Bulletins de l'Ilec

Montée en gamme - Numéro 484

05/11/2019

Le transport va coûter plus cher et pousse à mutualiser, comme l’enjeu environnemental. Mais le déclin du rail et une image dégradée, entre autres facteurs, compliquent la donne. Entretien avec Julien Darthout, délégué général du Club Demeter Logistique responsable et spécialiste Fret 21 chez CPV Associés

Un des volets de la démarche d’optimisation environnementale du transport routier Fret 211 est la mutualisation. N’est-elle pas déjà très répandue, entre les efforts unilatéraux des transporteurs, ceux des industriels entre eux, ou avec leurs clients ? Où situez-vous les marges de progression ?

Julien Darthout : La mutualisation logistique est au cœur des enjeux industrie-commerce depuis une quinzaine d’année mais n’est pas pour autant répandue, car des contraintes opérationnelles contrarient son expansion : incompatibilités de filière, de délais, problèmes réglementaires… Il est vrai que le métier de transporteur ou certaines activités liées au transport s’orientent vers la mutualisation, afin d’optimiser les flux des industriels comme des distributeurs. Aujourd’hui, cela concerne des chargeurs à petits volumes. Si l’on prend les produits frais, les délais à respecter empêchent souvent de mutualiser.

En moyenne un semi-remorque est chargé à 14 tonnes, sur une charge utile maximale de 25 tonnes. C’est une moyenne, car un camion complet de chips représente 3 tonnes, un camion complet d’eaux 25 ! Les marges de progression existent, grâce aux outils numériques qui vont permettre des regroupements de commandes et de flux. Le champ des possibles va au-delà de la mise en commun d’acteurs. Le terrain de jeu devient mécaniquement plus important. Des opérateurs du numérique se développent depuis trois ans et proposent des outils ou des solutions collaboratives permettant aux opérateurs de mutualiser. Et demain, plus le transport sera cher, plus la mutualisation sera primordiale.

Quels indicateurs permettent de juger de l’effort des chargeurs qui se sont engagés vers une optimisation répondant aux objectifs de Fret 21 ?

J. D. : Fret 21 est un dispositif d’engagement volontaire porté par les pouvoirs publics et les fédérations professionnelles, en l’occurrence celle des chargeurs, l’AUTF. Son indicateur de référence pour valoriser les efforts est la tonne de carbone et le « CO2 équivalent ». Nous sommes capables de valoriser les enjeux en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Quand un gros chargeur souhaite mutualiser avec un confrère, il met mécaniquement moins de camions sur la route, mais on peut être un chargeur de taille modeste et faire appel à un réseau de messagerie qui permet de bénéficier de moyens de transport mieux chargés. Avec les outils que Fret 21 a développés, on peut évaluer la part relative de la commande ainsi que l’émission de « CO2e ».

Est-il possible d’évaluer le « taux de kilomètres en charge » dans le transport en général et celui des produits de grande consommation en particulier, et son évolution ?

J. D. : Il n’y a pas d’évolution majeure. En grande distribution, il y a des taux de distance moyenne plafonnés, car elle est très organisée, avec des réseaux optimisés. Dans le domaine industriel, il est difficile de répondre, c’est selon les secteurs.

Les engagements réciproques de ponctualité et de régularité que doivent prendre entre eux des chargeurs qui mutualisent ne sont-ils pas de nature à en dissuader certains, qui se verraient difficilement obligés de répercuter sur leurs propres fournisseurs une hausse de fréquence des livraisons (amont agricole notamment) ?

J. D. : Oui, une des limites de la mutualisation, c’est la capacité à se mettre d’accord sur les contraintes opérationnelles. La grande distribution a des créneaux horaires pour les livraisons, elle n’a pas le choix, pour respecter les planogrammes de livraison des magasins. Des initiatives émergent dans un esprit collaboratif, comme cette entreprise, CRC Services, qui propose des solutions de mutualisation grâce au numérique en recomposant des lots au travers de hubs : une mutualisation multi-industriel, multidistributeur ; on regroupe ainsi des commandes pour plusieurs distributeurs. Il faut mettre à plat et bien connaître les contraintes que chaque acteur rencontre dans son organisation logistique et les déverrouiller, avant de lancer des projets de mutualisation. Et sans esprit collaboratif les contraintes demeureront.

Le fait que depuis les lois Grenelle de l’environnement et Transition énergétique « toute personne qui commercialise ou organise une prestation de transport » doit fournir au « bénéficiaire de la prestation » une information relative à la quantité de dioxyde de carbone et autres GES rejetés a-t-il habitué les entreprises à faire de ces informations un indicateur opérationnel ?

J. D. : J’ai fait pour les pouvoirs publics une évaluation de cette disposition légale qui concluait à un déploiement limité chez les transporteurs. Le principe est clair : tout fournisseur d’une prestation de transport doit indiquer à son client les émissions de CO2e induites. Cela a permis une prise de conscience des entreprises : elles doivent mesurer le carbone. Mais il serait faux de dire que toutes le font. Les grandes se sont emparées du sujet, même si leurs transporteurs ne leur fournissent pas de manière homogène les informations. C’est aussi un enjeu de Fret 21 : convaincre de cet impératif de mesurer les émissions, pour ensuite les réduire. Quand on fait des camions complets, il est facile de les mesurer ; mais avec des charges incomplètes, pour peu que les véhicules chargent du lourd et du léger en même temps, il est difficile de répartir l’émission de CO2e. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles certains transporteurs ont du mal à communiquer sur le sujet.

Faut-il imputer aux difficultés du fret ferroviaire, encore illustrées cet été avec le sort de la liaison Perpignan-Rungis, la recherche par les chargeurs des solutions routières optimisées pour la longue distance ?

J. D. : Oui, les chargeurs cherchent des solutions alternatives, avec du transport longue distance ou pas ; les solutions se dessinent autour de la transition énergétique. Et les transporteurs cherchent des solutions alternatives au diesel. Pour autant, même avec une technologie innovante on ne remplacera pas l’efficacité du train Perpignan-Rungis, massif, régulier. Sur longue distance, le train est plus rapide que la route. Il faut trouver avec les opérateurs ferroviaires le moyen de redynamiser le train.

Existe-t-il des outils d’analyse susceptibles d’aider une entreprise à arbitrer entre des km à vide en moins et des km de trajet total en plus ?

J. D. : Oui, Fret 21 permet de modéliser les km à vide, en charge, des parcours et des charges différents. D’autres outils le proposent également. Il existe aussi des outils d’optimisation de tournées, qui proposent des indicateurs environnementaux susceptibles de devenir des indicateurs de choix dans le schéma de transport d’une entreprise.

Le transport de marchandises est régulièrement cité et interpellé en rapport avec les enjeux environnementaux, mais un organisme comme le CNTE2 ne compte pas de représentants du secteur…

J. D. : De fait, le secteur des transports souffre d’une mauvaise image sur le plan environnemental. Or on a besoin de transport. Une ville sans voitures, on en rêve tous, mais une ville sans marchandises n’est plus une ville : leur mobilité est indispensable à la vie urbaine. Il faut donc valoriser les efforts des opérateurs du transport. Depuis quelques années, transporteurs et chargeurs ont trouvé des accords pour accélérer la sortie du diesel. Le transport devrait être mieux représenté dans diverses organisations. Et il faut redorer l’image du conducteur-livreur : il manque vingt à trente mille conducteurs en France. Au Club Déméter3 nous travaillons à valoriser le concept de « conducteur-livreur-ambassadeur ».

1. https://www.ilec.asso.fr/uploads/media/59c4dd811ee0f.pdf. La démarche Fret 21 (portée par l’Ademe et l’AUTF) vise à permettre aux chargeurs de réduire l’impact environnemental de leurs transports grâce à une méthode commune de valorisation. Huit actions courantes : remplissage des camions ; CRC Services ; retour en charge ; relocalisation d’un entrepôt ; rail-route ; biogaz ; GNV ; label & charte.
2. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/cnte.
3. http://www.club-demeter.fr.

Propos recueillis par J. W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.