Bulletins de l'Ilec

Restaurateur de liens - Numéro 438

01/10/2013

Pas de relations de confiance entre les entreprises sans hommes décidés à construire sur le long terme. En les y aidant, la Médiation œuvre à une révolution culturelle. Entretien avec Pierre Pelouzet, Médiateur national des relations interentreprises1

Qu’est ce qui a justifié la création en 2010 de la fonction de Médiateur des relations interentreprises ? Le climat entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants s’était-il détérioré ? La crise a-t-elle renforcé l’impunité des fauteurs ?

 

Pierre Pelouzet : La crise économique a, dans un premier temps, donné naissance à la médiation du crédit pour accompagner les entreprises dans leur relation souvent difficile avec leur banquier. Mais les problèmes relationnels ne se concentrent pas uniquement dans l’univers bancaire, comme l’attestent ceux rencontrés entre les entreprises elles-mêmes. Cela a donc justifié la création de la fonction de médiateur des relations interentreprises lors des Etats généraux de l’industrie en 2010. Depuis, malheureusement, le climat ne s’est pas adouci, en raison même de la situation économique, elle aussi détériorée.

Y a-t-il eu une époque où les relations clients-fournisseurs étaient plus faciles qu’aujourd’hui ? La tendance à long terme serait-elle à leur complication ?

P. P. : Il n’y a pas de règle générale. Les relations interentreprises dépendent, bien sûr, de l’ambiance économique, des entreprises elles-mêmes, mais elles dépendent surtout des individus. On peut distinguer deux catégories de personnes dans une même entreprise : certaines entendent construire et privilégient une relation fondée sur le partenariat, ouverte sur le tissu de fournisseurs ; d’autres ont pour objectif de réaliser des chiffres à court terme. Aussi les entreprises vont-elles valoriser l’un ou l’autre comportement que le contexte économique va justifier, renforcer. Le rôle de la Médiation interentreprises est de valoriser ceux qui ont un comportement constructif, et de compenser, voire de désigner, ceux qui ont un comportement destructeur.

Est-il possible de mesurer le coût économique et social des mauvaises relations entre clients et fournisseurs ?

P. P. : C’est très compliqué, car on ne peut mesurer que la partie émergée de l’iceberg, à savoir les coûts juridiques. Le coût réel est bien supérieur.

En quoi les instances de médiation existantes (Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation, Centre de médiation et d’arbitrage de la CCI Paris…) relevant de la sphère privée étaient-elles insuffisantes ?

P. P. : La multiplicité d’acteurs dans le domaine de la médiation est une bonne chose. La différence entre les deux sphères ne porte pas tant sur la qualité du travail, excellent chez le CMAP, que sur les modalités. Pour notre part, nous sommes une institution gouvernementale, ce qui procure à ceux qui nous sollicitent un sentiment de neutralité, de sécurité qui témoigne de l’engagement de l’Etat. En second lieu, notre accompagnement est gratuit, ce qui peut soulager les PME et TPE qui redoutent d’engager des frais.

Qu’apporte la « Charte Relations fournisseur responsables » par rapport à la « Charte de la médiation interentreprises » du Centre de médiation et d’arbitrage de la CCI Paris (CMAP) ?

P. P. : Notre charte est le point d’entrée vers notre label Relations fournisseur responsables, remis par l’Etat. C’est le premier label RSE qui porte sur la qualité de la relation client-fournisseur. Sa dimension institutionnelle donne une grande force à la charte. Mais elle n’enlève rien au mérite des autres chartes. Nous ne sommes pas dans une logique de concurrence, mais dans une démarche de construction et de promotion de la médiation. Plus il y a de gens qui se mobilisent pour aller dans la même direction, mieux c’est.

Combien d’entreprises ont obtenu ce label Relations fournisseur responsables, créé en décembre 2012 ?

P. P. : Jusqu’à présent, douze. Ce label est jeune et les candidats ne manquent pas. On sent une appétence, mais, pour autant, il n’est pas facile de l’obtenir. La charte, récemment renommée Charte Relations fournisseur responsable, pour être en harmonie avec le label, établit dix engagements en faveur d’achats responsables. Pour obtenir le label, l’entreprise candidate doit prouver qu’elle respecte bien les dix engagements de la Charte et qu’un plan d’action est concrètement mis en œuvre, sur le terrain.

Le libellé n’est-il pas un peu équivoque qui paraît désigner la responsabilité des fournisseurs plus que celle des clients ?

P. P. : Effectivement, nous avons beaucoup réfléchi sur le nom du label. Nous n’avons pas mis le mot « fournisseur » au pluriel pour bien montrer que la question porte sur les relations. Oui, les clients peuvent, eux aussi, être plus ou moins responsables.

Votre fonction a-t-elle un équivalent dans les autres pays de l’UE ?

P. P. : Non, la Médiation interentreprises est un dispositif gouvernemental d’aide aux entreprises unique en Europe. Beaucoup de gens regardent ce que nous faisons et pensent  développer ce concept dans d’autres pays européens, où la médiation existe certes déjà, mais où elle relève du
domaine privé.

Vous avez été sollicité pour être le correspondant et référent en France de la mise en œuvre d’un Code européen de bonnes pratiques promu conjointement par les acteurs industriels et commerciaux de la grande consommation2. Comment appréciez-vous la portée et le périmètre de cette initiative ?

P. P. : Je suis en faveur de toute initiative qui construit des relations intelligentes entre les entreprises, en l’occurrence entre celles d’une même filière, car tous les acteurs ont le même intérêt à moyen et surtout long terme.

Comment expliquer que la grande distribution soit absente des signataires de la Charte, alors que certaines enseignes ont signé la « Charte de la médiation interentreprises » du CMAP ?

P. P. : Nous travaillons étroitement avec la grande distribution et nous avons beaucoup de contacts avec les enseignes dans le cadre de la filière. Les choses bougent. Le monde de la distribution a ses propres codes, ses propres pratiques. Ce n’est pas un monde homogène, certaines enseignes sont plus sensibilisées que d’autres, comme l’atteste leur communication. Ce monde, hier un peu réfractaire, évolue progressivement de manière positive.

Vous recensez trente-sept mauvaises pratiques. Quelles sont les situations dont les sous-traitants souffrent le plus ?

P. P. : En premier lieu, les retards de paiement, qui représentent 25 % des saisines. Puis l’on trouve les litiges portant sur les questions de propriété intellectuelle, les ruptures brutales de contrats, les clauses contractuelles… Dans le cas de la grande distribution, par exemple, se pose souvent la question de la variation du prix des matières premières, dont souffrent les industries agroalimentaires et qui n’est pas prise en compte.

Votre alerte relative à la « captation de CICE » a-t-elle été suivie d’effet ?

P. P. : Oui, beaucoup de PME qui nous avaient interpellés nous ont confirmé, après notre intervention, le recul des demandeurs, et depuis la rentrée nous n’avons plus de plainte de racket au CICE. Notre action de médiation a donc été positive. Nous nous sommes adressés aux directions générales des entreprises, qui ont reconnu que ces initiatives étaient locales, qu’elles n’étaient pas du tout conformes avec les pratiques fixées par ces mêmes directions, et qu’un rappel à l’ordre serait fait pour éviter de telles dérives. Il n’y a pas des grandes entreprises qui auraient décidé de racketter leurs fournisseurs, mais, dans ces mêmes entreprises, des gens peuvent décider d’améliorer leurs propres objectifs en recourant à des pratiques honteuses.

Les nouveaux secteurs (services en ligne, industries des NTIC, biotechs, etc.) sont-ils moins sujets aux litiges interentreprises que les secteurs traditionnels (automobile, luxe, grande distribution) ?

P. P. : Non, les litiges sont répartis de façon homogène dans tous les secteurs, traditionnels et nouveaux. Tout dépend des hommes, comme le prouve l’exemple du CICE.

S’agissant de « pratiques commerciales », les missions respectives de la Médiation interentreprises et de la CEPC se recouvrent-elles partiellement ou sont-elles complémentaires ?

P. P. : Nous sommes complémentaires. Notre contact direct avec le terrain nous permet de remonter des informations sur les pratiques quotidiennes auprès de la CEPC, qui, elle, en tire des leçons pour faire évoluer la législation ou la jurisprudence.

Les relations visées par le Médiateur national des relations interentreprises s’étendent-elles à d’autres questions que stricto sensu clients-fournisseurs : baux commerciaux, litiges horizontaux (concurrence) ?

P. P. : Non, les relations concernées sont interentreprises, c’est-à-dire entre client et fournisseur, et inversement.

Le mode de rémunération des acheteurs évolue-t-il vers une prise en considération plus exigeante de la qualité des relations avec les fournisseurs ou sous-traitants ?

P. P. : Tendanciellement oui, et c’est une grande avancée qu’a promue la Charte Relations fournisseur responsables. C’est au reste un de ses dix critères. La rémunération des acheteurs ne doit plus être calculée sur la baisse de prix qu’ils ont obtenue mais sur leur manière de travailler. Cela conduit à une véritable révolution culturelle dans les entreprises.

Les entreprises qui ont eu recours à la Médiation interentreprises en font-elle ensuite la publicité ? La confiance se propage-t-elle aussi bien que la défiance ?

P. P. : À l’issue d’une médiation oui. En revanche, en cours d’une procédure de médiation, il n’est pas possible pour une entreprise de faire la promotion du dispositif. Cela pour la simple et bonne raison que la réussite d’une médiation tient grandement à sa confidentialité.  Imaginez : un grand groupe ne souhaiterait pas être dénoncé par une PME, même si le préjudice a été réparé. Pour autant, certains chefs d’entreprise viennent témoigner sans communiquer de noms d’entreprises, mais en parlant des effets positifs de la médiation.

Le rapport Bourquin3 préconise la mise en place de contrats types par filières. Dans quels domaines cela pourrait-il contribuer le plus à réduire les litiges ?

P. P. : Je crois beaucoup aux contrats par filière. Beaucoup d’entreprises travaillent sans contrat, je pense notamment au BTP, à l’artisanat et à bien d’autres. En l’absence de contrat, il existe au moins un contrat type par filière, qui fait foi.

Les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants devraient-elles être au centre de ce qu’on regroupe sous l’intitulé RSE ?

P. P. : Oui, bien sûr, c’est un des trois piliers, le pilier économique. Une attitude responsable sur la partie économique de la RSE s’impose ! Les grandes entreprises doivent aider les plus petites à se développer. Notre label est le premier label RSE.

Au-delà des règlements de litiges particuliers, une institution comme la Médiation interentreprises est-elle en mesure d’inspirer et d’insuffler de la confiance dans le climat des affaires ?

P. P. : C’est sa raison d’être ! La médiation est un outil pour restaurer la confiance, de même que la charte et le label Relations fournisseur responsables.

Avez-vous des missi dominici ?

P. P. : Nous avons délivré un agrément à des écoles de commerce, des cabinets de conseil, des cabinets d’avocats, dont la liste figure sur notre site Mediation-interentreprises.fr. Ils s’engagent à promouvoir l’esprit de la charte auprès respectivement des étudiants et des entreprises clientes des cabinets de conseil.

1. www.redressement-productif.gouv.fr/mediation-interentreprises/accueil.
2. www.aim.be/news/article/one-step-closer-to-fair-and-efficient-markets.
3. Les Relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants dans le domaine de l’industrie, rapport remis aux ministres de l’Economie et du Redressement productif en mai 2013 par le sénateur du Doubs Martial  Bourquin – http://www.redressement-productif.gouv.fr/relations-entre-donneurs-dordre-et-sous-traitants-dans-lindustrie-remise-rapport-martial-bourquin.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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