Bulletins de l'Ilec

La clé de la visibilité - Numéro 413

30/09/2010

L’utilité et la fréquence d’achat d’un produit déterminent son image prix. Entretien avec Olivier Dauvers, éditeur de Tribune Grande Conso

Pour une enseigne, se polariser sur « l’image prix » n’est-il pas l’aveu d’un échec en tant que marque ? Le discours mettant en avant la qualité ou l’innovation ne vaut-il pas mieux, comme chez Décathlon ou chez Monoprix ?

Olivier Dauvers : Partons de la fonction macroéconomique du commerce de masse, qui est de gérer des flux de marchandises au meilleur coût et dans lequel je n’inclus pas, par exemple, Monoprix, au vu de son positionnement, et même de sa revendication. Le prix est dans les gènes du commerce de masse, mais tous les marchés ne sont pas également concernés par cette pression. Schématiquement, la fréquence d’achat induit la pression du prix, imposée par les consommateurs, donc, par ricochet, l’importance de l’image prix dans le positionnement et le succès des enseignes. Dès lors, il paraît logique qu’un hypermarché doive davantage parler prix qu’une enseigne spécialisée.

Quant à Décathlon, il règne autour de cette enseigne une idolâtrie un peu naïve. Décathlon parle en permanence autour d’une idée finalement très marquée prix : pourquoi dépenser davantage ? C’est l’argumentaire numéro un des produits bleus, les premiers prix de Décathlon, ceux qui portent son image prix. Ainsi, pour une enseigne, parler de prix n’est pas l’aveu d’un échec. C’est même le contraire, la preuve qu’elle a bien intégré les règles de son marché et qu’elle les applique au pied de la lettre.

L’aspect utilitaire d’une enseigne la condamne-t-elle à avoir l’image prix pour seule stratégie ?

O. D. : L’aspect utilitaire est dans les gènes de toute distribution de masse.

La quête d’une meilleure image prix ne nécessite-t-elle pas, pour créer une rupture psychologique, de « casser » les prix plutôt que de seulement les baisser ? En Allemagne, les maxidiscompteurs Aldi ou Lidl, qui entraînent toute la distribution dans une spirale déflationniste, travaillent-ils de surcroît une « image prix » ?

O. D. : Le choix de la dynamique de prix – baisse faible mais de large emprise ou baisse violente et ciblée – a une importance cruciale dans une stratégie d’image prix, laquelle cherche d’abord à être perçue, donc à être visible. Pour autant, la pérennité de l’image prix ne s’obtient que par la constance. C’est le cas de Leclerc en France, qui travaille à la fois l’Opus Nielsen de la totalité de son assortiment1 et la promotion pour frapper les esprits.

Une enseigne peut-elle avoir une bonne image prix avec des prix élevés ?

O. D. : Aucune n’est jamais parvenue à tenir durablement cette équation de l’impossible : prix élevés et forte image prix. C’est une formidable illustration de la capacité des clients pris dans leur ensemble – en dépit de toutes les études qui prétendent le contraire – à identifier assez finement la réalité des prix des enseignes. C’est d’autant plus vrai dans l’alimentaire que la masse des clients est telle – trois millions de passages en caisses par an dans un grand hypermarché – qu’aucun produit ne passe au travers des mailles du filet.

Dans quel univers l’image prix est-elle la plus justifiée ?

O. D. : L’importance de l’image prix dépend de « l’utilitarisme » du rayon concerné. Une mauvaise image prix en épicerie sera clairement pénalisante pour un magasin. A l’inverse, l’univers beauté est moins sensible à l’image prix. Il est probablement assez juste de corréler l’importance de l’image prix et l’emprise des MDD.

D’autres critères que le seul niveau des prix peuvent-ils contribuer à une bonne image prix (effet de réassurance lié à la cohérence des prix dans chaque catégorie, mise en avant systématique du rapport qualité-prix…) ?

O. D. : L’image prix étant par principe la résultante d’une réalité des prix teintée de la perception qu’en a le client, l’enseigne doit à la fois travailler la réalité de ses prix et leur perception. La construction d’une gamme y participe, par exemple par une structuration fine en quartiles (méthode revendiquée par Auchan depuis de nombreuses années). 

Une image prix se construit par la réalité des prix et par des marqueurs de perception très divers. L’ambiance générale du magasin donne le ton, mais également la stratégie promotionnelle. Les meilleurs marqueurs d’image sont les produits frais traditionnels, car avec ces produits les enseignes peuvent vraiment faire des écarts de prix, bien davantage qu’avec les PGC industriels.

La multiplication des supports de communication liée aux NTIC complique-t-elle les « discours prix » et la maîtrise des « images prix » ?

O. D. : Sans aucun doute. La perception d’un prix bas passe, par construction, par la compréhension du prix. Aussi tout ce qui empêche ou retarde la compréhension du prix est pénalisant pour la construction d’une image prix. La bonne image prix historique du maxidiscompte tient notamment à la simplicité de ses prix, même s’il se met désormais aussi aux mécaniques compliquées.

Et la multiplication des techniques promotionnelles ? Les promotions ont-elles, en grande consommation, un effet durable sur l’image prix d’un produit particulier, compte tenu de leur multiplication et de leur diffusion à toutes les catégories ?

O. D. : La promotion a un double effet sur l’image prix. D’abord, l’intensité promotionnelle, ou l’activisme de l’enseigne, nourrit l’image prix de l’enseigne et du lieu. Là où il se passe toujours quelque chose, sur le terrain des prix. Ensuite, au-delà de l’intensité même, la pertinence des offres joue un rôle. Placer un pot de Nutella en première de couverture d’un catalogue nourrit bien moins l’image prix (car les enseignes ne parviennent pas à réaliser de forts écarts) qu’un rôti de porc à 3,50 euros. C’est toute la nuance entre l’intensité et la pertinence de la promotion qui nourrit l’image prix.

Dans les PGC, prospectus et têtes de gondole demeurent-ils l’alpha et l’oméga du « discours prix » et de la construction de « l’image prix » ?

O. D. : Rien de mieux n’a été trouvé. La quasi-totalité des magasins et enseignes qui ont tenté de mettre en sourdine leur stratégie promotionnelle en sont revenus. Car la promotion, donc les prospectus et les mises en avant en magasin, participe à la perception des prix. Dernier exemple de recul : Simply Market.

Les comparateurs de prix reflètent-ils la réalité ?

O. D. : Ils reflètent une certaine réalité. Comme toute méthode (y compris l’Opus exhaustif, car aucun consommateur n’achète tous les produits), les comparateurs sont imparfaits. Mais ils ont un mérite : lever un coin du voile sur la réalité. Le comparateur parfait viendra un jour, via la Toile, où un site mutualisé des prix en fond de rayon en temps réel (et pas uniquement des promotions) permettra au client d’accéder au meilleur des comparateurs : celui qui compare en fonction du contenu de son panier.

1. L’Opus est un relevé systématique des prix de l’offre en points de vente destiné aux distributeurs. Effectué par un institut de panel dans toutes les enseignes, il leur permet de comparer leurs prix (NDLR).

 

Propos recueillis par J. W.-A.

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