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Rencontre

“Hausses généralisées des coûts : un défi de souveraineté”

16/09/2022

L’Ilec organise régulièrement des réunions entre parlementaires et dirigeants d’entreprises de grandes marques. Ces rencontres sont l’occasion d’échanges sur les attentes des citoyens, des salariés et des consommateurs français, pour dégager des pistes d’action. Devant l’inquiétude suscitée par la hausse du coût des intrants industriels (emballages, transport, énergie) et des matières premières agricoles, l’Ilec a réuni le 26 juillet dernier quinze dirigeants d’entreprises de la de grande consommation et douze parlementaires, autour des causes de l’inflation et des défis des prochains mois.

Richard Panquiault, directeur général de l’Ilec, a rappelé dans sn propos introductif la déflation longtemps subie par les marques nationales. Pendant neuf ans de 2013 à 2021, les industriels ont été forcés de vendre leurs produits (alimentaire, détergents, cosmétiques, etc.) moins cher que l’année précédente. Deux milliards et demi d’euros ont été perdus par les adhérents de l’Ilec dans cette période, tandis que les consommateurs ont bénéficié d’une baisse de prix sur ces marques de 8 %. La déflation des prix de cession des industriels et des prix de revente aux consommateurs s’est traduite par une baisse drastique de la rentabilité des entreprises de marques. Elle a mis en péril l’attractivité de la France dans ce secteur clé, menaçant par conséquent la souveraineté de notre pays dans la fabrication de biens jugés essentiels par les consommateurs pendant la crise sanitaire.

L’année 2022 a été celle d’une rupture avec le retour de l’inflation. Les industriels ont dû parvenir à répercuter une partie de leurs coûts pour continuer à produire et pour rémunérer les producteurs agricoles, et en même temps contribuer à maintenir des prix consommateurs attractifs. Pour la première fois en neuf ans, ils ont réussi à vendre leurs produits aux distributeurs plus cher que les années précédentes. Cependant, cela n’a permis de couvrir que le tiers de leur besoin : l’augmentation des prix a été en moyenne tous produits de grande consommation de 3,5 %, alors le besoin de couverture des hausses de coûts à la production aurait nécessité en mars une hausse des tarifs de 9 à 10 %. Et après mars, l’inflation des coûts s’est accentuée, créant une situation inédite, en France om les négociations commerciales sont très encadrées, sur la base d’un contrat annuel : la hausse ininterrompue du coût des intrants et les pénuries ont imposé des renégociations dans toutes les catégories de produits.

Le directeur général de l’Ilec a rappelé le rôle essentiel du Législateur sur ces questions. Les lois Égalim ont protégé la matière première agricole, mais des failles persistent. Et ces lois ne protègent pas les produits d’hygiène et d’entretien entre autres, qui subissent de plein fouet la pression des enseignes de la grande distribution. En outre, la loi ne se prononce pas sur les règles applicables hors période de négociation annuelle, soit de mars à fin novembre, alors que l’inflation et les pénuries imposent aux industriels d’adapter constamment leurs tarifs. Le Parlement aura donc à prendre des décisions dans les prochains mois et à les expliquer au grand public. C’est pourquoi l’Ilec a souhaité leur donner l’occasion de croiser leurs points de vue avec celui des entreprises, pour éviter les faux procès en cette période de hausse inévitable des prix.

Marques engagées dans la transition écologique

Béatrice de Noray, directrice générale du groupe Bel pour la France, a présenté les enjeux liés au maintien de la production en France. Bel est une entreprise familiale indépendante âgée de cent cinquante ans qui produit notamment les marques Babybel, La Vache qui rit, Pom’potes o Boursin. Elle a une forte présence en France, où elle compte trois mille de ses douze mille salariés, dix centres de production et de recherche ; 99 % de ses produits vendus en France y sont fabriqués.

Les plans de décarbonation de Bel, validés par ÉcoVadis [1], respectent l’Accord de Paris sur le climat. Les investissements réalisés en la matière pour les produits de Bel représentent, à l’échelon mondial, 50 millions d’euros par an. Ils ont un rôle pionnier, en entraînant leurs filières amont et tout un écosystème ; ainsi pour Bel, huit cents éleveurs partenaires se sont engagés dans des actions de décarbonation.

L’hyperinflation qui touche certains intrants met à mal la capacité des entreprises à confirmer les objectifs de transition décidés avant la crise, qui nécessitent des investissements lourds sur le long terme. Bel est aussi confrontée à une baisse de la production laitière, qui pourrait atteindre 15 % et menacer la souveraineté alimentaire de la France. Pour cette filière il importe de redonner de la valeur à l’alimentation dans l’esprit des Français et dans le budget des foyers.

Nicolas Liabeuf, président d’Unilever France, a évoqué la question majeure de l’attractivité de la France pour les biens de consommation non- alimentaires, en insistant sur les effets de bord des lois Égalim. En France, Unilever réalise 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, emploie deux mille personnes avec un taux de pénétration dans les foyers de 98 % entre l’alimentation, spécialement les glaces, les produits d’entretien et d’hygiène-beauté. La moitié de son chiffre d’affaires est produit en France (65 % pour la partie alimentaire), dans ses usines de Côte d’Or, de Haute-Marne et de l’Oise.

La stratégie de développement d’Unilever est indissociable de son objectif de faire du développement durable un standard. Pour la douzième année, Unilever s’est classé en tête du GlobeScan Sustainability [2], une enquête conduite auprès de sept cents experts (gouvernements, ONG, académiques) de soixante-treize pays, sur l’engagement environnemental des entreprises.

Une des plus faibles rentabilités en Europe

Nicolas Liabeuf le souligne : de manière générale, mais pas dans les industries de PGC, les cinq dernières années ont permis d’accroître l’attractivité de la France, grâce aux mesures touchant les impôts de production et l’impôt sur les sociétés, à la protection des emplois et des entreprises. De manière générale, la marche des affaires a été favorisée en France. Cependant, les industries de la grande consommation y sont confrontées à des enjeux de plus en plus complexes. Depuis bientôt dix ans, on y observe une baisse structurelle des prix et une absence de croissance, ce qui génère une destruction de valeur de plusieurs milliards et une baisse structurelle de la rentabilité des groupes implantés en France, une des plus faibles rentabilités en Europe.

Les lois Égalim 1 et 2 ont permis de protéger les matières premières agricoles des variations de valeur. C’est un bon début, mais c’est insuffisant. D’autant plus que dans un contexte de perturbation des chaînes logistiques européennes, les grands groupes favorisent les pays à plus fortes marges. C’est ainsi que la moutarde et certains produits d’hygiène ont plus manqué aux consommateurs français qu’aux consommateurs d’autres pays.

Pour Nicolas Liabeuf, il faut étendre à l’ensemble des produits de grande consommation, y compris les détergents et produits d’hygiène, les dispositions de protection des lois Égalim : étendre la protection qui vaut pour les matières premières agricoles à l’ensemble des matières premières industrielles (emballages, énergie et transport), afin de conserver et de renforcer l’attractivité de la France, et sa souveraineté.

Thierry Gaillard, président de Carambar & Co, a exposé le point de vue d’une entreprise de taille intermédiaire, créée il y a cinq ans et rassemblant une douzaine de marques achetées à un grand groupe américain. Cette entreprise a quatre ambitions. La première est de redresser et de moderniser des marques laissées à l’abandon. La seconde est de fabriquer les produits de ces marques françaises en France : production, approvisionnement et une partie des emballages ont ainsi été relocalisés, et 65 % de leur production est effectuée en France, 99 % provenant au total de l’Europe continentale. La troisième ambition concerne la santé, la responsabilité de l’entreprise dans l’innovation et dans la reformulation de ses produits. 50 % de sont chiffre d’affaires provient des exportations.

Pour Thierry Gaillard, nombreux sont les atouts du « produire en France » : niveau d’infrastructures élevé, agriculture et capacités de production de haut niveau, baisse des impôts de production, crédit impôt-recherche, plan France Relance… La suppression attendue de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) va dans le même sens.

Menaces pour la survie des ETI françaises

Mais côté faiblesses, Thierry Gaillard souligne la difficulté des relations entre l’industrie et le commerce en France, mise en lumière par l’inflation. De ce fait, si depuis quelques mois, les prix de vente aux   substantiellement augmenté aux États-Unis, en Angleterre ou en Allemagne, ils ont beaucoup moins augmenté en France. Soixante pour cent de la valeur d’une tablette de chocolat Poulain ou d’un Carambar proviennent des matières premières et de l’emballage. Depuis dix-huit mois, le coût de ces deux composantes a augmenté de 35 %. Le prix de la tonne de sucre est passé de 350 à 900 euros. C’est la survie de l’entreprise qui est en jeu dans les deux prochaines années, car l’entièreté du profit de l’entreprise pourrait disparaître dans les mois à venir si elle ne parvient pas à transférer à ses clients et aux consommateurs une partie de la hausse.

Les parlementaires ont remercié l’Ilec et ses adhérents pour la présentation de ces éléments de fond, et pour les actions des entreprises de marques en faveur de la transition écologique et de la souveraineté industrielle.

Frédéric Descrozaille, député du Val-de-Marne, a souligné les effets, reconnus comme néfastes par les lois Égalim, du monopsone qui caractérise le secteur alimentaire : les prix, les marges et les salaires baissent, et il empêche l’innovation, la segmentation, rendant ainsi plus compliquée la création de valeur. Le député a rappelé la mission lancée par Bruno Le Maire pour évaluer les conséquences de l’inflation dans le domaine de l’agriculture. La France amortit mieux la volatilité des coûts que ses partenaires européens. L’alimentaire devrait se permettre d’augmenter les prix, afin de générer des marges, tout en faisant preuve de pédagogie auprès dues consommateurs sur les effets réels de cette hausse, qui aurait un effet limité sur le budget des ménages. Frédéric Descrozaille a proposé la création d’un groupe d’études sur les produits de grande consommation et les relations commerciales, pour évaluer les effets des mesures déjà adoptées dans les lois Égalim et les ajuster au mieux à la réalité.

Richard Ramos, député du Loiret, a rappelé l’importance du rôle des parlementaires sur le sujet : ils ont une sensibilité et un rôle différents de ceux du gouvernement. Le ministère de l’Économie et des Finances a depuis des années tendance à se focaliser sur la baisse de l’inflation, tandis que les députés s’inquiètent de la santé des entreprises et de la continuité de la production en France. Et Richard Ramos de rappeler le rôle de relais des députés français pour sensibiliser les parlementaires européens aux problématiques liées aux centrales d’achat internationales, comme Eurelec, qui contestent parfois l’applicabilité du droit français à des négociations intéressant le marché français.

[1] https://ecovadis.com/fr/
[2] https://globescan.com/2022/06/23/2022-sustainability-leaders-report/

Antoine Quentin

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