Bulletins de l'Ilec

La voix de France - Numéro 416

30/12/2010

Redorer l’image de l’industrie française et vaincre les réticences européennes, une double mission pour une nouvelle fonction, celle d’ambassadeur de l’industrie. Entretien avec Yvon Jacob, ambassadeur de l’industrie française en Europe

Depuis le 30 juin et conformément à la mesure 2 des Etats généraux de l’industrie, vous êtes ambassadeur de l’industrie. Auprès de qui êtes-vous rattaché ?

Yvon Jacob : C’est la première fois, en Europe, qu’un poste d’ambassadeur de l’industrie est créé. Le gouvernement a choisi de nommer un représentant du monde industriel, puisqu’au moment de ma désignation j’étais président du Groupe des fédérations industrielles et de la Fédération des industries mécaniques, donc légitime pour parler de l’industrie auprès de nombreuses instances tant européennes que nationales. Cette mission m’a été confiée par trois ministères, Affaires étrangères, Economie et Finances, et Industrie, qui ont mis à ma disposition l’ensemble des services de l’Etat dépendant d’eux. Je peux m’appuyer non seulement sur le réseau diplomatique, mais aussi sur le secrétariat général aux Affaires européennes (SGAE), organe très important qui est le filtre de toutes les positions politiques françaises vis-à-vis de l’UE, rattaché directement au Premier ministre. J’ajoute la représentation permanente de la France à Bruxelles. J’ai donc des portes d’entrée et des soutiens très importants.

Quelle est votre mission et votre capacité d’initiative ?

Y. J. : Ma mission est de faire entendre la voix de la France et celle de l’industrie auprès des institutions européennes, qu’il s’agisse de la Commission ou du Parlement, tous deux parties prenantes dans les décisions concernant l’industrie. J’ai également un rôle d’interface entre l’organisation des pouvoirs publics français ou européens et les organisations professionnelles de l’industrie, deux mondes qui se parlent encore avec difficulté, car les défiances réciproques et les incompréhensions sont anciennes. Il est impératif de traiter enfin ensemble les vrais sujets de fond qui concernent l’industrie française et son avenir.

Le commissaire européen Antonio Tajani a semblé annoncer, le 28 octobre dernier, un tournant de Bruxelles, jusque-là indifférente à toute stratégie industrielle communautaire…

Y. J.: Le concept de politique industrielle est un concept français, porté depuis au moins une dizaine d’années par les organisations professionnelles de l’industrie, et depuis 2007 par le président de la République et son gouvernement. Sur le plan européen, il y a encore un an, le concept restait aux portes de la Commission, dont l’état d’esprit demeurait très éloigné de cette préoccupation. La France a été très active pour défendre ce concept, aidée en cela par la crise, qui a rendu l’avenir de l’industrie plus difficile et plus incertain. Aussi les idées françaises ont-elles été largement reprises dans le rapport d’Antonio Tajani consacré à la stratégie industrielle communautaire. Ce rapport devrait être adopté prochainement par la Commission puis entériné par le Conseil des ministres.

Qu’en est-il du « pacte pour une Europe industrielle » suggéré par la mesure 2 des Etats généraux de l’industrie ?

Y. J. : Il est en train d’être mis en place, notamment grâce à une autre mesure portant création de la Conférence nationale de l’industrie, qui réunit pouvoirs publics, industriels et représentants des salariés, pour étudier et proposer des mesures nécessaires à la politique industrielle dans son ensemble, mais aussi aux secteurs industriels. Des commissions de secteur sont d’ailleurs progressivement mises en place.

Ce n’est pas une résurgence du Commissariat général au plan ?

Y. J. : Surtout pas ! Ce qui est fondamentalement nouveau dans l’état d’esprit qui règne aujourd’hui, c’est que la politique industrielle n’est plus initiée et contrôlée exclusivement par les pouvoirs publics, mais conçue et unifiée par tous les acteurs. Le commissaire à l’investissement, René Ricol, le médiateur de la sous-traitance, Jean-Claude Volot, et moi-même sommes issus du monde de l’entreprise, témoins de cette volonté d’ouverture et du partenariat public-privé. J’exerce ma fonction de manière bénévole, ce n’est donc pas une prébende. Cela me permet de garder mon libre arbitre et mon indépendance, et d’avoir une capacité de proposition très large.

Etre ambassadeur de l’industrie française, c’est l’être aussi d’une image, de valeurs. L’image de l’industrie en France n’est-elle pas un peu ternie ?

Y. J. : Effectivement, le rôle d’ambassadeur est tourné vers l’extérieur, mais il ne doit pas occulter l’intérieur, il faut aussi être ambassadeur chez soi. C’est au reste une différence essentielle avec l’Allemagne, où la question de l’image de l’industrie ne se pose pas, puisque celle-ci est considérée comme centrale dans l’organisation économique.

En France, depuis de nombreuses années, l’industrie souffre d’un déficit d’image, car les Français n’ont pas encore compris son importance dans l’économie. Les médias mettent en exergue les destructions d’emplois, le caractère polluant de l’industrie, les délocalisations, autant d’images à la Zola souvent voilées, qui ont pour effet de détourner les jeunes des métiers de l’industrie à tous les niveaux de formation, et particulièrement dans les écoles d’ingénieurs, qui ne sont plus un vivier pour l’industrie. Nous devons nous inspirer du modèle allemand pour une action pédagogique indispensable, afin de redorer l’image de l’industrie auprès des Français.

Un modèle également sur le plan des relations interentreprises ?

Y. J. : La solidarité industrielle et commerciale est effectivement très forte en Allemagne. La France peut se targuer, proportionnellement à sa force industrielle, d’être le pays qui a le plus grand nombre de grands groupes industriels, mais ils semblent souvent éloignés des considérations nationales. Il faut remobiliser ces grands groupes et les capitaines d’industrie, pour qu’ils deviennent de véritables porte-avions de l’industrie française pour les PME, largement dépendantes de leurs décisions. Il faut développer un esprit coopératif non seulement sur le plan de la R&D, de l’innovation, mais aussi de la conquête de marchés étrangers.

Un modèle, enfin, sur le plan des relations entre pouvoirs publics et entreprises ?

Y. J. : C’est une troisième différence avec la France. Le Parlement et le gouvernement allemands créent un cadre réglementaire et législatif pour que les entreprises puissent se développer dans les meilleures conditions. Les questions relatives au droit social sont traitées directement dans les entreprises ou à l’intérieur des branches avec les représentants des salariés. Le cadre général est plus indicatif et moins contraignant que le cadre français. Depuis quinze ans, les Allemands ont mis en place une flexibilité du travail qui leur permet de répondre à la demande mondiale, quand la France demeure bloquée dans ses rigidités. Des études sont menées pour comprendre les causes de l’écart de compétitivité qui s’est creusé entre l’Allemagne et la France depuis quinze ans.

Il fut un temps où l’Allemagne avait pour slogan industriel à l’international « made in Germany ». Le « made in France » a-t-il aujourd’hui sa raison d’être ?

Y. J. : Le « made in Germany » signifiait d’abord qualité. A nous de faire savoir que notre savoir-faire est aussi de qualité. Si certains secteurs, comme le luxe et l’agroalimentaire, méritent que l’on souligne les spécificités créatives de nos artisans et entreprises, et que l’on valorise le savoir-faire d’exception français, cela devient plus difficile pour une voiture, par exemple, qui est produite en partie hors de France. Aussi, c’est surtout au niveau européen qu’il faut se battre, avec une véritable politique industrielle et commerciale, fondée sur une concurrence honnête avec nos concurrents extra-européens.

Ne doit-on pas reconsidérer la politique de concurrence communautaire, pour plus de réciprocité dans la politique commerciale entre l’UE et le reste du monde ?

Y. J. : Il y a encore des réticences, non seulement à la Commission mais aussi au Parlement et chez certains Etats membres. Pour autant, il faut qu’enfin la Commission s’occupe avant tout de ce pour quoi elle est compétente, et qu’elle oublie les domaines où elle peut avoir une force de verbe mais non d’action. Cela implique des changements majeurs. L’Union européenne, seul organe de négociation des traités internationaux pour le compte des Etats membres, a une grande responsabilité : ce qui a été fait il y a une dizaine d’années dans le cadre de l’OMC n’est pas aujourd’hui nécessairement adapté, car les conditions générales de la concurrence mondiale ont changé, avec l’émergence de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Notre générosité, qui s’est exprimée en leur donnant des facilités considérables, n’est plus de mise, et nous ne pouvons pas continuer de tolérer qu’un certain nombre de pays ne respectent pas les conditions d’une concurrence équitable. Nous devons ainsi, entre autres, pouvoir accéder aux marchés publics japonais ou chinois. Le pillage de nos brevets doit cesser, tous les obstacles non tarifaires, très nombreux, doivent être levés. Nous devons développer davantage nos instruments de défense commerciale, peu mis en œuvre en raison de la complexité de leur procédure. Tout cela relève de la compétence de l’Union et de son commissaire chargé du Commerce international, et non des Etats membres.

Et pour favoriser la création de grands groupes européens ?

Y. J. : C’est le deuxième changement majeur. Il ne faut pas que, au nom du grand marché intérieur unique, on continue d’avoir des attitudes absurdes, comme celle qui fit échouer la fusion Legrand-Schneider. La Commission doit favoriser la naissance de grands groupes européens en supprimant, dans un premier temps, tous les obstacles existants. Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.

Les études de l’impact sur l’industrie de toute la législation européenne sont-elles des orientations majeures ?

Y. J.: Le troisième changement porte effectivement sur les rigidités réglementaires. On ne peut pas continuer à développer des réglementations, notamment dans le domaine environnemental, climatique et énergétique, qui soient de nature à créer des handicaps concurrentiels pour l’industrie européenne par rapport à ses concurrents extérieurs. Ou bien il faut en tirer les conséquences aux frontières de l’Europe. C’est la position de la France, mais elle n’est pas partagée par tous les Etats membres. Les études d’impact sont donc très importantes comme éléments de décision.

Propos recueillis par J. W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.