Bulletins de l'Ilec

Croissance d’abord, régulation ensuite - Numéro 435

01/05/2013

En vue d’un impact économique de l’ingénierie des données aussi favorable que possible pour l’économie française, les politiques doivent défendre les interfaces ouvertes. Entretien avec Gilles Babinet, chargé des enjeux du numérique pour la France auprès de la Commission européenne

La révolution « big data » détruit-elle des métiers, autant qu’elle en crée, notamment en évitant des rapports et ou études ?

Gilles Babinet : Il est encore difficile de répondre. Le « big data » doit sans doute avoir un effet comparable au numérique au sens large. Les relocalisations d’emplois et de valeur sont très difficiles à mesurer. D’une façon générale, on considère que le numérique accroît la création de valeur et probablement la répartition des richesses.

Y a-t-il un enjeu de souveraineté ? Un grand opérateur global de l’économie numérique est-il susceptible de différencier sa politique tarifaire pour des motifs politiques ?

G. B. : Non seulement il y a un enjeu de souveraineté, mais il est fondamental. Regardez l’industrie du tourisme. Expedia, Hotels.com, TripAdvisor et consort ont tout simplement aspiré la marge de ces secteurs. Le départ récent du PDG du groupe Accor illustre une prise de conscience encore limitée des actionnaires du Cac 40 face à cette fragilité.

Y a-t-il un risque de fracture économique entre grands groupes et PME par la capacité à user des données ?

G. B. : Pas vraiment, car ces technologies sont dans le « Cloud », le Nuage. Une petite PME a potentiellement accès aux mêmes technologies que les grands groupes. L’imagination et l’expertise deviennent déterminantes.

L’appartenance linguistique exerce-t-elle une influence sur l’économie numérique ?

G. B. : Oui, par exemple dans le cas des ontologies médicales : le fait d’avoir une grosse masse de donnée en anglais simplifie considérablement la recherche de « paterns » dans les données, et donc la découverte de modèles pathologiques.

La collecte de l’information coûte peu (à Facebook et autres), mais son traitement est coûteux. Est-il en train de se dévaloriser avec les algorithmes adaptés au big data ?

G. B. : C’est tout l’enjeu du big data. Après avoir réduit à zéro les coûts de stockage et de distribution, la technologie réduit également à zéro ou presque les coûts d’algorithmie.

Toutes les données, directes, comportementales, déclaratives, transactionnelles, sont-elles toutes à considérer comme des ressources valorisables et fiscalisables ?

G. B. : Le rapport Colin et Collin ne dit pas cela. Il estime que si les données ne sont pas accessibles à leurs propriétaires, les entreprises, qui créent de la valeur à partir de ces données, doivent être fiscalisées, ce qui est différent.

La fiscalité incitative appliquée à la collecte et au traitement que suggère le rapport Colin et Collin pourrait-elle mettre à contribution les « entreprises globales de l’économie numérique » sans pénaliser la profitabilité des opérateurs nationaux qui acquittent déjà l’IS ?

G. B. : Non, et à ma connaissance ce n’est pas l’idée. L’idée est de créer un écosystème favorable aux interfaces d’application ouvertes (API : application program interfaces), donc favorable à la création d’une économie de l’API.

Le rapport Colin et Collin propose, dans le périmètre des entreprises « en amorçage dans l’économie numérique », la fusion du CIR et du statut jeune entreprise innovante (JEI) : quelles seraient les entreprises visées ? Comment traiter celles dont la R&D ne concerne pas seulement le numérique ?

G. B. : Tout cela est à reconsidérer dans le cadre des annonces faites par le Président. En réalité, tous ces mécanismes sont assez complexes et nécessitent un toilettage, a minima.

En plus de la collecte et de traitement, va-t-on vers un marché de la protection des données ?

G. B. : Je parlerai plutôt de management de données. Les entreprises qui ne percevront pas que leurs données sont des ressources stratégiques se mettront en grand danger. Celles qui chercheront à les cacher ne feront que construire des châteaux de sable face à la marée montante.

Quelles sont les politiques publiques engagées autour du marché des données (en vue de le réguler ou de le structurer) ?

G. B. : En France, la Cnil dit s’emparer du sujet, et exprime l’inquiétude que la synchronisation de jeux de données différents puisse permettre de réidentifier les utilisateurs. Il me semble qu’il est nécessaire de laisser l’innovation agir avant de réguler, plutôt que de prendre le risque de nous mettre dans une situation d’infériorité par rapport à d’autres régions du monde qui n’auraient pas eu cette approche.

Dans la prolifération des bases de données, le droit à l’oubli est-il chimérique ?

G. B. : On parviendra sans doute à prévoir un droit à l’oubli auprès des grands acteurs, mais sur le fond, c’est un leurre ; il suffit de connaître un petit peu le fonctionnement de l’internet pour savoir que sa mémoire est sans limite et qu’il lui est de plus en plus difficile d’oublier. De nombreux acteurs se sont lancés dans le stockage de la mémoire du Web.

Les relations interentreprises sont elles exposées au déluge de données ? Les grands opérateurs (Google, FB et autres) s’intéressent-ils aussi aux données B2B ?

G. B. : Ces acteurs, et surtout ceux qui sont déjà présents dans les entreprises (Salesforce, Omniture), aimeraient beaucoup réexploiter ces données. Pour l’instant, les entreprises se défendent mieux que les particuliers, mais pour combien de temps ?

Propos reccueillis par J. W.-A.

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