Bulletins de l'Ilec

Haro sur la fausse coopération commerciale - Numéro 393

01/09/2008

Entretien avec Michel Glais, professeur à la faculté de sciences économiques de Rennes, membre de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC)

En quoi la LME s’inscrit-elle dans la démarche tracée par la loi Chatel du 3 janvier 2008 ? En quoi s’en éloigne-t-elle ? Michel Glais : Présentée comme la deuxième étape de la réforme des relations commerciales, la loi de modernisation de l’économie s’inscrit formellement dans la continuité de celle adoptée en janvier dernier. Elle vise, comme elle, à permettre un rapatriement sur facture d’un certain nombre d’avantages financiers qui précédemment n’y figuraient pas. Mais alors que la loi du 3 janvier se positionnait dans le cadre juridique existant, et visait principalement à répondre de façon pratique à l’objectif de baisse des prix de vente aux consommateurs, la LME se veut plus structurelle et plus ambitieuse. En modifiant certaines dispositions du titre IV (1), elle est censée offrir aux partenaires commerciaux un cadre de plus grande liberté dans leurs négociations tarifaires, et surtout les amener à concevoir leurs rapports de façon différente. Les notions d’avant et d’arrière ont-elles encore un sens, d’un point de vue juridique, commercial ou comptable ? La lutte contre les prestations fictives ne risque-t-elle pas de sonner le glas de la vraie coopération commerciale (la loi favorisant la remontée des prestations de service sur facture, et la Cour de cassation ayant consacré la capacité du ministre de l’Economie à remettre en question des accords signés entre les parties) ? M. G. : L’objectif de la loi est effectivement de tourner le dos au système des marges arrière, et il est évident que le pari sera tenu en partie. Cela étant, on ne voit pas comment ces marges pourraient être totalement écartées, dans la mesure où certains avantages financiers demeureront conditionnels, donc non susceptibles de figurer sur une facture d’achat émise par le fournisseur. Va sans doute poser problème, dans certains cas particuliers, l’obligation de mentionner, sur la facture du fournisseur, la rémunération de certains services distincts (sans compter des difficultés sur un plan fiscal). Ce qui est visé par la réforme, c’est la chasse à la fausse coopération commerciale. Mais il n’y a aucune raison que disparaisse la vraie coopération, surtout dans un climat de plus forte concurrence. Il ne suffit pas pour un fabricant de créer de l’innovation, encore faut-il qu’il la fasse connaître et apprécier des consommateurs. Or les distributeurs demeurent, à cet égard, des prescripteurs incontournables de ces innovations vis-à-vis du consommateur final. En outre, la marque, « brevet mental », selon l’heureuse expression de Jean-Noël Kapferer, doit continuellement nourrir sa notoriété par des opérations de communication. Là encore, les distributeurs occupent une position de partenaires privilégiés. Quels pourront être les critères du juge pour apprécier les « déséquilibres » ou les « conditions manifestement abusives » dont l’interdiction borne la discussion du prix de cession ? L’exemple du recours à la notion de « déséquilibre significatif » en droit de la consommation et l’absence de clarté des critères ne portent-ils pas à s’interroger sur l’efficacité de cette notion (introduite à l’article L. 442-6) ? M. G. : L’architecture de la réforme repose sur l’adoption de mesures ayant pour objectif la dynamisation de la concurrence, aussi bien en amont qu’en aval. En témoignent l’abandon du 1° de l’article L. 442-6 I du Code de commerce, relatif aux pratiques discriminatoires, et la réaffirmation de la possibilité, pour un fournisseur, de différencier ses CGV selon les catégories d’acheteurs. Même si cette souplesse existait auparavant, le message accompagnant les circulaires Dutreil selon lequel « différencier n’est pas discriminer » n’avait guère été reçu par les fournisseurs, en particulier par les PME. La suppression de l’incrimination per se des pratiques discriminatoires n’implique toutefois pas que les partenaires disposent d’un champ totalement libre dans la mise en œuvre de leurs négociations tarifaires. En premier lieu, il a été ajouté au texte de l’article L. 441-7 que toute convention conclue entre les parties indique les obligations auxquelles celles-ci se sont engagées en vue de fixer le prix convenu à l’issue de la négociation commerciale. En second lieu, a été introduite au 2° de l’article L. 442-6 une disposition visant le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Est clairement visée par cette disposition la situation où un fournisseur ferait l’objet de trop fortes pressions de la part de distributeurs disposant à son égard d’un fort pouvoir de négociation. La rédaction de cette disposition est certes identique à celle déjà adoptée en droit de la consommation. Le consommateur final est toutefois un individu supposé particulièrement fragile et incompétent. Dans une relation fournisseur-distributeur, il s’agit de deux professionnels avertis. On peut donc penser que la notion de « déséquilibre significatif » ne devrait pas être appliquée en droit des pratiques restrictives de la même façon qu’elle l’est en droit de la consommation. Dans un tel contexte, sur quelle base méthodologique un « déséquilibre significatif » pourrait-il être établi par un juge ? M. G. : En théorie, dans une situation de concurrence plus effective qu’auparavant, les CGV du fournisseur (qui demeurent le « socle de la négociation ») devraient constituer le référentiel de départ. Les CGV doivent en effet refléter les conditions en vigueur sur un marché où règne une concurrence suffisante. C’est donc sur la base des CGV que devraient être d’abord constatés les écarts entre les conditions tarifaires prévues par le fournisseur et celles adoptées à l’issue de la négociation. Constater l’existence d’un écart ne conduit évidemment pas immédiatement à en déduire que celui-ci constitue le fruit d’un déséquilibre contractuel. L’écart peut se justifier par l’existence ou la création de contreparties suffisamment substantielles pour écarter tout risque en la matière. C’est donc bien la preuve de l’absence ou de l’insuffisance avérée de contreparties qui devra être apportée par le plaignant et vérifiée par le juge. De nombreux praticiens (voir par exemple l’avis de l’Association française d’étude de la concurrence du 28 avril 2008) avaient d’ailleurs préconisé que, après la suppression de l’interdiction de discriminer, soit introduite à l’article L. 441-7 une exigence de contreparties réelles aux avantages tarifaires concédés. On notera que les dispositions de l’article L. 442-6 ne constituent pas les seules bases possibles de recherche de la responsabilité d’un partenaire commercial au titre de l’absence de contreparties réelles. L’article 1108 du Code civil a déjà été employé dans une décision récente, en faveur de la Fédération des producteurs de fruits et légumes, obligeant une enseigne de la distribution à rembourser des avantages considérés comme perçus de façon injustifiée. Le contrat ne mentionnait pas de façon suffisamment précise et vérifiable les obligations du distributeur. Se pose également la question de savoir si l’appréciation du déséquilibre se fera sur la base de l’ensemble de la convention signée entre les parties, ou contrat par contrat. Il semble que dans l’esprit de la réforme engagée, ce soit la première solution qui doive prévaloir. En toute hypothèse, et sauf cas exceptionnel où le déséquilibre significatif pourra être établi d’un trait de plume, la tâche du magistrat ne sera guère facile. Elle nécessitera l’appel à des mesures d’expertise judiciaire exigeant la communication de données comptables et financières, nombreuses et précises. Enfin, on peut douter que les fournisseurs sollicitent souvent le juge, les dispositions relatives à l’abus d’état de dépendance, figurant dans le texte précédent, n’ayant guère prouvé leur efficacité. Sont aussi évoquées les « conditions manifestement abusives » qui pourraient être obtenues par un des partenaires sous la menace d’une rupture brutale, totale ou partielle, des relations commerciales. En ce qui concerne les prix, on peut penser que les méthodes de comparaison entre prix et coûts, utilisées en droit de la concurrence dans les cas de mise en évidence d’une stratégie de prédation, pourraient être utilement sollicitées dans le cas de la recherche du caractère manifestement abusif du prix exigé par l’auteur de la menace. Quant aux autres domaines visés par le texte, l’analyse devrait pouvoir être réalisée sur la base des codes et chartes de bonne conduite souvent conclus entre syndicats représentatifs d’une filière. Le concours de la CEPC pourrait également s’avérer précieux, eu égard à l’expérience qu’elle a accumulée dans les domaines concernés depuis sa création. Les nouvelles règles encadrant la négociation commerciale sont-elles plus adaptées à certains secteurs qu’à d’autres ? M. G. : Il est difficile de répondre à cette question… On peut sans doute évoquer le domaine de la grande distribution, puisque, par essence, c’est celui où les avantages hors facture étaient les plus développés, ainsi que les secteurs d’activité pour lesquels les produits vendus font l’objet, de la part des consommateurs, de demandes sensibles aux variations de prix. Quels circuits de distribution et quels types de marques le nouveau dispositif devrait-il favoriser ? La diversité de l’offre pourrait-elle en pâtir ? Y a-t-il une volonté gouvernementale de privilégier les MDD et le maxidiscompte, comme a semblé le manifester, le 28 août, le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, à la Réunion (2) ? M. G. : On peut être tenté de répondre que les dispositions introduites par la LME tendent à accroître l’écart entre les prix en fond de rayon pratiqués par les grandes enseignes de la distribution (et le maxidiscompte) d’une part, et les petits commerçants d’autre part. Mais il n’est pas évident que cela se traduise par un affaiblissement supplémentaire de la situation du petit commerce. Les motivations qui poussent les consommateurs à s’adresser à un petit commerce ne sont pas les mêmes que celles conduisant à acheter en grandes et moyennes surfaces ou en maxidiscompte. De plus, les achats effectués dans les petits commerces de proximité ne répondent pas non plus à la même sensibilité aux prix. Par ailleurs, il n’est pas évident que les nouvelles dispositions aient un effet notable sur les ventes de marques de distributeurs. Un certain nombre d’études (en particulier celle réalisée par Michel Dietsch pour la CEPC) ont montré que le développement des MDD a ses limites. Elles ne fidélisent pas tellement les consommateurs aux enseignes, et une trop forte exposition d’une enseigne aux MDD semble même avoir des effets contre-productifs sur les ventes en volume. En outre, les grandes marques ont largement les moyens de se défendre face à une éventuelle, mais peu probable, croissance de l’offre de produits sous MDD. Sur un linéaire, la recherche d’un équilibre est nécessaire entre les offres de marques nationales, régionales et de MDD. C’est tout l’art du distributeur de trouver les bonnes combinaisons. La « charte » signée à la Réunion est apparemment la seule du genre… En tout état de cause, on ne peut pas à la fois vanter le libre jeu du marché et intervenir pour orienter les choix des partenaires économiques, dans leurs décisions quant aux produits à fabriquer ou à distribuer. Ne faut-il pas craindre certaines conséquences de l’autorisation de discriminer ? Par exemple, au regard du droit des ententes, l’éviction de certains opérateurs du marché ? M. G. : En théorie, on peut envisager la naissance, dans certains secteurs, d’ententes verticales à partir de CGV catégorielles établies par les fournisseurs. De telles ententes, ayant pour objet ou pour effet d’évincer certains opérateurs (certains types de producteurs ou de circuits de distribution), relèveraient des pratiques anticoncurrentielles sanctionnables au regard des dispositions de l’article L. 420-1 du Code de commerce. La LME peut-elle faire baisser les prix des produits ? M. G. : Les dispositions de la LME contribueront, sans doute, à des réductions légères de certains prix de produits vendus sous marque nationale. Cela pourrait être le cas des biens dont la demande est sensible au prix. L’effet semble plus douteux en ce qui concerne les produits à demande peu élastique. Cependant, les baisses de prix pourront être un peu plus importantes si les distributeurs utilisent leur fort pouvoir de pression sur les PME, pour obtenir des conditions tarifaires que les fabricants de grandes marques ne pourront pas toujours ignorer. Il est toutefois peu vraisemblable que les dispositions de la loi contribuent à faire davantage baisser les prix que ce qui aurait été obtenu sur la base des dispositions déjà retenues dans la loi du 3 janvier 2008. En quoi le nouveau dispositif régissant les relations industrie-commerce est-il plus moderne ? M. G. : Je ne sais pas s’il est plus moderne… Mais en tout cas, il paraît plus cohérent avec une philosophie cherchant à rompre, autant que faire se peut, avec les restes d’économie administrée dont le titre IV du Code de commerce constitue une parfaite illustration. Il représente également, dans une large mesure, une étape vers une simplification des négociations commerciales. Comment voyez-vous le rôle de la CEPC ? Pourra-t-elle lever certaines ambiguïtés dans l’application de la loi ? M. G. : La CEPC est d’abord une instance de dialogue dépassionné entre des personnalités représentatives du monde de l’industrie et du commerce. Saisie de plus en plus fréquemment, elle a rendu, depuis sa création, des avis qui lui ont permis de démontrer son expertise dans un certain nombre de domaines, en particulier dans celui des délais de paiement et de l’analyse des contrats de distribution. Elle devrait devenir, comme le souhaite le texte de la loi, un interlocuteur privilégié des magistrats, en particulier en ce qui concerne les questions relevant des bons usages commerciaux et de la mise en évidence du caractère « manifestement abusif » de certaines pratiques. La rapidité de ses réponses conditionnera sans doute l’intérêt que pourraient lui porter les juridictions concernées. (1). Titre IV du livre IV du Code de commerce : « De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d’autres pratiques prohibées ». (2). Le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Yves Jégo a signé le 28 août avec la FCD, à Saint-Denis-de-la-Réunion, une charte visant à « participer activement à l’amélioration du pouvoir d’achat » des Réunionnais. La distribution s’y engage à « répercuter toutes les baisses de coûts des taxes et des frais d’approche dont l’Etat prendrait l’initiative» ainsi qu’à « développer au maximum les produits MDD et premiers prix »

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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