Bulletins de l'Ilec

A chaque mode sa prise en charge des coûts induits - Numéro 385

01/11/2007

Sans mobilité des facteurs de production, pas de croissance possible. Il revient au calcul économique d’indiquer la voie la plus pertinente, même s’il n’est pas un outil miracle. Entretien avec Rémy Prud’homme, professeur émérite à Paris-XII

Votre rapport (1) est très critique quant à l’opportunité et la possibilité du transfert modal. Vous estimez que le transfert massif des ressources vers le ferroviaire briderait la mobilité sans effets environnementaux bénéfiques…

Rémy Prud’homme : Disons plutôt : sans effets environnementaux importants. Poussant la logique de la révision du Livre blanc de 2001, menée par Bruxelles en 2006, y a-t-il lieu, d’un point de vue environnemental, d’abandonner tout à fait le volontarisme du « transfert modal », pour se tourner vers la seule « optimisation modale » ? R. P. : D’un point de vue environnemental, probablement pas. Mais ce point de vue n’est pas le seul à prendre en compte. Pour l’environnement, le calcul économique est-il toujours le meilleur arbitre ? R. P. : En gros oui. Le calcul économique peut, et doit, intégrer les bénéfices et coûts environnementaux. Il y a en effet souvent, malheureusement, à arbitrer entre plus de pouvoir d’achat et un meilleur environnement. Mieux vaut éclairer ces arbitrages par le calcul économique que par les foucades de la mode ou les pressions des lobbies. Le calcul économique n’est pas un outil miracle. J’en connais les limites, les difficultés de mise en œuvre. Mais quand je vois ce qui le remplace, j’en deviens un fervent défenseur. Faut-il continuer à raisonner comme si toute demande de transport était le signe d’un bénéfique surcroît de croissance – alors que Bruxelles se félicite d’un certain « découplage » ? R. P. : Bruxelles appelle de ses vœux le découplage, mais il ne se manifeste pas trop. Personne ne considère que « toute demande de transport est le signe d’un bénéfique surcroît de croissance ». Mais c’est un fait que la mobilité favorise la croissance. C’est sur cette idée que le marché commun a été vendu : l’abaissement puis l’élimination des obstacles aux échanges entre pays est un puissant facteur de croissance. C’est en gros vrai. Ce qui est vrai des échanges entre pays l’est des échanges en général. C’est pourquoi tout frein (et les augmentations de coût sont évidemment un frein) à la mobilité a un impact négatif sur la croissance. Les recommandations du Grenelle de l’environnement vous paraissent-elles applicables sans que le transport de marchandises en pâtisse ? R. P. : Non, bien sûr. Mais la bonne question est : le gain environnemental est-il assez élevé pour justifier cet inconvénient ? C’est le calcul économique qui permet d’y répondre. Est-il possible de réduire l’impact environnemental du transport sans en augmenter fortement le coût ? R. P. : Oui : c’est ce que l’on fait depuis vingt ans. Les rejets de polluants locaux des véhicules neufs ont diminué de 50 à 80 % (à l’infini pour le plomb), à un coût faible. Les voitures d’aujourd’hui consomment presque 40 % de moins aux 100 km que celles d’il y a vingt ans. Quels sont les principaux moyens d’optimiser le mode routier et le ferroviaire ? R. P. : Faire en sorte que tous les modes paient tous leurs coûts, y compris les coûts environnementaux. On en est loin avec le fer, qui paie la moitié de ses coûts. Les grands projets d’infrastructures (Lyon-Turin, Seine-Nord) ne vous semblent pas pertinents. Pourquoi ? R. P. : Ils coûtent très cher (4 milliards d’euros pour Seine-Nord, 17 milliards pour Lyon-Turin) et rapportent très peu. Même en prenant en compte les économies de CO2 prévues. Ils ne peuvent être financés que par le contribuable, ou par l’augmentation de la dette de l’Etat (de 4 et 17 milliards, dont plus de la moitié pour l’Etat italien en ce qui concerne Lyon-Turin). Le fret aérien est-il indûment subventionné, à l’instar des compagnies à bas coûts dénoncées au Grenelle de l’environnement ? R. P. : L’aérien en général bénéficie de carburants détaxés (comme la SNCF du reste) et dans certains cas d’aérodromes subventionnés. La détaxation des carburants n’est pas justifiable, mais la taxation ne peut pas être mise en œuvre au seul niveau national. L’aménagement d’une piste pour low cost à Limoges ou à Valenciennes ne doit pas coûter bien cher. Et par rapport au fret ferroviaire, subventionné à hauteur des deux tiers, tout cela ne va pas très loin. De toute façon, pour le fret, il n’y a pas vraiment concurrence entre fer et aérien, qui ne concernent pas du tout les mêmes marchandises. Assistera-t-on à l’avenir à un mouvement de relocalisation des activités ? R. P. : Sûrement. Les changements sont permanents, du fait de l’évolution de la technologie et de la demande. La société hypermobile est-elle l’unique paradigme des planificateurs et des décideurs ? R. P. : « Hypermobile » est un concept polémique, pas scientifique. Il implique une norme de mobilité (sortie d’où ? ) qui serait dépassée. La mobilité n’est pas décrétée par les décideurs et les planificateurs. Elle résulte des choix de millions de gens ou d’entreprises. Plus on est riche, et plus on veut se déplacer. Au niveau des déplacements urbains quotidiens, du reste, en France, on n’observe pas d’augmentation de la mobilité depuis trente ans. Les résultats récents d’enquêtes sur les transports en France (à Lyon ou à Lille) suggèrent au contraire un recul, à mon avis très inquiétant en termes d’efficacité économique, de la mobilité.

(1). Michel Didier et Rémy Prud’homme, Infrastructures de transport, mobilité et croissance, La Documentation française, 2007.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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