Bulletins de l'Ilec

La boîte noire de l’algorithme - Numéro 484

05/11/2019

L’optimisation des flux vers ou depuis des plateformes s’accommode sans scandale de partages et de voisinages, qui servent la performance économique à l’avantage de tous. Et la performance environnementale. Entretien avec Xavier Perraudin, président de 4S Network & DG de CRC Services

Quel est le principe d’un centre régional de consolidation (CRC), et son apport à la réduction de l’empreinte environnementale de la chaîne logistique ?

Xavier Perraudin : En aval de la chaîne de distribution, un Centre de routage collaboratif, ou Centre régional de consolidation (CRC), a pour principe de permettre à un industriel de regrouper ses flux de lots partiels sur une plateforme ouverte, opérée par un prestataire logistique ou un transporteur, située à proximité de ses clients (plateformes ou magasins). Cela permet à l’industriel de livrer des camions complets, constitués de plusieurs lots partiels destinés à plusieurs clients directement sur le CRC et de bénéficier, en sortie du CRC, d’une mutualisation régionale avec d’autres industriels utilisant ce même service sur les cent derniers kilomètres de la chaîne. En amont de la chaîne, d’une manière similaire, le CRC permet d’envisager un regroupement de flux sur un point de collecte proche des sites de préparation de commandes des industriels, afin de permettre d’industrialiser des tournées courtes de livraison vers plusieurs destinataires.

Quels types de transport (longue distance, régional, messagerie, boucles de retour en charge, etc.) sont assurés par la plateforme collaborative CoLivRi de CRC Services1 qui propose le « transport des commandes de 1 à 15 palettes » grâce à un réseau de CRC et à une distribution mutualisée dans les 200 derniers kilomètres ?

X. P. : CoLivRi est une solution pour faciliter le pilotage de la performance, le traçage et l’optimisation des flux de transport d’un écosystème mutualisé, mais également d’une seule entreprise en relation avec son écosystème. Pour un industriel désireux d’optimiser son transport, elle compare les stratégies (par exemple groupage ou tournée « multidrop ») au vu des données historiques. En simulation, la plateforme fait varier les contraintes et les paramètres pour aboutir à une préconisation de plan de transport. Ses algorithmes répondent aux problématiques classiques, tout en étant contextualisables pour traiter les questions des chargeurs et s’intégrer à leur procédure décisionnelle. Pour un groupe de chargeurs envisageant de mutualiser leurs flux, CoLivRi permet de comparer plusieurs scénarios, de déterminer les enjeux de la mutualisation et de préconiser la meilleure optimisation pour minimiser les coûts (économiques ou environnementaux). Elle permet aussi de piloter la performance de l’écosystème mutualisé par une visibilité des statuts de chaque livraison. CoLivRi calcule les indicateurs clés de l’écosystème de chacun des acteurs et alerte en temps réel en cas d’aléa ou de changement de responsabilité.

Savez-vous mesurer les retombées environnementales positives du partage des ressources logistiques dont 4S Network est un spécialiste ?

X. P. : 4S Network a développé une solution numérique qui calcule les émissions de GES et d’autres externalités négatives. Cela permet de comparer des situations de départ aux situations visées en modélisant les choix d’organisation et les paramètres liés à chaque segment modélisé, tout en respectant les principes de l’Ademe. Par exemple, nous avons calculé une baisse de 6,5 % d’émissions de GES pour un industriel client de notre CRC du Sud-Est, par rapport à un groupage classique.

Indépendamment de la réduction des km parcourus, la mise en œuvre de votre modèle de mutualisation entre fournisseurs de Leroy Merlin2 répond aussi à l’intérêt général en améliorant la traçabilité de produits éventuellement dangereux. Un bénéfice du même ordre est-il à attendre avec des produits alimentaires ou DPH dans les circuits à dominante alimentaire ?

X. P. : Les bénéfices pour chaque filière sont fonction des problématiques de chacune. Cependant, la mutualisation des flux d’acteurs d’une filière, combinée à leur optimisation, permet d’agir sur les émissions de GES et les coûts induits. CoLivRi améliore la traçabilité des flux en permettant à chaque acteur de partager simultanément l’information de traçabilité des commandes en temps réel. Il s’agit d’un partage maîtrisé de la donnée, entre acteurs potentiellement concurrents : chaque acteur a accès à sa propre performance ainsi qu’à la performance globale de l’écosystème collaboratif. Le taux de service, la performance globale et celle de chaque acteur sont disponibles à tout instant et avec plusieurs niveaux de granularité (sites industriels, distributeurs, transporteurs, types d’aléas…). Des règles d’alerte permettent de fluidifier la gestion de la responsabilité lorsqu’un aléa se produit, et de prendre les meilleures décisions opérationnelles.

Les opportunités et contraintes de la mutualisation de transport diffèrent-elles beaucoup en fonction la taille de l’entreprise et de ses volumes ?

X. P. : Cela dépend des situations de départ et des objectifs. Dans le cas du projet « Mut@Log », c’est une alternative à la messagerie pour livrer directement des magasins qui a été mise en œuvre, entre acteurs de tailles différentes mais partageant une même problématique : la distribution de produits dangereux. Au-delà de la taille des entreprises et des volumes, c’est plus la solution d’une problématique commune d’organisation qui fédère.

Pour les fournisseurs, la mutualisation du transport représente-t-elle une plus grande exigence (en termes de taux de service, ponctualité…) ?

X. P. : Le taux de service est au cœur des préoccupations d’un grand nombre d’entreprises, du fait de leurs relations contractuelles avec leurs clients.

Grâce à une réflexion commune sur l’organisation et les outils, les entreprises qui mutualisent leur transport arrivent à des taux de service que, seule, une entreprise ne pourrait atteindre.

La gestion partagée des approvisionnements mutualisée entre fournisseurs avec un distributeur (GPMA) peut-elle prendre le pas sur la simple GPA (un fournisseur et un distributeur), qui peut occasionner des trajets à chargement partiel ?

X. P. : Oui, de notre point de vue, c’est tout à fait possible, sous réserve de disposer des outils numériques permettant de conserver des règles strictes de confidentialité, de bien communiquer sur le mode de fonctionnement visé, et de développer des algorithmes recherchant les meilleures optimisations pour l’ensemble du processus.

Quelles sont les contraintes saisonnières qui compliquent les démarches de mutualisation ?

X. P. : Les contraintes saisonnières sont des contraintes parmi d’autres, intégrables aux algorithmes d’optimisation et qu’il faut évidemment prendre en considération dans le dimensionnement d’un projet.

4S est adhérent de GS1 (3), qui plaide pour le partage de données ouvertes. Quelles données propriétaires pourraient et devraient selon vous devenir ouvertes en logistique ?

X. P. : De notre point de vue les données de localisation des lieux logistiques font partie des données prioritaires, ainsi que les données environnementales, qui permettraient de rationaliser l’approche globale.

1. http://www.crc-services.com.

2. CRC Services a accompagné Leroy Merlin et ses fournisseurs de produits dangereux pour déployer un réseau ouvert de sept nouveaux CRC, opérés par trois prestataires (XPO Logistics ; Groupe MTA et Henri Ducros) permettant de livrer 160 000 palettes par an, aux 136 magasins de l’enseigne.

3.https://twitter.com/GS1France/status/1167343070200905728.

Propos recueillis par J. W.-A.

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