Bulletins de l'Ilec

“Data”, priorité stratégique chez Auchan - Numéro 435

01/05/2013

Le commerce traditionnel a été jusqu’à présent peu préoccupé de données clients. Devenues numériques et capital précieux, les données changent la donne. Entretien avec Martine Demaret, directrice études et données, Auchan France.

Les données sont-elles devenues seulement beaucoup plus massives, ou plus diverses et nouvelles en qualité ?

Martine Demaret : Elles sont à la fois plus nombreuses et de sources plus variées, notamment les données captées sur les parcours numériques de navigation, internet, mobile. Les données sont moins structurées que celles que nous avions, auparavant, l’habitude de traiter, des données plus formatées comme les comportements d’achat, les tickets de caisse, les commandes. Derrière le big data, il y a un enjeu de massification du volume des données et de capacité à traiter des données très diverses, sur le plan de la forme comme du contenu. Il y a aussi le pari de trouver les bons moyens pour tirer les informations essentielles, pertinentes, des données, et créer de la valeur ajoutée. Il faut donc trouver les bons niveaux d’agrégat, les bons niveaux de rafraîchissement, pour utiliser les données de façon optimale.

Big data et ses outils marquent-t-ils la fin du gaspillage de données ?

M. D. : Oui et non. Oui, car les outils ont pour ambition d’aider à mieux qualifier les données, à faire le tri, à analyser, à trouver les bons modèles de corrélation. Non, car face au volume des données, il y a bien sûr un risque d’éparpillement, on peut se perdre dans le flot d’information. Il est donc nécessaire d’avoir toujours des démarches pragmatiques et itératives, pour éviter de s’égarer dans la masse des données comme ce fut le cas, au début des années 1990, quand on a commencé à traiter les données de caisses. On peut se perdre si on n’a pas un objectif de métier précis. Il faut rester vigilant et exprimer clairement la problématique, avant de démarrer toute analyse.

La question du big data est-elle apparue chez Auchan comme un tournant dans sa stratégie, et si oui, quand et comment ?

M. D. : Un tournant, oui, et de façon récente, car le traitement des données n’est pas notre cœur de métier, comme il peut l’être pour les vépécistes et le e-commerce, pour lesquels la donnée client est un capital indéniable. Notre capital est plus lié aux surfaces de nos magasins, aux produits, au trafic que l’on peut gérer sans données clients. Mais il est vrai que la donne change avec les parcours de courses connectés et les diverses nouvelles formes de commerce. Le « data numérique » va devenir hautement stratégique. La réflexion est en cours sur la feuille de route.

Dans quelle mesure les nouveaux outils d’informatique décisionnelle (collecte, consolidation, modélisation des données…) ont-ils amélioré la pertinence et la performance de votre offre ?

M. D. : Nous sommes encore aux prémices. Les nouveaux outils, notamment les outils de data-mining (exploration de données) peuvent être utilisés par différents métiers, le marketing, le commercial… Cela permet un décloisonnement des données. Elles ne seront plus uniquement dans les mains du service informatique. Et cela nous permettra de monter en pertinence, en agilité et en efficacité, et d’analyser nos performances commerciales.

Certains panels seraient-ils hypertrophiés ? Y a-t-il trop de données ?

M. D. : Oui, dans l’univers de la grande distribution, le panel reste très utilisé et sans prise en compte d’éléments nouveaux qui pourraient interroger ceux auxquels on est habitué, ou apporter des éléments de réponse complémentaires. Le problème n’est pas qu’il y a trop de données, mais qu’elles ne soient pas utilisées de manière optimale, faute d’organisation, d’outils et de compétence pour le faire. La grande surface est donc toujours tributaire des panels, alors que la « data client » numérique pourrait apporter, elle aussi, une aide à la décision aussi pertinente, voire plus précise dans certains cas.

Quels nouveaux métiers voyez-vous émerger chez Auchan, en liaison avec l’économie des données ?

M. D. : Tous les métiers d’analystes, de data-miners. Pour l’heure, il est difficile de les recruter, car nous n’avons pas encore de services structurés comme ceux du commerce électronique. Nous sommes donc moins légitimes à leurs yeux. A ce premier type de profil, qui devient une nécessité pour nous, ajoutons un deuxième type, le data quality manager, qui saura gérer et gouverner la qualité des données.

Les gestionnaires de données sont-ils les dirigeants de demain ?

M. D. : Non, mais ils auront une place plus importante, et cela va modifier les organisations marketing, qui ne seront plus seulement orientées vers le discours de la marque et la communication, mais devront avoir besoin de fortes compétences techniques et statistiques. Demain, les directions du marketing auront un budget technologique très certainement supérieur à certaines directions informatiques.

La culture et le management, chez Auchan, sont-ils en train de changer du fait de ces évolutions ?

M. D. : C’est encore récent, mais il y a une prise de conscience réelle. L’utilisation de la donnée est de plus en plus systématique. Nous avons aussi décidé, en 2012, de créer une direction regroupement les études marketing et la donnée, signe fort de cette évolution.

Propos reccueillis par J. W.-A.

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