Bulletins de l'Ilec

Redéfinir et inventer - Numéro 473

15/06/2018

Retoucher la définition de l’entreprise par le Code civil sera bienvenu mais pourrait n’être que formellement universel, sans effet pour les PME. D’où l’intérêt d’envisager un statut optionnel « à objet social élargi ». Entretien avec Stanislas Guerini, député de Paris, porte-parole du groupe LREM

Les recommandations 11 et 12 du rapport Nota-Senard1 traitent de la création d’un statut juridique ad hoc d’entreprise à mission ou à « objet social élargi », idée présente aussi dans le document « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises – Restitution des travaux conduits par les parlementaires et les chefs d’entreprise »2 (« thème 2 ») de décembre 2017. Les parlementaires en ont-ils convaincu le gouvernement ?

Stanislas Guerini : Oui, cela fait partie des recommandations que j’avais pu faire, avec Agnès Touraine, à Bruno Le Maire, et cette recommandation a été partiellement reprise par le rapport Notat-Senard, qui pose l’idée que chaque entreprise puisse définir sa raison d’être, à la fois dans l’article 1835 du Code civil et dans le Code de commerce. Cette proposition, j’en suis convaincu, sera retenue par Bruno Le Maire.

Pour autant, à titre personnel en tant que parlementaire, je pense qu’il faut aller plus loin. Je ferai la proposition, peut-être l’objet d’un amendement, de créer un statut spécifique dans la loi au même titre que nous avons les SA, SAS ou SARL. Ce statut porterait le nom de société à objet social élargi (SOSE) et serait accessible notamment aux petites entreprises. J’ai la conviction que la raison d’être définie dans l’article 1835 ne s’adresserait qu’aux grands groupes, qui disposent de services juridiques étoffés et sauront s’emparer de l’idée, alors que les PME en sont souvent démunies. Il faut envoyer un signal politique plus concret en créant un statut nouveau. À la double condition qu’il n’ouvre pas d’avantage fiscal, car les entreprises qui intégreront cet objet social élargi n’en auront pas besoin pour réussir mieux dans le temps long et attirer les talents, et que, deuxième condition, on évite une usine à gaz : que ce statut ne soit pas plus compliqué qu’une SAS. Il faudrait également prévoir une gouvernance associée, c’est-à-dire un comité d’objet social élargi garant de son suivi par les dirigeants de l’entreprise.

Comment et par qui ce comité serait-il constitué ?

S. G. : Il reviendrait à l’entreprise de définir le tour de table en faisant une analyse de matérialité, en évaluant elle-même les impacts qu’elle a sur l’extérieur, son environnement. Chaque entreprise a ses propres impacts, une entreprise de services comme une entreprise industrielle, aussi les membres des comités seront le reflet de ces différents impacts.

Comme le laisse entendre la tribune des parlementaires LREM du 3 mai3, la majorité se dirige donc plutôt vers un élargissement général de l’objet social avec « l’obligation pour l’entreprise de “considérer les enjeux sociaux et environnementaux de son activité” en lui permettant de définir sa “raison d’être” ».

S. G. : Oui, la majorité non seulement va intégrer cet élargissement, mais elle va aller plus loin, car écrire dans le Code civil (article 1833), les enjeux sociaux et environnementaux est une occasion pour les entreprises de faire la démonstration auprès du grand public qu’elles ont déjà changé dans leur quotidien. C’est l’objet de notre tribune, alerter le patronat, pour qu’il n’ait pas dix ans de retard. C’est un signal politique important que d’offrir cette reconnaissance dans le Code civil.

« Considérer », qu’est-ce que ça implique, qu’est-ce que ça suscite d’opposable ?

S. G. : C’est une crainte souvent formulée par le patronat. Or les entreprises ont déjà des contraintes normatives, sociales, qui les conduisent à considérer les enjeux sociaux et environnementaux dans leur activité. Pourquoi seraient-elles plus attaquées demain qu’aujourd’hui ? En l’inscrivant dans le Code civil, on offre une reconnaissance aux entreprises qui ont déjà fait le choix d’agir différemment, et on les protège d’une contestation d’actionnaires hostiles aux modèles alternatifs quand elles utilisent une partie de leur profit à des enjeux environnementaux. L’entreprise sera demain sécurisée.

Pourquoi se référer à ces « enjeux sociaux et environnementaux » plutôt qu’à la notion plus vaste de bien commun ?

S. G. : Nous avons ressenti la nécessité d’incarner, d’être concret, car la notion de bien commun est très large, abstraite. Les enjeux sociaux et environnementaux sont plus parlants, même si la notion de social demeure englobante.

Y aura-t-il quelque chose sur la création de comités de parties prenantes (recommandation 4 du rapport Notat-Senard, déjà en usage chez Axa ou Michelin) ? Est-ce indispensable pour « considérer les enjeux sociaux et environnementaux » d’une activité ?

S. G. : Oui, je le crois, je suis très convaincu par cette proposition, qui ne doit pas être de nature législative mais faire partie des codes de gouvernance des entreprises. Je plaide, et c’était l’objet de la tribune dans les Échos, pour que les entreprises cotées de notre pays intègrent ces comités de parties prenantes et l’inscrivent dans leurs codes de gouvernance. Ces codes sont aujourd’hui bien suivis, avec le principe du « appliquer ou expliquer ». Les entreprises volontairement soumises à un code de gouvernance doivent en appliquer les dispositions. Elles peuvent, en vertu de ce principe, y déroger, mais doivent motiver leur choix de façon claire et précise4. Les entreprises françaises suivent de façon de plus en plus convergente le code de gouvernance Afep-Medef.

Je pousse le patronat à inscrire les comités de parties prenantes dans ce code et dans le code Middlenext. Je suis surpris que le haut comité de la gouvernance d’entreprise (HCGE), l’instance qui contrôle l’application du code Afep-Medef, ne soit composé que de membres de l’Afep et du Medef. C’est une anomalie, en contradiction avec ce que pratiquent nos voisins européens, britanniques, américains, que de ne pas avoir une gouvernance élargie au monde universitaire, aux investisseurs, qui lui donneraient davantage de force et de crédit. Il faut élargir à d’autres acteurs l’écriture et le contrôle du code. Je plaide pour l’inscrire dans le droit souple, mais si les représentants du patronat renâclent et ne souhaitent pas bouger sur ces sujets, le législateur sera conduit à prendre le relais. Il ne doit pas s’interdire d’agir en cas de silence.

Afin de leur garantir un actionnariat stable, est-il envisagé une réduction de la fiscalité sur les plus-values pour la détention longue d’actions d’entreprises dont l’impact social et environnemental positif aurait été évalué et validé ?

S. G. : Non, car les enjeux d’un actionnariat responsable dépassent celui de la durée de détention des actions. La clé d’entrée est autre et repose sur deux types d’investissements : indiciel quand on achète aveuglément des actions, et fondamental quand on analyse les fondamentaux de l’entreprise et sa capacité à produire de la valeur dans l’avenir. Cela me semble un meilleur clivage que des actions courtes ou longues. Un fonds d’investissement comme Blackrock a une durée de détention des actions quasi infinie : il est actionnaire de L’Oréal tant que le groupe est au Cac 40. Pourquoi favoriser des acteurs qui privilégient l’investissement indiciel et qui demeurent néanmoins sur le long terme ? La durée de rétention n’est pas le bon critère. Je ne modifierais pas l’équilibre qui avait été trouvé, avec les dispositifs Montebourg, sur la durée de détention de deux ans.

Et des mesures visant à favoriser le financement participatif ?

S. G. : Oui, je pense qu’il y aura des dispositifs dans la loi Pacte pour le favoriser. Le financement participatif développe le financement responsable, qui doit être soutenu.

Comment inciter les grandes entreprises à proposer des « gouvernances de compagnonnage » dans leurs bassins d’activité, dans l’esprit de l’écologie industrielle des territoires ?

S. G. : Il faut accompagner nos petites entreprises, aussi avec Agnès Touraine j’avais formulé cette proposition, car trop d’entre elles, qui supportent beaucoup de contraintes réglementaires, choisissent la SAS pour échapper à ces contraintes. Ce faisant, elles passent à côté des aspects positifs de la gouvernance, comme se faire conseiller et rompre la solitude du patron de PME. Il n’est pas nécessaire de recourir au législatif ; en revanche, il faudrait un plan d’accompagnement de nos PME s’appuyant sur les réseaux de la BPI et des chambres de commerce et d’industrie, pour créer des pactes d’actionnaires, mettre en place des plans d’intéressement des salariés, etc.

Quelles mesures se dessinent pour « favoriser l’accès des PME-TPE aux achats des grands groupes », comme l’idée avait été avancée lors des travaux préparatoires ?5

S. G. : Je soutiens cette idée, mais je ne l’ai pas formulée, aussi je ne connais pas les dispositifs qui seront prévus. L’idée d’un « smal business act » est très bonne, et la puissance publique doit montrer l’exemple sur ce type de sujet, avec le Code de marchés publics.

La France doit-elle défendre auprès de l’UE la création d’une instance de labellisation (recommandation 13 du rapport Notat-Senard) des entreprises à « objet social élargi » ?

S. G. : Je propose de mettre tout de suite l’objet social élargi dans la loi, on sera ainsi moins dépendant d’une agence de labellisation. La France doit montrer le chemin, se doter d’un outil de soft power en créant un statut dans la loi, qui serait plus puissant qu’une labellisation. Pour autant, il faut parallèlement avancer sur le sujet de la labellisation, et je propose de le faire par branches d’activité, afin de s’adapter à la réalité de l’entreprise.

1. https://is.gd/j5zfBa
2. https://is.gd/YdDMPp.
3. https://is.gd/7f3Hv6.
4. Ce principe a été introduit aux articles L. 225-68 alinéa 2 et L. 225-37 alinéa 2 du Code de commerce par la loi du 3 juillet 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire. Il est aussi défini par le code Afep-Medef, qui le qualifie de « règle fondamentale ».
5. « Plan d’action… », thème 1, prop. 4, https://is.gd/YdDMPp.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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