Bulletins de l'Ilec

Éditorial

Industrie, le retour ? - Numéro 415

29/12/2010

Le commerce, c’est le vol, tranchait Emile Zola. La terre, elle, ne ment pas, concluait, en s’inscrivant dans une longue tradition1, Emmanuel Berl. Et l’industrie ? C’est sale, ça sent mauvais, ça pollue, ça fait du bruit, c’est mal payé, bref, ce n’est pas une activité noble. Fichtre. Qu’en penseraient aujourd’hui nos capitaines d’industrie, ceux qui par leur action ont inscrit leur nom dans l’histoire de la France et qui, pour bon nombre d’entre eux, continuent de le faire ? Les grands tels que Michelin, Peugeot, dynastie familiale qui fête cette année ses deux cents ans, Citroën, qui a célébré ses quatre-vingt-dix ans l’année dernière, Dassault, et bien d’autres. Mais aussi les moins grands, dont certaines « manufactures » comptent au nombre des « entreprises du patrimoine vivant ». Dans l’histoire économique, l’ère industrielle n’aurait-elle été qu’une parenthèse, du moins en France, pour s’écrire de nouveau dans les pays émergents, avec parfois les mêmes entreprises ?

Les voix n’ont pourtant pas manqué qui s’alarmèrent des mirages de la société dite postindustrielle. En 1969, Lionel Stoleru en appelait à l’« impératif industriel », dans un ouvrage homonyme. Neuf ans plus tard, Christian Stoffaes prévenait par le même moyen que la « grande menace industrielle » était devant nous. Sour l’égide de François Bloch-Lainé et Jacques Lesourne, la commission dite « du bilan » soulignait en décembre 1981 que la France était, sur le plan des échanges commerciaux industriels, « forte avec les faibles, faible avec les forts ». En clair : un pays intermédiaire. Jean-Louis Levet s’interrogeait, en 1988, sur la pertinence d’une « France sans usines ». Oui, répondait Serge Tchuruk, président d’Alcatel Alsthom, dont il fit une « entreprise sans usines ».

Ne promet-on pas à la même époque un « bureau sans papier », un « commerce sans magasins », une « banque sans guichet » ? Une nouvelle division du travail s’annonçait où la Chine deviendrait l’atelier du monde – occidental bien sûr – pendant que celui-ci s’arrogerait la partie noble, l’immatériel. L’externalisation ? La belle affaire ! Et l’emploi industriel chutait, inexorablement, perdant un million de postes de 1974 à 1984. Depuis dix ans, ce sont plus de cinq cent mille emplois qui ont disparu. Désindustrialisation et financiarisation paraissent les deux effets pervers d’une mondialisation mal régulée.

Sur fond de crise, les mentalités changent. Le mythe de l’entreprise virtuelle s’étiole. A Jacques Chirac, Jean- Louis Beffa, président de Saint-Gobain, remet en 2004 le rapport Pour une nouvelle politique industrielle, qui rappelle « le rôle essentiel de l’industrie dans l’économie » et souligne que « la France ne peut trouver sa place dans la nouvelle division internationale du travail que si elle prend l’initiative de remobiliser ses capacités industrielles et ses potentiels de recherche ». Les parlementaires ne sont pas en reste qui, comme Jacques Myard et Jérôme Lambert, apportent leur pierre à la reconstruction de notre industrie. Mais l’échelle a changé. Il ne s’agit plus de la France seule, mais de la France dans l’Europe, et de l’Europe dans le monde. L’heure est à une politique industrielle non seulement française mais européenne.

C’est donc pour « redonner au pays une ambition industrielle nationale » que Nicolas Sarkozy lance, en septembre 2009, et à la demande de la CGT, les Etats généraux de l’industrie. Une nouvelle révolution française serait-elle en gésine ? N’était la fonction cathartique de l’expression – poser le mot, n’est-ce pas déjà penser résoudre en partie le problème ? –, ces états généraux portent bien leur nom puisque, durant plusieurs mois, cinq mille acteurs ont participé à onze groupes de travail nationaux et près de deux cents ateliers régionaux. Plus de mille propositions d’actions en faveur de l’industrie ont été formulées dans les rapports finaux. A l’issu desquels vingt-trois mesures ont été arrêtées (voir pages 5 et 6).

Après la réflexion, l’action – à moins de déférer à une coutume bien française consistant à commettre des rapports qui prennent le chemin du sous-sol. Au cœur du défi, « notre faiblesse en R&D nous empêche d’aller dans la voie du haut de gamme, seule piste de sortie de crise », souligne Gilles Le Blanc. Une voie qui permettrait de ne négliger aucun secteur industriel comme on le fit naguère, ainsi que le rappelle Jean-Louis Levet : « Aucune activité n’est condamnée, il n’y a que des entreprises et des secteurs qui n’innovent pas assez, qui ne sont pas en situation de créer. » Et c’est grâce aux filières mises en œuvre par la « mesure 11 » que, selon Jean-Hervé Lorenzi, les entreprises pourront enfin « chasser en meute » pour conquérir de nouveaux marchés. A condition de « mettre fin au diktat des grands donneurs d’ordres sur les petits sous-traitants », afin que « les relations entre les entreprises soient plus sereines », estime Jean- Claude Volot, nommé le 8 avril dernier médiateur interentreprises, par l’effet de la « mesure 12 ». Certaines mesures sont donc opérationnelles, d’autres sont en voie de l’être. Espérons que leur mise en œuvre heureuse nous évitera la tenue d’un Grenelle des Etats généraux de l​‌’industrie.

1. « La terre n’use pas de prestiges, mais avec simplicité elle montre sans déguisement et sans mentir ce dont elle est capable et ce dont elle n’est pas capable », Xénophon, Economique.

Jean Watin-Augouard

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