Bulletins de l'Ilec

Bagage insuffisant pour temps nouveaux - Numéro 415

29/12/2010

L’industrie française ne souffre pas principa-lement de ses coûts mais d’une faible réactivité à la demande, d’un déficit de financement auquel les Etats généraux n’ont pas répondu. Et de l’immobilisme de Bruxelles. Entretien avec Jean-Hervé Lorenzi, professeur à Paris Dauphine, président du Cercle des économistes et membre du Conseil d’analyse économique

La liste des secteurs industriels qualifiés de « stratégiques » par les EGI (énergie, numérique, aérospatial, automobile, ferroviaire, nautisme, chimie et matériaux innovants, pharmaceutique, luxe, agroalimentaire…) est longue, à l’image de la polyvalence relative de l’industrie française, en peu de choses la première mais en beaucoup d’un rang honorable. Cette polyvalence va-t-elle se maintenir ou une focalisation se dessine-t-elle ? à l’exportation quels sont nos « avantages comparatifs » ?

Jean-Hervé Lorenzi : Une étude récente du cabinet McKinsey sur l’industrie française montrait que sa compétitivité avait été attaquée dans tous les secteurs et qu’en privilégier certains au détriment d’autres ne serait pas judicieux. Si l’on prend comme modèle l’industrie allemande, on constate que ce ne sont pas des secteurs qui en ont disparu, mais, du fait de sa capacité à créer des séquences de chaînes de valeur, qu’elle a délocalisé des parties et non des ensembles. La délocalisation a eu des effets bénéfiques pour l’industrie allemande quand elle s’est faite dans les pays voisins, l’Allemagne conservant son secteur industriel proprement dit.

Aussi, la segmentation industrielle ne paraît pas opportune. Il n’y a pas des bons et des mauvais secteurs dans l’absolu. Soulignons que la perte de compétitivité de l’industrie française n’est pas due à un effet de prix mais à l’élasticité de la demande, l’industrie ne pouvant répondre à la demande mondiale, qui a beaucoup augmenté. Enfin, n’oublions pas que notre principal concurrent n’est pas l’ensemble des pays émergents, mais l’Allemagne. Notre faiblesse ne relève pas d’une mauvaise compétitivité par les coûts, mais d’une faible réactivité à la demande mondiale. Nous avons, dans nos exportations, beaucoup perdu dans le bas, le moyen comme le haut de gamme, et dans la technologie.

Le choix des onze filières établi par les EGI vous paraît-il pertinent ?

J.-H. L. : La filière est une séquence d’actes productifs et elle permet de chasser en meute, avec aussi bien les donneurs d’ordres que les sous-traitants. Souhaitons que ceux-ci soient mieux traités demain qu’hier.

La promotion du « fabriqué en France » et la « marque France » relancée par le rapport Jego, en mai dernier, visent-elles surtout l’exportation ou à l’intérieur une forme de patriotisme économique ? Un label conservateur privilégiant les industries traditionnelles ?

J.-H. L. : Tout ce qui peut contribuer à rehausser l’image de l’industrie française doit être considéré comme favorable. Si la promotion de la « marque France » peut être un moyen d’agir, parmi d’autres, et qui va dans le bon sens, alors n’hésitons pas. 

Doit-on renforcer le rôle de l’Etat dans la stratégie des entreprises publiques et dans celles, privées, où l’Etat est encore actionnaire (cf. l’affaire Clio IV en Turquie) ?

J.-H. L. : Il ne paraît pas choquant qu’un actionnaire, fût-il l’Etat, ait son mot à dire dans la stratégie de l’entreprise dans laquelle il est actionnaire ! Encore faut-il qu’il intervienne de manière pertinente, ce qui ne fut pas le cas dans l’affaire de la Clio IV. La stratégie de l’industrie française a davantage reposé sur la délocalisation des produits que sur celle des éléments du processus de production, contrairement à la stratégie allemande. Pour en juger, il faut mesurer les impacts à l’aune des impôts, des emplois, de la présence du siège social et du centre de recherche en France. La stratégie de Renault est-elle positive sur les deux premiers points ? Soyons pragmatiques comme le sont les gouvernements américain, japonais ou allemand, qui n’hésitent pas à soutenir leurs entreprises quand il y a urgence.

Ne faudrait-il pas créer une véritable banque de l’industrie adaptée aux cycles longs de l’investissement industriel, ce qui n’a pas été retenu par les EGI ?

J.-H. L. : C’est la grande déception des Etats généraux. Au-delà des débats sur les mots, je suis convaincu de la nécessité de créer une institution financière capable de mobiliser et de développer en réseau la collecte d’argent nécessaire à l’industrie française, une banque vraiment tournée vers l’industrie. 

Absente des EGI (hormis sur la recherche et les brevets), la réforme de la fiscalité n’est-elle pas le vrai grand chantier qui conditionne l’avenir de l’industrie (TVA sociale pour réduire le coût du travail et converger avec la fiscalité allemande, modalités de la transmission des entreprises) ?

J.-H. L. : Nous avons déjà progressé sur le plan de la taxe professionnelle. Notre impôt sur les sociétés n’est pas, contrairement à ce qui est dit, de 33 % mais réellement de 22 % , un taux proche du taux allemand, quoique avec une assiette différente. Il ne faut pas mettre sur le même niveau les grandes et les petites entreprises, les premières peu imposées, alors que les secondes le sont beaucoup. Troisième aspect : les cotisations sociales sont à peu près au même niveau mais elles ne sont pas payées de la même façon, puisqu’en Allemagne la répartition est de deux tiers à la charge des particuliers et d’un tiers à celle des entreprises, alors qu’en France, c’est l’inverse.

La « conception de la concurrence européenne » est-elle en train d’évoluer, au vu des enjeux industriels, dans le sens souhaité par le président de la République en mars dernier dans son discours de clôture des EGI ?

J.-H. L. : Non, pour l’heure, rien n’évolue dans un sens positif pour la promotion de l’industrie. La politique de concurrence est encore aujourd’hui aux mains d’ayatollahs qui refusent de l’adapter aux temps nouveaux.

 

Propos recueillis par J. W.-A.

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