Bulletins de l'Ilec

Un capital qui s’entretient - Numéro 413

30/09/2010

Se polariser sur l’image prix est un aveu d’échec. Comme l’image de marque, l’image prix est un capital de confiance qu’il faut travailler dans la durée, afin de donner du sens à l’achat. Entretien avec Frank Rosenthal, consultant en marketing1

D’autres critères que le seul niveau des prix peuvent-ils contribuer à une bonne « image prix » (effet de réassurance lié à la cohérence des prix dans chaque catégorie, mise en avant systématique du rapport qualité-prix…) ?

Franck Rosenthal : Le prix, seul, ne suffit pas. C’est le rapport qualité-prix plus que le prix lui-même qui compte. Avec Olivier Dauvers, nous avons défini l’image prix dans Image prix mode d’emploi. Pour une marque, c’est le prix perçu (la performance prix) en fonction d’un certain nombre de composantes : prix pratiqués sur les produits, qualité perçue, clarté des prix, politique promotionnelle, importance des volumes vendus sous promotion, packaging des produits, sensibilité au prix sur le marché qu’occupe la marque, image de marque, notoriété, identité visuelle, nombre de compétiteurs sur le marché, le choix de la marque, agressivité des MDD, circuit de distribution, communication publicitaire et relationnelle, fréquence d’achat…

L’image prix d’une enseigne peut-elle se construire autour d’un choix très réduit d’articles ?

F. R.: C’est très difficile, surtout dans le domaine alimentaire. Quand Leclerc travaille son comparateur de prix, il propose précisément sur son site Quiestlemoinscher.com 1 468 produits. En bio, l’offre est plus restreinte, mais il a 302 produits. Quand Leader Price a fait, en mai dernier, une campagne comparative en affichage sur un panier de quarante articles, en proclamant qu’ils étaient les moins chers, Leclerc a répondu qu’une telle comparaison devait se faire sur un bien plus grand nombre de produits.

Une enseigne peut avoir une image prix générale médiocre mais attractive dans certains rayons. Pourrait-elle avoir une bonne image prix avec des prix élevés ?

F. R. : Ce serait difficile, en raison des comparateurs de prix. Dans le cas des produits dits impliquants, les consommateurs comparent selon les magasins, et sur internet. Avec les autres produits, ils ont néanmoins une idée du prix. Les enseignes qui ont les prix les moins élevés ont aussi la meilleure image prix ; a contrario, des enseignes comme Cora ou Géant Casino ont les prix les plus élevés et logiquement la plus mauvaise image prix.

Les promotions ont-elles, en grande consommation, un effet durable sur l’image prix d’un produit particulier, compte tenu de leur multiplication et de leur diffusion à toutes les catégories ?

F. R. : Cela dépend d’une multitude de facteurs. Par exemple de l’image prix de l’enseigne : les actions promotionnelles  de Coca-Cola n’ont pas la même résonnance, en image prix, chez Géant Casino ou Leclerc. Cela dépend aussi du marché où évolue la marque, marché très ou peu promotionné, marché très perméable ou peu aux MDD. Si globalement la promotion a un effet sur l’image prix et les ventes, cela dépend aussi de la fréquence d’achat. Le concept « every day low price » (EDLP) est peu pratiqué en France, et les consommateurs y sont très sensibles aux promotions. Carrefour a une part de voix en promotion supérieure à sa part de marché. Pour Leclerc, c’est le contraire, et pourtant l’image prix de Leclerc est meilleure. Mais rares sont les enseignes comme Darty qui ne font jamais de promotion.

La baisse des prix ne devrait-elle pas se substituer, pour certains produits, à la surenchère promotionnelle, ou à une stratégie d’image prix très coûteuse ?

F. R. : C’est la stratégie EDLP, que prône par exemple Serge Papin quand il souligne que le consommateur est perdu devant les évolutions erratiques de prix de certains produits, le Yoyo entre la promotion et le permanent (comme dans les pâtes). Il vaudrait alors mieux baisser les prix de 20 % tout au long de l’année. Mais cela risquerait d’aligner la marque sur la MDD et de réduire à zéro ou presque l’écart de prix entre elles, ce qui n’entre pas dans la stratégie du distributeur. Où ferait-il sa marge ? A moins de baisser le prix de ses MDD pour recréer l’écart… La stratégie EDLP n’a pas encore fait ses preuves : si, à la rentrée scolaire, une enseigne dit avoir des prix bas mais refuse de faire des promotions, elle risque d’être suspecte. Sa prise de risque ne tient pas compte des souhaits de consommateurs avides de promotions et suspicieux qui estiment payer trop cher le même produit hors promotion le reste de l’année.

Une bonne image prix est-elle toujours associée à des prix bas ? Peut-elle être chère sans être pour autant répulsive, comme dans le luxe ?

F. R. : Le luxe est un marché très particulier, où le prix a une influence non seulement sur le prix perçu mais aussi sur la valeur perçue. Certaines marques de luxe ne devraient pas travailler leur image prix, mais plutôt leurs valeurs de marque, leur savoir-faire. Le prix n’est pas, dans le luxe, la variable principale.

Pour éviter de disparaître, l’enseigne Félix Potin aurait-elle pu travailler son « image prix » tout en demeurant une des plus chères du marché ?

F. R. : Travailler l’image prix aurait été possible, mais aurait-ce été suffisant, je ne le pense pas. Difficile d’avoir une bonne image prix quand le reste ne suit pas. C’est le problème actuel des maxidiscomptes, qui, en dehors des prix, ne sont pas suffisamment attrayants. Travailler la seule image prix n’est pas un combat gagnant.

Pour une enseigne, se polariser sur l’image prix n’est-il pas l’aveu d’un échec en tant que marque qui se singularise par son offre ?

F. R.. : Certaines, numéros un sur leur marché, Décathlon, Ikea, Leroy-Merlin où Leclerc, travaillent certes leur image prix, mais aussi leur image globale. Les produits « bleus » de Décathlon, gammes de premier prix, sont vendus en entrée de rayon mais avec une différence importante, celle de la valeur apportée aux consommateurs, grâce à la recherche, l’innovation qui donne du sens au produit. C’est une vraie démarche de marque, fondée sur le rapport prix-qualité. Se polariser exclusivement sur l’image prix est un aveu d’échec.

S’il faut construire une image prix spécifique, cela peut-il se faire autrement que dans le temps long, en martelant et en illustrant sans relâche le même discours ?

F. R. : Oui, il faut du temps, surtout si la fréquence d’achat n’est pas élevée. Darty martèle le même discours depuis longtemps, celui des prix bas toute l’année inscrit dans le contrat de confiance, et il ne s’en écarte pas. Même chose pour Leclerc, qui a pour discours la défense du pouvoir d’achat depuis ses origines. Les marques oublient souvent de répéter dans la durée leur promesse.

Ceux dont l’image globale se confond avec l’image prix, les casseurs de coûts et de prix établis, comme Aldi ou Lidl, Logan ou EasyJet, ont-ils quelque chose de plus à dire sur leurs prix, besoin de travailler leur « image prix » ?

F. R. : C’est leur dilemme, car s’ils ont bien sûr besoin de travailler leur image prix, leur force première, ils doivent dire autre chose sur leur prix, parler de la qualité, comme Lidl. Ils ne doivent pas être réduits au seul prix, comme le prouve la campagne d’EasyJet « optimiser les coûts sans compromis sur l’essentiel », qui parle aussi de la qualité, de la sécurité des avions, des compétences des pilotes. Peut-on concilier le discompte avec la « relation client » ? Pendant longtemps, certains discompteurs les croyaient inconciliables. Le dogme selon lequel on ne pouvait pas avoir une carte de fidélité dans une enseigne de discompte est battu en brèche par Dia et sa carte Club Dia, et par Colruyt et sa carte Extra.

Quels secteurs, tous services et produits confondus, ont la pire image prix ? Et la meilleure ?

F. R. : Pour la pire : les produits très souvent consommés et qui ont une forte incidence sur le budget des ménages, comme les carburants, les produits frais, les fruits et légumes. Pour la meilleure, il faudrait analyser les marchés les moins inflationnistes dans le temps et ceux sur lesquels le poids des MDD est important.

Est-il étonnant que, dans le luxe, Mauboussin soit la première marque de la place Vendôme à tenir un discours prix de joaillier moins cher ?

F. R.. : C’est un mauvais argument. Le luxe s’est déjà démocratisé par les licences de parfum et les accessoires. Cela a-t-il un sens pour le rayonnement d’une marque de luxe, sa notoriété, que de casser les prix ?

Quels sont les leviers qui permettent d’agir sur l’image prix ?

F. R. : On peut en identifier six : jouer avec le prix lui-même (Intermarché qui colle son prix sur l’emballage) ; jouer sur l’offre ou l’organisation de l’offre (Procter & Gamble et ses marques plus ou moins compétitives par le prix ; Leroy-Merlin) ; travailler le point de vente (Auchan avec Simply Market et des zones différenciées, marché et frais qualitatif ou espace discompte) ; s’engager et communiquer sur les prix (Darty et le premier article de son « contrat de confiance » qui « garantit ses prix bas toute l’année ») ; agir en promotion ou avec des produits d’appel ; communiquer sur la valeur, pour améliorer la perception du prix (Décathlon et la tente Quechua).

L’ image prix fait-elle le bon commerçant ?

F. R. : Non, si le commerçant oublie les conditions de travail de son personnel, la qualité du service, la tenue de son magasin, l’offre adéquate…

L’aspect seulement utilitaire d’une enseigne de distribution ne tend-elle pas à la condamner à avoir l’image prix pour seule stratégie ?

F. R. : Cela dépend des secteurs. Il faut une « expérience client »2 dans le magasin. Ikea ne propose pas que des prix bas, mais aussi des solutions, des idées, un parcours. Les enseignes étant de plus en plus des fabricants, avec leur MDD, elles sont plus vigilantes. Elles ne sont pas strictement utilitaires, comme l’illustre la part prépondérante des MDD dans les produits bio.

Travailler l’image prix en faisant appel à des méthodes de plus en plus élaborées n’est-il pas surtout l’inclination des enseignes ou des marques les moins bien-disantes par le niveau de prix ?

F. R. : Ce qui est de plus en plus élaboré, ce ne sont pas les méthodes de l’image prix mais les méthodes d’établissement des prix en amont, avec la gestion électronique et informatique des prix, l’attractivité d’une zone de chalandise, ou la recherche de l’assortiment le moins cher dans une catégorie très demandée. En termes d’image prix, les enseignes, dans leur grande majorité, ont encore beaucoup d’efforts à faire. Pour travailler l’image prix, il faut surtout du bon sens de commerçant. L’image prix, c’est la confiance que l’on peut accorder à une marque ou à une enseigne quant aux prix qu’elle pratique. C’est d’abord un capital qu’il faut travailler sur la durée.

1. Spécialiste de la distribution, auteur de Value for money : de l’ère du prix à celle de la valeur et Image Prix mode d’emploi, aux Editions Dauvers.
2. Ensemble hétérogène des sensations d’un client avant, pendant et après l’achat en rapport avec l’ambiance du point de vente, les qualités du vendeur, l’expérience à l’usage, un service après vente ou connexe, la tonalité du discours de marque, etc. (NDLR).

Propos recueillis par J. W.-A.

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