Bulletins de l'Ilec

L’ambition d’une vérité des prix par le marché - Numéro 393

01/09/2008

Entretien avec Luc Chatel, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi chargé de l’Industrie et de la Consommation, porte-parole du gouvernement

En quoi la LME s’inscrit-elle dans la démarche tracée par la loi du 3 janvier 2008 ? Luc Chatel : La loi Galland avait introduit en 1996 une définition trop rigide du seuil de revente à perte (SRP), qui a eu des effets pervers : elle a entraîné l’explosion des marges arrière, mais surtout, elle a eu des effets fortement inflationnistes, puisque les prix des produits de grande consommation ont alors augmenté deux fois plus vite que l’inflation. A la suite de la réunion du 17 juin 2004 organisée par le ministre de l’Economie et des Finances Nicolas Sarkozy, une grande démarche de réforme s’est mise en place, dans un premier temps avec la loi du 2 août 2005 en faveur des PME. Face aux fortes augmentations des matières premières observées au cours de l’année 2007, le gouvernement a souhaité accélérer la réforme de la loi Galland, en procédant en deux étapes. La première étape a consisté à rétablir pleinement le jeu de la concurrence au bénéfice des consommateurs au niveau des règles de fixation des prix par les distributeurs. La loi du 3 janvier 2008 « pour le développement de la concurrence au service des consommateurs » a ainsi instauré le « triple net » : désormais, l’ensemble des marges arrière peut être répercuté dans les prix de revente aux consommateurs, permettant aux distributeurs de baisser les prix. La définition du SRP est devenue plus simple et sa signification économique plus évidente. D’autre part, cette même loi a préparé la « négociabilité », en mettant en place la convention unique. Mais il restait à mettre définitivement fin au système absurde des marges arrière, et à revenir aux fondamentaux de la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs. La loi de modernisation de l’économie a ainsi mis un terme à la réforme des relations commerciales en instaurant la négociabilité des conditions de vente des produits et des services. Le formalisme des contrats de prestation de services demeure tel qu’édifié par la loi du 2 août 2005, avec à la clé des sanctions civiles alourdies. Pourquoi avoir conservé en 2008 ce dispositif ? Faut-il y voir une volonté politique ou une ambiguïté résiduelle ? L. C : Les travaux de concertation qui ont précédé l’élaboration du projet de loi ont permis de constater l’attachement de la plus grande partie des acteurs de la relation commerciale aux dispositions relatives aux services de coopération commerciale. Les mesures de la loi n’ont ainsi pas modifié la définition ni les modalités d’encadrement de ces services de coopération commerciale. Toutefois, la LME a permis aux distributeurs qui ne revendent pas aux consommateurs (distributeurs professionnels, grossistes) de qualifier de coopération commerciale les services qu’ils rendent à leurs clients professionnels, dès lors qu’ils sont fournis en vue de la revente des produits et qu’ils sont propres à favoriser leur commercialisation. Ces services de coopération commerciale continueront de faire l’objet d’une facturation spécifique par le distributeur, comme dans les autres pays européens. En revanche, toutes les autres obligations concourront à la détermination du prix convenu dans le cadre de la négociation commerciale. Le formalisme est ainsi allégé, puisqu’il ne sera plus nécessaire de quantifier ligne à ligne les contreparties, et l’équilibre du contrat s’appréciera globalement. D’autre part, la date butoir de fin des négociations commerciales (jusqu’ici le 1er mars pour tous) a été assouplie, pour tenir compte des produits dont le cycle n’est pas fondé sur l’année civile. Le texte de la LME est donc suffisamment souple, tout en prévoyant un certain nombre de garde-fous. Le système de sanction civile – qui est alourdi – ne porte pas sur le formalisme du contrat, mais sur les pratiques abusives des fournisseurs et des distributeurs. Ce système a été revu pour empêcher les abus de puissance d’achat ou de vente : davantage de liberté dans la relation commerciale, ce n’est pas la loi de la jungle ! Comment interpréter les termes « concourent à la détermination du prix convenu » ? Cela implique-t-il que la facture indique une seule ligne : le prix du tarif résultant des CGV, minoré de la rémunération des obligations ? Ou bien le montant de cette réduction de prix doit-il être indiqué à part ? L. C : Les différentes lois qui se sont penchées sur les relations commerciales n’ont pas réussi jusqu’ici à enrayer le développement des marges arrière. En créant en 2005 la catégorie des « services distincts », définie en creux comme des services autres que la coopération commerciale, le législateur a même favorisé le développement de ces marges arrière – passées de 35 à 40 % en deux ans – et l’inventivité des distributeurs pour imaginer de nouveaux services, plus ou moins réels, facturés aux fournisseurs. Avec la réforme introduite par la LME, le gouvernement s’est attaqué au cœur du système. D’une part, la négociabilité libère la négociation « à l’avant » et permet aux distributeurs de faire à nouveau du commerce, en margeant sur la revente des produits aux consommateurs. D’autre part, les marges arrière sont définitivement dégonflées par la remontée des « services distincts ». Désormais, toutes les obligations qui ne peuvent pas être qualifiées de coopération commerciale, qu’elles soient formalisées dans le cadre de conditions particulières de vente ou directement négociées dans le cadre de la convention annuelle, donneront lieu à une modulation tarifaire, c’est-à-dire qu’elles trouveront leur contrepartie financière au travers du tarif négocié des produits, porté sur la facture du fournisseur, sans nécessité de détailler ligne à ligne. Le législateur a également souhaité supprimer les termes de « services distincts », qui étaient de nature à créer une confusion avec les dispositions de l’article L. 441-3 du Code de commerce sur la facturation, et avaient abouti à la spécificité française de la « facturologie ». Avec la réforme proposée, les marges arrière se dégonfleront, pour rejoindre le niveau moyen de celles observées dans les autres pays européens. Ne faut-il pas craindre certaines conséquences de l’autorisation de discriminer, par exemple, au regard du droit des ententes, l’éviction de certains opérateurs du marché ? L. C. : Le droit de la concurrence (titre II du livre IV du Code de commerce) et le droit des pratiques restrictives de concurrence (titre IV) ne poursuivent pas le même objectif. Le titre II a pour but d’appréhender les pratiques portant atteinte au fonctionnement des marchés ou à la structure de la concurrence, tandis que le titre IV vise à assurer la loyauté des relations commerciales. En tout état de cause, une négociation commerciale entre un fournisseur et un distributeur aboutissant à un tarif négocié ne saurait être qualifiée d’entente. Seules les pratiques d’un acteur en position dominante visant à évincer ses concurrents pourraient être qualifiées sur le fondement de l’article L. 420-2 du Code de commerce (abus de position dominante). En contrepartie d’une liberté accrue, la LME a renforcé les garanties pour les acteurs les plus fragiles de la chaîne commerciale. Les conditions générales de vente demeurent le socle de la négociation commerciale, la convention doit reprendre l’ensemble des obligations en vue de fixer le prix convenu à l’issue de la négociation commerciale, et le juge pourra rechercher les abus de puissance d’achat ou de vente au travers des « déséquilibres significatifs entre les droits et les obligations des parties ». Par ailleurs, les sanctions sont renforcées, puisque l’amende civile pourra être portée au triple du montant des avantages illicitement tirés des pratiques abusives. Enfin, la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) pourra être consultée pour éclairer la décision du juge. Le texte donne-t-il aux pouvoirs publics les moyens de mettre fin aux situations de quasi-monopole dans certaines zones de chalandise, que dénoncent les associations de consommateurs ? L. C. : Le texte prévoit en effet que le maire puisse saisir l’Autorité de concurrence si un commerce de détail abuse de sa position dominante dans sa zone de chalandise. L’Autorité de concurrence peut alors, si l’abus est caractérisé, recourir aux instruments usuels, et notamment aux sanctions pécuniaires. Mais nous avons voulu aller plus loin. Parce que les sanctions pécuniaires ne sont pas toujours l’instrument le plus approprié pour mettre fin à l’abus, en particulier quand la ressource foncière est rare et qu’il n’est pas possible pour un nouveau concurrent d’entrer sur le marché. Dans ce cas extrême, l’Autorité de concurrence pourra prononcer ce que l’on appelle des « injonctions structurelles ». De quoi s’agit-il ? L’autorité contraindra l’entreprise à céder des magasins, si cette cession constitue le seul moyen de garantir une concurrence effective dans la zone de chalandise considérée. Mais, vous l’avez bien compris, il s’agit là d’une solution de dernier recours. Faisons d’abord confiance aux mécanismes du marché pour rétablir la vérité des prix. L’esprit du texte, c’est d’abord de favoriser l’arrivée de nouveaux acteurs, qui feront disparaître par le jeu de la concurrence les situations de quasi-monopole local, au bénéfice des consommateurs et de leur pouvoir d’achat.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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