Bulletins de l'Ilec

Optimiser par le relèvement des normes techniques - Numéro 385

01/11/2007

Le transfert modal doit jouer tout son rôle, même si la principale source de réduction des émissions de gaz à effet de serre est à attendre de l’optimisation du transport routier. Par une meilleure organisation spatiale de la logistique et un cadre normatif exigeant. Entretien avec Michel Savy, professeur à l’Ecole nationale des ponts et chaussées.

Les recommandations du Grenelle de l’environnement vous paraissent-elles applicables sans que le transport de marchandises en pâtisse ?

Michel Savy : L’application des recommandations du Grenelle, dont on ne connaît pas encore le contenu ni l’intensité, posera des problèmes d’adaptation au transport de marchandises. De là à en pâtir globalement ? Certains opérateurs et chargeurs sauront s’adapter plus vite ou mieux que d’autres et en tireront avantage. Quant au volume de transport, le renchérissement probable du coût devrait diminuer le volume de fret. Avec une élasticité que l’on estime de l’ordre de 0,4, un renchérissement de 10 % entraînerait une baisse du transport de 4 % . Si le renchérissement passe par le prix de l’énergie, en considérant que l’énergie entre pour 25 % dans le coût du transport routier, une hausse de 10 % du prix total de l’énergie (charges fiscales comprises) entraîne 1 % de baisse du volume de transport : le volume global d’activité ne devrait pas être énormément affecté.

Le Grenelle de l’environnement ne prône-t-il pas des mesures parfois contradictoires, comme l’idée de transfert modal par rapport à l’optimisation de chaque mode par la recherche-développement, ou par rapport au remboursement de la « dette ferroviaire » ? Ne vaut-il pas mieux améliorer la coopération entre la route et le ferroviaire ?

M. S. : Le transfert modal (éventuel) suppose de toute manière une coopération entre modes : rares sont les « sites embranchés » ou « bord à canal » ne nécessitant aucun pré ou post-acheminement routier. Il est possible, sur quelques segments de marché bien précis, de transférer une part du fret routier sur le fer, le fleuve, la mer, ou plutôt sur des combinaisons intermodales utilisant ces techniques, en s’inspirant par exemple des méthodes qui réussissent aux États-Unis (des trains longs, lourds et lents circulant sans s’arrêter sur des infrastructures dédiées). S’il est pertinent de les exploiter, de tels segments de marché sont assez limités. Le gisement principal de réduction des émissions de gaz à effet de serre est dans l’optimisation du transport routier lui-même. Quant au remboursement de la dette ferroviaire, c’est un héritage du passé qui ne devrait pas obérer éternellement le recours au rail quand celui-ci est pertinent. L’Allemagne a depuis longtemps annulé sa dette et la Deutsche Bahn est le premier opérateur ferroviaire d’Europe.

Au Grenelle s’est affirmé l’objectif d’amener « le fret non routier de 14 % aujourd’hui à 25 % du fret total en quinze ans ». Un objectif aussi général présente-t-il un intérêt environnemental véritable ? Le calcul économique ne serait-il pas le meilleur arbitre environnemental, comme le suggère un récent rapport (1)?

M. S. : L’intérêt environnemental d’un transfert est indiscutable, surtout en France où l’électricité est d’origine hydraulique ou nucléaire. Le débat est celui des moyens économiquement les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz carbonique. L’application uniforme de mécanismes de prix, préconisée par MM. Didier et Prud’homme, repose sur une logique économique très robuste, mais elle ignore par exemple la dimension territoriale du transport. Quand on veut développer le transport collectif urbain de voyageurs, on n’enchérit pas le transport par automobile partout, jusque dans les zones rurales où il n’a pas d’alternative : on subventionne le transport collectif dans les villes où il existe. En outre, les mécanismes économiques ne sont pas les seuls disponibles et efficaces. Ainsi, pour diminuer la pollution des moteurs Diesel, la Commission n’a pas émis des droits à polluer, elle a édicté des normes techniques de plus en plus sévères, auxquelles les constructeurs se sont conformés, et c’est un des plus beaux succès de la politique européenne des transports. Pour diminuer le nombre d’accidents, on n’a pas fait payer plus cher le droit à l’accident…

Est-il possible de réduire l’impact environnemental du transport sans en augmenter fortement le coût ?

M. S. : Quand on remplit mieux un camion par une organisation logistique plus rigoureuse, on diminue l’impact du transport tout en diminuant son coût. Les marges de manœuvre sont multiples, technologiques et organisationnelles.

Faut-il continuer à raisonner comme si toute demande de transport était le signe d’un bénéfique surcroît de croissance (alors que Bruxelles se félicite d’un certain « découplage ») ?

M. S. : Le terme de découplage a disparu du vocabulaire bruxellois depuis la révision du Livre blanc des transports en 2006. Pour autant, la question reste intéressante. À l’intérieur de l’Union européenne, la quantité de transport pour produire 1000 euros de PIB varie dans un rapport de 1 à 12 entre les pays les moins et les plus « transportivores ». Toutes choses égales par ailleurs, il est souhaitable de réduire les mouvements de fret. La mutualisation des sites logistiques ou la déspécialisation de certaines usines, par exemple, permettraient de diminuer les volumes transportés. Il faut faire le bilan coûts-avantages, pour les entreprises et pour la collectivité, de ces diverses solutions.

Quels sont les principaux moyens d’optimiser le mode routier ?

M. S. : Tous les éléments du système peuvent être sollicités : technique du moteur, du véhicule dans son ensemble (structure allégée, chaînes mécaniques, pneumatiques, aérodynamique, etc.), carburants alternatifs aux énergies fossiles ; modes d’exploitation (conduite économique, réduction de la vitesse, remplissage des véhicules), etc. C’est l’addition de gains de quelques pourcents cumulés qui permettra de progresser.

Compte tenu du coût (trop comprimé par le passé en ce qui concerne le rail, à en croire un rapport récent) (2), d’entretien de l’existant, de nouveaux grands projets sont-ils finançables ?

M. S. : Les marges de manœuvre budgétaires sont étroites, d’autant que la privatisation des concessions d’autoroutes ne permet plus le financement de l’AFITF (3). La difficulté n’est pas nouvelle et le schéma des infrastructures du Comité interministériel pour l’aménagement et le développement du territoire de 2003 posait déjà le problème, sans que le gouvernement ait encore énoncé la solution. La redevance sur les poids lourds ou l’écotaxe y suffiront-elles ? Le péage allemand (Lkw Maut) rapporte plusieurs milliards d’euros par an, mais l’Allemagne n’avait auparavant aucun péage… Il ne faudrait pas que se reproduise, une fois encore, le divorce entre les paroles et les actes, faute de moyens engagés.

Où en est la réflexion sur les schémas régionaux d’implantation des plates-formes logistiques ? La carte actuelle de la France est-elle adaptée ? Qui en décide ?

M. S. : A l’heure de la décentralisation, il est peu probable que l’administration centrale élabore un schéma national des plates-formes logistiques. En revanche les régions, les départements, les agglomérations s’en soucient légitimement et incluent la logistique dans leurs axes de développement et d’aménagement. La France est attractive sur le marché européen de la logistique du fait de sa disponibilité foncière, de la qualité de ses infrastructures, de la compétence des opérateurs.

Y a-t-il possibilité de concilier une implantation optimale des centres logistiques avec une politique d’aménagement du territoire ?

M. S. : La logistique s’implante principalement dans les zones métropolitaines, elle contribue à la polarisation du territoire. L’insertion de la logistique dans les plans d’urbanisme est une question qui évolue. Une meilleure qualité d’insertion dans l’environnement est indispensable et une amélioration sensible s’observe en la matière.

Que peut-on attendre de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire ?

M. S. : L’entrée de nouveaux opérateurs ferroviaires crée de nouveaux marchés. Il s’agit de marchés de niche assez précis, consistant souvent en navettes dédiées à un type de produit. L’ensemble ne représente encore qu’une part très minoritaire du transport ferré, même en Allemagne où les nouveaux entrants sont nombreux. On peut espérer que cette menace incitera les opérateurs historiques à innover davantage.

Assistera-t-on à l’avenir à un mouvement de relocalisation des activités ?

M. S. : Le renchérissement du transport peut amener à réduire les distances de transport et à une certaine relocalisation. Cela ne vaut guère pour le transport maritime, qui restera très bon marché par comparaison avec le transport terrestre (le transport d’un vêtement entre la Chine et l’Europe coûte quelques centimes), et d’éventuelles relocalisations répondront à des soucis de qualité, de réactivité de la production, etc. En revanche, on peut revenir sur une concentration excessive des sites de production à l’intérieur de l’Europe, en considération des transports terrestres qu’ils engendrent. Plutôt qu’un entrepôt unique pour l’Europe, on en aura peut-être deux ou trois, mais on ne reviendra pas à l’échelle régionale qui était celle de nombreux marchés il y a quarante ans. Dans un récent ouvrage, Logistique et territoire (La Documentation française), est proposée l’idée d’un « contrat de localisation logistique » touchant ce type d’implantation…

(1). Michel Didier et Rémy Prud’homme, op. cit.
(2). Robert Rivier et Yves Putallaz, Audit sur l’état du réseau ferré national français, EPFL-Litep, septembre 2005.
(3). Agence de financement des infrastructures de transport de France.
  • Initiatives communautaires pour le rail et la mer

La Commission a adopté le 18 octobre des mesures en faveur de la logistique, du réseau ferroviaire à priorité fret et des ports européens, ainsi que deux documents sur « l​‌’espace européen de transport maritime sans barrières » et sur les « autoroutes de la mer ». Ces initiatives visent à « rendre le rail et le transport maritime et fluvial plus attractifs, plus concurrentiels dans la perspective de la comodalité » (Jacques Barrot, commissaire aux Transports). Bruxelles entend favoriser, sur le réseau ferroviaire européen du fret, une meilleure qualité de service, en temps de parcours, en fiabilité et en capacité. L​‌’objectif est de promouvoir des techniques novatrices dans les infrastructures, la gestion et les procédures administratives. Les mesures adoptées s​‌’inscrivent en complément du système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS (sur l​‌’interopérabilité et la signalisation, adopté le 6 mars 2007) ou de la construction d​‌’infrastructures du Réseau transeuropéen de transport.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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