Bulletins de l'Ilec

Option changement global - Numéro 484

05/11/2019

Réunir les chargeurs en Europe et optimiser leurs flux par la formulation de standards et un algorithme qui superpose les plans de transport des industriels à ceux des transporteurs : point de vue d’un commissionnaire profil startup. Entretien avec Paul Guillemin, président et cofondateur de Fretlink

En quoi Fretlink et ses projets de « Fretlab » répondent-ils à des besoins de mutualisation du transport de marchandises entre industriels ?

Paul Guillemin : Fretlink connecte des chargeurs industriels au plus grand réseau de transporteurs régionaux d’Europe, à travers un nouveau standard d’organisation du transport routier de marchandises. Nous initions la transition de ces entreprises vers les usages de demain par une approche globale.

Le « Fretlab » est un club de responsables de la chaîne d’approvisionnement, en Europe, qui bénéficient d’un accès privilégié à une équipe d’ingénieurs, de data-scientists, de mathématiciens et d’économistes ; au-delà de nos équipes, nous envisageons de solliciter d’autres invités à même de nous aider. L’objectif est de trouver des standards applicables à tous les acteurs dont les organisations sont prêtes à entamer leur transformation vers l’excellence opérationnelle en transport et une performance accrue de leur chaîne d’approvisionnement. Il s’agit d’unir ces chargeurs pour un plan de transport optimisé.

Quelles sont les parties prenantes indispensables à la constitution de plateformes de partage ?

P. G. : Le terme plateforme de partage sous-entend un système complètement ouvert, qui se contente de mettre en relation chargeurs et transporteurs. Nous, nous opérons avec le statut légal de commissionnaire de transport qui nous confère la responsabilité du fret de nos clients. Notre vocation est d’organiser leurs plans de transport, en optimisant à terme chaque opération, au bénéfice de chaque acteur. En effet, une fois le plan de transport opéré numériquement, il est possible de penser une autre planification des expéditions, qui permet non seulement de réduire les km d’approche, mais également de mutualiser les flux et les contre-flux.

Pour ce faire, nous faisons intervenir des profils divers : en amont, les équipes commerciales chargées de la relation avec les transporteurs agglomèrent les données qui nous sont fournies par nos clients, que nous standardisons afin de modéliser un plan de transport numérisé cohérent pour tous les acteurs. Cette étape est le fruit du travail de nombreuses personnes chargées du « pricing », de la modélisation économique et mathématique, ainsi que de nombreux développeurs.

En termes géographiques, quelle est la maille où votre service est le plus pertinent : la longue distance ou la moins longue, notamment la recherche de « boucles » régionales ?

P. G. : Nous sommes bien plus pertinents dans la longue distance. Le marché est compétitif depuis des années sur la courte distance, où les boucles régionales sont opérées par des réseaux de messagerie bien implantés. En revanche, les chargeurs demeuraient en attente d’un acteur en mesure d’orchestrer un maillage optimisé longue distance à l’échelle européenne. Et pour cause : cela nécessite d’avoir réuni un réseau de transporteurs fiables, ainsi qu’une clientèle de chargeurs dont les flux s’opèrent partout en Europe, afin d’organiser les meilleures combinaisons possibles.

Pour que nos chargeurs et nos transporteurs bénéficient d’un effet d’optimisation, nous massifions les données et les couloirs de production, en superposant les plans de transport des industriels à ceux de nos transporteurs. Nous détectons ainsi les lignes pouvant être rationalisées (allers-retours, triangulaire, combinaison entre flux régionaux…).

N’importe quelle entreprise est-elle fondée à recenser son besoin de transport et à rechercher le possible avec Fretlink ?

P. G. : Le modèle repose sur le fait de capter des volumes réguliers importants et de les fiabiliser. Cela implique la compatibilité du fret des chargeurs impliqués. Par exemple, on réunira dans un même plan de transport des donneurs d’ordres ayant des volumes en lots complets. Il faut que leurs marchandises soient compatibles et puissent être acheminées dans le même véhicule ; il est également nécessaire de s’assurer qu’il n’y a pas de problème de concurrence.

Constatez-vous des difficultés pour des chargeurs concurrents, même quand le droit de la concurrence ne s’y oppose pas ?

P. G. : De toute évidence, mutualiser entre concurrents demeure difficile à envisager par la plupart des chargeurs ; c’est avant tout une question de philosophie d’entreprise, complexe à faire évoluer. Mais il n’est pas exclu de voir apparaître des initiatives groupées pour résoudre des problématiques communes dans certains secteurs d’activité.

Les freins aux démarches de mutualisation sont-ils surtout d’ordre technique ? Ou organisationnel ?

P. G. : Les deux. Sur le plan technique, il est nécessaire de connecter les systèmes des différents acteurs impliqués dans les plans de transport. Cela conditionne la centralisation des données, donc l’organisation de plans de transport optimisés à l’échelle européenne. Le deuxième enjeu est la standardisation des données de transport. Cette étape est préalable à toute étude d’opportunité pour le chargeur comme pour le transporteur. Par ailleurs, le backhauling (retour en charge) est contraint par le cahier des charges de chaque chargeur, ou par la gestion des aléas.

Sur le plan organisationnel, les questions touchent notamment au modèle tarifaire à créer : il faut concrètement « probabiliser » les chances de mutualiser un transport afin de définir un prix de transport cohérent, quel que soit le cas de figure. Certaines questions sont d’ordre pratique : comment gérer la facturation entre des entités qui ne sont pas rattachées au départ ? Mais c’est avant tout le changement des usages dans les organisations qui est le plus fastidieux ; le véritable enjeu est d’accompagner cette transformation. Fretlink n’arrive pas avec une solution clé en main, engager une démarche de changement est au cœur de notre proposition.

Les plateformes de partage ont-elles vocation à s’ouvrir au-delà des acteurs de la grande consommation, pour augmenter les offres de chargement ?

P. G. : En ce qui concerne Fretlink, oui, nous prévoyons de nous développer dans différents secteurs d’activité pour y adresser la même proposition, en adaptant notre service aux spécificités de chaque industrie.

Propos recueillis par J. W.-A.

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