Bulletins de l'Ilec

Pour une transition ingénieuse - Numéro 385

01/11/2007

Les besoins de transport ne devraient pas décroître, mais réduire leur impact environnemental sans effet pervers sur les coûts est possible, grâce, en particulier, à la mutualisation des flux. En attendant une nécessaire mutation technologique. Entretien avec Philippe Bonnevie, délégué général de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF)

Les recommandations du Grenelle de l’environnement vous paraissent-elles applicables sans que le transport de marchandises en pâtisse ?

Philippe Bonnevie : Evidemment non. Le transport routier de marchandises (TRM) ressortant du Grenelle à nouveau diabolisé, il est a craindre que les effets à venir conduisent à son enchérissement pour les transporteurs et les chargeurs, et que les infrastructures routières nécessaires à la fluidité des transports ne soient pas réalisées. Est-il possible de réduire l’impact environnemental du transport sans en augmenter fortement le coût ? P. B. : Oui, en modernisant (par une réforme en profondeur de Fret SNCF) les modes de transport massifiés, pour permettre d’atteindre le maximum possible du report modal, que nous estimons à 4 ou 5 % de part de marché en 2012. Et en augmentant la productivité du TRM (autorisation des camions de 44 tonnes et de l’« ensemble modulaire » (1), tout en poursuivant la recherche pour des véhicules moins producteurs de CO2. Les critères environnementaux peuvent-ils être pris en compte dans le choix d’un transporteur, alors que le TRM est confronté à une pénurie chronique de chauffeurs ? P. B. : Oui, si par ailleurs on lui permet de dégager toute la productivité dont il est capable (44-tonnes et ensemble modulaire). L’internalisation des coûts externes du transport répond-elle à des méthodes assez fiables pour orienter judicieusement les choix modaux ? Constatez-vous parmi les entreprises un souci de privilégier autant que possible d’autres modes que la route ? P. B. : Il est nécessaire de garantir une méthode, fiable et non partisane, d’évaluation des coûts externes, d’une part pour la mise en œuvre de la « directive eurovignette » et d’autre part pour guider au mieux les utilisateurs dans leur politique de choix modaux. Les entreprises ont de plus en plus le souci de l’environnement, ce qui peut les amener à réorienter leur stratégie modale en reportant certains flux routiers sur d’autres modes, s’ils s’avèrent pertinents et performants. Une approche mutualisée des flux peut également être un élément de réponse (pour la pénurie de chauffeurs également). De nouveaux opérateurs du fret ferroviaire seraient-ils en mesure de viabiliser, en contribuant à leur entretien, les lignes sous-exploitées ? Quel pouvoir d’impulsion revient en la matière aux collectivités locales ? P. B. : Oui, pour ce qui est de l’exploitation, non en ce qui concerne l’entretien, qui est de la mission de RFF, gestionnaire du réseau. Pour ce qui est de l’impulsion à l’exploitation de lignes sous-exploitées ou plus exploitées du tout par l’opérateur historique, ce serait plutôt le rôle des utilisateurs ou des nouvelle entreprises ferroviaires, les collectivité publiques venant en support pour valider la démarche. Les collectivités locales peuvent être amenées à cofinancer les investissements relatifs au réseau. Qu’attendez-vous des pouvoirs publics, et de la troisième édition du Predit (2) ? P. B. : Le Predit intervient dans des domaines aussi variés que la sécurité active et passive, les systèmes d’information et de communication, les infrastructures, l’intermodalité, l’environnement… Pour rester au cœur d’une actualité empreinte de lutte contre le réchauffement climatique, nous savons tous que le transport routier restera dominant, et qu’il faut donc concentrer nos efforts sur son optimisation environnementale. Nous partageons l’idée que la lutte contre le réchauffement se fera en deux étapes. Au cours de la première, que l’on peut qualifier d’ « ingénieusement artisanale », on doit redoubler d’imagination pour combiner des solutions pratiques, optimiser les flux de transport routier et en contenir les émissions de CO2 (nouveaux schémas logistiques, mutualisation, augmentation de la capacité de chargement des poids lourds, développement de l’intermodalité avec le rail et la voie d’eau, carburant d’origine végétale). A cette étape transitoire, durant laquelle il faut s’attendre à ce que les résultats en termes de réduction des émissions de CO2 soient inversement proportionnels aux efforts demandés aux entreprises, doit succéder une étape technologique, qui maîtrisera avec une diffusion à grande échelle les modes de propulsion 100 % propres et les procédés de capture à la source et de stockage du CO2. Il est primordial d’atteindre au plus vite cette seconde étape, ce qui nécessite selon nous de développer les recherches vers ces solutions technologiques. La demande croissante de recyclage des produits occasionne-t-elle une demande additionnelle importante de transport ? P. B. : Oui, et dans ce cas les modes alternatifs à la route ont leur rôle à jouer. Va-t-on assister à l’avenir à un mouvement de relocalisation des activités ? P. B. : Non, à court ou moyen terme, et s’il a lieu au-delà ce ne sera probablement pas lié aux seules questions d’environnement. (

1). Encore désigné par la formule « 25x25 », il s’agit d’un véhicule où a été ajoutée à une remorque classique de 13,60 mètres une seconde remorque de 8 mètres : avec le tracteur, l’ensemble atteint 25,25 mètres. Autorisé an Suède, en Finlande, l’ensemble modulaire va l’être aux Pays-Bas. Il est en cours d’expérimentation au Danemark et au Royaume-Uni, mais en France l’administration s’y refuse. (
2). Programme national de recherche et d’innovation dans les transports terrestres.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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