Bulletins de l'Ilec

Un réflexe à créer - Numéro 438

01/10/2013

La difficulté ou la négligence de communiquer sont facteurs de litiges. Complémentaire du service public de Médiation, le CMAP propose à petits budgets des solutions sur mesure pour « surmonter les barrières ». Entretien avec Sophie Henry, déléguée générale du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP)1

Est-il possible de mesurer le coût économique et social des mauvaises relations entre clients et fournisseurs ?

 

Sophie Henry : La question est primordiale. On peut se référer à une étude du cabinet Fidal2 : lorsque l’on évalue le coût financier d’une procédure judiciaire pour une entreprise, auquel il faut ajouter le temps et l’implication des équipes à la résolution d’un conflit passé, qui les empêche de travailler sur des projets et des actions pour l’entreprise, le calcul est rapidement fait en faveur d’une solution alternative rapide, peu coûteuse, et qui de surcroît, dans de nombreux cas, permet de restaurer la communication entre les parties et de renouer des relations commerciales.

Le nombre de médiations est-il un bon indicateur du nombre de litiges ?

S. H. : Alors que la médiation est très développée dans les pays anglo-saxons, dont elle est originaire, elle reste trop peu connue en France. De nombreuses actions ont été menées notamment par le CMAP ces dernières années auprès de prescripteurs de la médiation (avocats et magistrats), mais il reste un important travail d’information auprès des entre-prises, qui ne connaissent pas bien les atouts du processus. Elles peuvent mettre en place une nouvelle stratégie de gestion de leurs conflits, plus rapide, totalement confidentielle et moins coûteuse qu’une procédure judiciaire. Même si le nombre de médiations s’est accru ces dernières années, la médiation n’est pas encore un réflexe, et ne peut donc être considérée comme un indicateur du nombre de litiges.

Votre « Charte de la médiation interentreprises » fait-elle désormais double emploi avec la « Charte des relations interentreprises » promue par le Médiateur qu’ont institué les pouvoirs publics ?

S. H. : Le CMAP, actif sur tout le territoire français, a créé en 2005 avec le soutien du ministère de l’Economie la Charte de la médiation interentreprises – pour la résolution amiable des conflits commerciaux. Cette charte a pour objectif de promouvoir la médiation commerciale en tant qu’outil compétitif de résolution des conflits pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Signée à l’époque par Thierry Breton en sa qualité de ministre de l’Economie, elle continue d’être soutenue par ses successeurs.

À la différence de la Charte de la sous-traitance, devenue Charte de la médiation interentreprises avec Pierre Pelouzet, qui a pour objectif d’encadrer les relations entre fournisseurs et donneurs d’ordres, et inciter ces derniers à développer de « bonnes pratiques », la charte portée par le CMAP est une déclaration d’intention. Les signataires déclarent qu’ils étudieront la voie de la médiation pour tout litige qui s’y prête, qu’ils intégreront autant que possible des clauses de résolution amiable dans leurs contrats, et qu’ils sensibiliseront leur personnel à la pratique de la médiation.

La médiation gratuite du Médiateur interentreprises va-t-elle se substituer à celle, payante, du CMAP ?

S. H. : Le Médiateur des relations interentreprises a été mis en place avec l’idée d’encadrer et de moraliser les relations entre les grands groupes et les petits fournisseurs. Le CMAP, créé il y aura bientôt vingt ans, est une association loi 1901 qui offre aux entreprises des voies alternatives au contentieux judiciaire pour résoudre leurs conflits, médiation et arbitrage. Il existe d’un côté un service public, donc gratuit, et de l’autre un service de médiation autonome et payant.

En pratique, les modalités du processus ne sont pas les mêmes. Le Médiateur national est le plus souvent saisi par des sous-traitants et fournisseurs qui ont besoin d’être aidés dans leur relation avec un grand groupe. Le médiateur qui sera nommé est soit un médiateur délégué national (souvent issu du monde de l’entreprise), soit un médiateur délégué régional, fonctionnaire d’Etat recruté dans les Directe (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Dans les deux cas, les entreprises n’ont pas le choix du médiateur, il leur est imposé par les services du Médiateur national.

Au CMAP, nous sommes indistinctement saisis par les petites entreprises et par les grandes, qui souhaitent gérer leurs conflits en toute confidentialité. Les médiateurs sont des tiers indépendants, qui sont désignés par le CMAP après concertation avec les parties. Si le médiateur ne convient pas aux parties, elles ont la liberté de le récuser.

Les deux types de médiation peuvent tout à fait cohabiter, sans que l’une se substitue à l’autre. Elles sont, à mon sens, complémentaires. Le travail du Médiateur national des relations interentreprises est nécessaire en ce qu’il donne un cadre, des règles, une stratégie pour faciliter les relations clients-fournisseurs, et offre un service gratuit aux entreprises qui souhaitent y avoir recours. Il accomplit également une formidable action d’information et de sensibilisation des entreprises au niveau national, qui va contribuer, je l’espère, à modifier à long terme le comportement des entreprises confrontées à un litige.

Le CMAP offre des médiations sur mesure aux entreprises qui le souhaitent, en mettant à leur disposition des médiateurs qu’elles peuvent choisir librement, qui ont été formés aux techniques de la médiation et qui se sont soumis à une évaluation avant d’être agréés par le Centre.

Les trente-sept mauvaises pratiques recensées par le Médiateur correspondent-elles à la fréquence des litiges que vous avez à traiter au CMAP ? Et existe-t-il des procédures de médiation dans les litiges horizontaux (concurrence) ?

S. H. : Nous traitons des types de litiges très différents, ainsi qu’il ressort des statistiques publiées par le CMAP chaque année : litiges entre donneurs d’ordres et sous-traitants, entre clients et fournisseurs, mais aussi entre deux sociétés concurrentes, entre actionnaires, entre investisseurs et entreprises, entre cédants et cessionnaires… Les « trente-six mauvaises pratiques »3 recensées dans le rapport d’activité d’avril 2013 concernent exclusivement les relations clients et fournisseurs ou sous-traitants, et nombre d’entre elles correspondent tout à fait aux litiges que nous sommes amenés à résoudre au CMAP.

Y a-t-il eu une époque où les relations clients-fournisseurs étaient plus faciles qu’aujourd’hui ?

S. H. : La relation client-fournisseur est par nature source potentielle de tensions. Le client va mettre une réelle pression sur le fournisseur pour obtenir le meilleur prix, et le fournisseur essaie de répondre aux exigences du client pour gagner le marché, parfois au risque de ne pas offrir la qualité du produit attendue et de mettre en péril l’équilibre économique de sa structure. Il est certain que la crise économique a eu pour effet de tendre encore davantage les relations entre clients et fournisseurs et l’action du Médiateur interentreprises devrait avoir pour effet de favoriser un meilleur équilibre entre les parties.

La proximité ou l’éloignement géographique exercent-ils un effet sur la nature ou la fréquence des litiges ?

S. H. : On constate que bon nombre de conflits naissent d’un manque de communication ou d’une différence de point de vue. Si des entreprises sont éloignées géographiquement mais qu’elles ont par ailleurs un système de communication efficace et des valeurs communes, il n’y a pas à priori de raison qu’elles rencontrent plus de conflits que des entreprises proches géographiquement. En revanche, il est certain que la barrière de la langue ou de la culture s’ajoute aux sources potentielles de conflit.

La prévention passe-t-elle par une politique de filière ?

S. H. : L’implication des fédérations professionnelles est indispensable pour faire connaître les outils de prévention des conflits. En l’état actuel, leur action sur ce terrain est encore très limitée.

1. Près la CCI de Paris Ile-de-France.
2. Vers un management optimisé des litiges – Améliorer les résultats économiques et non économiques de l’entreprise par une gestion avisée des litiges, www.fidal.fr/ en/ file_download.php?filename=../ _fileup/ presentation/ en/ FIDAL_Doc1_Dispute_resolution.pdf.
3. La trente-septième, ajoutée à la liste en 2013 par Pierre Pelouzet, concerne la « captation de CICE » (NDLR).

Propos recueillis par J. W.-A.

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