreprises, alors que le tissu économique est fait de petites PME ou de TPE. La diffusion de la GMAO [1] et de la GPAO [2] est encore très incomplète ; idem pour la diffusion des logiciels de type MES (“Manufacture Execution System”) [3], qui permettent de suivre la qualité, la production, la traçabilité, la performance… On est loin de la mise en œuvre de l’intelligence artificielle.

Cobotique émergente dans les IAA

Qu’est-ce que signifie surtout, en pratique, au vu d’un équipement industriel antérieur, la conversion « 4.0 » ?

J. R. : On parle de l’usine 4.0 en évolution par rapport à l’usine 3.0. La première couche est la mise en œuvre logicielle, où on connecte les machines aux dispositifs MES. Il n’y a pas encore de mise en œuvre de l’intelligence artificielle dans la conduite des procédés ou dans le pilotage de l’énergie à une échelle significative, mais quelques expériences démarrent.

Les industries agroalimentaires commencent à s’intéresser à la cobotique [4], mais elles butent sur des questions de faisabilité. Et à la réalité virtuelle, mais elles butent sur une question de coûts. La culture de l’investissement dans les « machines de process », c’est-à-dire le réflexe sécuritaire qui consiste à s’adresser aux fournisseurs de machines qui n’ont pas forcément l’attitude de pousser vers le 4.0, n’aide pas non plus à l’innovation.

Quelles entreprises de ce secteur sont les pionniers de cette conversion en France ?

J. R. : Les grosses entreprise qui peuvent se permettre de financer des phases exploratoires, et qui « intéressent », en tant que cibles, les entreprises technologiques. En plus, elles ont les ressources internes pour mener les projets. Il y a aussi des start-up attirées dans un mouvement vers tout ce qui est nouveau et qui n’ont pas peur d’explorer ; le contexte nécessaire pour elles est la réussite des levées de fonds.

Dans les IAA, la numérisation des procédés industriels et des organisations connaît-elle des niveaux d’avancement très contrastés recoupant des catégories de produits, des contraintes ou des cultures propres de filières ?

J. R. : Difficile de dégager des tendances différenciantes selon les filières. Disons que les filières et les entreprises innovantes sont plus enclines à innover aussi dans l’utilisation des technologies. C’est souvent l’apanage des leaders de leurs secteurs. Il est à noter que le monde agricole est beaucoup plus technophile que le monde agroalimentaire.

Coûts souvent surestimés

Pour ce que vous avez pu constater, quelles sont les ordres de grandeur de l’investissement nécessaire ?

J. R. : De l’ordre de 20 à 80 k€ pour un cobot, de 80 k€ à quelque 1 M€ pour un robot, de 100 k€ pour la mise en œuvre pour de l’intelligence artificielle en conduite de process (pour un modèle de ligne automatisée), de plusieurs dizaines de k€ pour un environnement de réalité virtuelle en vue d’une formation à la gestuelle métier, de 50 à 150 k€ pour la mise en œuvre d’un MES… Chez Funae, nous notons que les investissements réels sont souvent inférieurs à ce que les décideurs s’imaginent.

Pour les acteurs industriels, quels sont les freins, plutôt financiers, ou culturels (méconnaissance des solutions innovantes) ?

J. R. : Les freins financiers sont souvent évoqués, mais mon analyse et qu’ils sont plus culturels et résultent souvent d’un manque de connaissance. Les logiques de retours sur investissement « courts » amplifient ce handicap. Funae recommande d’évaluer les gains avant d’évaluer les coûts.

Usine 4.0 égale usine propre ?

J. R. : Oui, Usine 4.0 égale Usine plus, plus, plus sur tous les sujets : sécurité des personnes, sécurité alimentaire, qualité des produits, productivité et performance industrielle, ambiance de travail, attractivité.

Dans un investissement vers l’usine 4.0 quelle est l’importance des actions de formation ?

J. R. : Ces actions sont beaucoup plus importantes que ce qui est perçu, et prévu par les entreprises ; il y a un sous-investissement critique dans les actions de formation.

Ces actions sont-elles bien accueillies par les personnels ?

J. R. : Quand elles sont bien conçues et bien animées, oui. Funae recommande de former dès la phase de conception.

* https://www.funae.fr.

[1] « Gestion de la maintenance assistée par ordinateur » : assure le maintien en bon fonctionnement des équipements industriels par la planification et l’exécution des maintenances préventives, curatives et prédictives.
[2] « Gestion de production assistée par ordinateur » : planification et suivi des flux physiques et financiers de l’activité.
[3] Gestion des processus industriels par la collecte de la donnée en temps réel.
[4] Domaine de la collaboration homme-robot.

Propos recueillis par Francois Ehrard

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