Bulletins de l'Ilec

La main aux élus - Numéro 393

01/09/2008

Entretien avec Jacques Perrilliat, président exécutif de l’Union du grand commerce de centre-ville (UCV)

En quoi les mesures de la LME touchant l’urbanisme commercial représentent-elles une « modernisation » ? Alors qu’il est question de l’intégration de l’urbanisme commercial dans le Code de l’urbanisme, qu’est-ce que la LME a déjà changé d’essentiel en la matière ? Jacques Perrilliat : La loi de modernisation de l’économie propose une complète mutation par rapport aux lois antérieures, lois Royer, Raffarin, qui avaient instauré un régime de tickets de rationnement. Elles étaient fondées sur une appréciation économique, la densité, c’est-à-dire le nombre de grandes surfaces, appréciation que l’Europe récuse. Ces lois entendaient défendre une certaine catégorie socioprofessionnelle, le petit commerce. Aujourd’hui, la querelle porte davantage sur la défense d’un territoire par rapport à un autre, en termes d’emplois, de taxes professionnelles. La LME prévoit de résoudre cela par des schémas d’aménagement qui relèvent cependant, pour l’heure, du domaine de l’intention, car il en existe peu, et ceux qui existent sont souvent de simples déclarations d’intention. Parler de modernité pour cette loi est peut-être exagéré, disons que ses mesures sont plus conformes à la volonté de la Commission européenne, qui condamne les règles anticoncurrentielles. Alors que la LME marque la fin du régime des commissions départementales d’équipement commercial (Cdec) et inaugure celui des commissions départementales d’aménagement commercial (Cdac), quel est le nombre de dossiers en cours d’examen ? A-t-on une idée du stock d’autorisations non utilisées et des raisons de leur non-utilisation ? J. P. : Il y a 251 dossiers en instance. Quant à la non-utilisation, elle est due aux recours devant les tribunaux. Il y a beaucoup de critiques à formuler, car on a assisté à de véritables opérations de racket, dont bon nombre de promoteurs se plaignent. Eric Ranjard, président du Conseil des centres commerciaux, avait suggéré, sans succès, qu’au-delà d’un certain chiffre en m2 on ait une décision formulée directement au niveau national, de telle sorte que les délais de procédure soient réduits. Quel est le coût d’un dossier de demande d’ouverture ? Est-il appelé à s’enchérir ou à diminuer ? J. P. : Il n’y a pas une réponse. Un dossier peut coûter entre 5 000 et 10 000 euros, évaluation à considérer avec prudence. Le coût varie avec la dimension du projet. On peut dire que les prix des dossiers importants sont très élevés. Le fonctionnement des Cdac vous paraît-il adapté ? J. P. : Attendons de les voir à l’œuvre. Le changement le plus significatif est que les présidents des chambres de commerce et de métier disparaissent, car la Commission européenne considère qu’ils sont juges et parties. Pour autant, le fonctionnement est à évaluer avec beaucoup de vigilance et de précaution. Rappelons que, au moment de la loi Royer, personne n’avait formulé d’objections majeures contre des procédures qui furent pourtant à l’origine d’un dispositif de corruption qui a perturbé Considérablement la vie politique au plus haut niveau, ainsi que la vie des affaires. Il a fallu attendre la loi Sapin, qui a substitué la commission nationale d’equipement commercial (Cnec) au ministre, et la loi Raffarin, qui a établi au niveau régional des majorités qualifiées, pour que le mécanisme de la corruption disparaisse. Aujourd’hui, les risques de corruption sont faibles. Les commissions départementales vont désormais apprécier la compatibilité des projets d’ouverture avec les documents d’urbanisme. Mais une procédure (1) n’existe-t-elle pas déjà par ailleurs, au même titre et sur le même objet, pour la délivrance du permis de construire ? J. P. : Le permis de construire a toujours été abordé à raison de considérations de proximité. Il faut se souvenir que toutes les opérations d’entrée de ville, que l’opinion française condamne pour des raisons d’esthétique aussi bien que d’aménagement, ont fait l’objet de permis de construire. Cela montre bien que l’urbanisme n’est pas pris en compte. C’est un des grands problèmes de notre territoire, aujourd’hui. L’idée nouvelle de la LME porte sur l’aménagement, qui, jusqu’à présent, n’avait jamais été pris en considération. Il faut maintenant définir les règles, la jurisprudence. On peut imaginer toutes les hypothèses, même l’échec. Ou bien les élus auront la force d’âme de se mettre d’accord sur de vrais schémas, ou bien la loi ne sera pas appliquée. En tant que membre de la Cnec, je suis amené à rencontrer collectivement beaucoup d’élus municipaux, et j’ai le sentiment que bon nombre d’entre eux pensent qu’une règle d’urbanisme doit être modifiable quand on veut, en fonction des opportunités. Dans ce cas, la loi serait un échec. L’article L. 752-6 énumère cinq objectifs du contrôle des projets de grandes surfaces : « effet sur l’animation de la vie urbaine, rurale et de montagne », « effet sur les flux de transport », « effets découlant des procédures prévues aux articles L. 303-1 du Code de la construction et de l’habitation et L. 123-11 du Code de l’urbanisme », « qualité environnementale du projet », « insertion dans les réseaux de transports collectifs ». Ne redoutez-vous pas que certains critères entrent en contradiction ? J. P. : Parmi ces objectifs, je sélectionne le dernier et en fait un exemple. La loi Gayssot a intégré un amendement du Sénat, déposé par le sénateur Louis Althapé, et qui visait à faire de l’existence de transports collectifs un élément de jugement quand on délivre des autorisations. Or le Conseil d’Etat a estimé que ce critère ne devait intervenir qu’après les autres. Par conséquent, cet article de loi n’a jamais fait l’objet d’une application concrète. Il n’y a pas eu de cas où l’on ait accepté ou refusé un dossier au vu de ce critère. Regardez le centre commercial de Bègles, presque totalement dépourvu de transports collectifs : le maire est pourtant un ardent défenseur des transports collectifs et un critique très vif de l’automobile. Je reste donc perplexe quant à la façon dont le critère de « l’insertion dans les réseaux de transports » sera appliqué. Pour autant, si les critères mentionnés dans la loi sont appliqués rigoureusement pour les centres importants, cela annonce la fin de l’urbanisme étalé. Je m’en réjouirai, car je crois que la ville dense est la seule vraie réponse aux problèmes des quartiers difficiles. La même loi va-t-elle s’appliquer d’un département à l’autre ? J. P. : La même loi et les mêmes décrets, oui. Reste les positions, homogènes ou non, qui seraient prises localement. Ce sera aux instances nationales d’établir une doctrine cohérente. Mais cela ne s’obtient pas du jour au lendemain. Les possibilités de recours contre les décisions des Cdac vous paraissent-elles satisfaisantes ? J. P. : Oui, plutôt. Au nom de la culture juridique française, il est indispensable qu’il y ait des voies de recours, mais il n’est pas nécessaire de les multiplier, car cela risquerait d’empêcher toute action. La LME permet-elle de mettre fin aux situations de quasi-monopole dans certaines zones de chalandise, que dénoncent les associations de consommateurs ? J. P. : Les associations de consommateurs ont raison de souligner que la notion de monopole, ou de position dominante, ne doit s’apprécier que sur le plan local, dans la zone de chalandise. Ces positions dominantes existent. Je pense que le changement du plafond de 1 000 m2 est très important. Il doit permettre aux discompteurs de se développer et, contrairement à ce que dit Michel-Edouard Leclerc, de peser sur les prix. Les magasins jusqu’à 1000 m2 pourront être créés sans autorisation dans les communes de plus de 20 000 habitants. La reconquête commerciale des centres-villes va-t-elle vraiment bénéficier de ces dispositions, alors que dans toutes les régions s’accentue le phénomène d’étalement urbain de l’habitat ? J. P. : L’existence de ce nouveau plafond est une bonne mesure, car il doit permettre de donner au centre-ville le vrai visage qu’il doit avoir, c’est-à-dire la diversité des formes de commerce adaptée aux diversités de la population. La proximité est fondamentale pour une société qui cherche un équilibre. Qu’est-ce qui a été selon vous, depuis la loi Royer destinée à le protéger, le plus préjudiciable au petit commerce ? J. P. : La loi Royer fut votée dans un contexte politique particulier, marqué par des relents néo-poujadistes et la crainte d’avoir des députés de cette tendance au Parlement. Aussi fut-elle élaborée pour calmer le jeu. Elle a eu aussi un rôle d’amortisseur, afin d’éviter une vague d’hypermarchés qui aurait détruit le petit commerce. Loin de maintenir à tout prix le petit commerce, la loi Royer a donné du temps pour accoucher d’une évolution commerciale et non d’une révolution brutale. La progression du commerce moderne n’a pas été stoppée mais simplement étalée dans la durée. Les formes archaïques du petit commerce ont disparu, indépendamment de la croissance du grand commerce. Par exemple, ceux qui maintenaient des horaires trop rigides n’étaient plus adaptés aux nouvelles habitudes de la vie moderne. C’est d’ailleurs un nouveau petit commerce, celui tenu par des Maghrébins, qui l’a compris le premier. Du coup, il s’est développé. (1). Examen de la conformité du projet avec les articles L. 111-1-2 du Code de l’urbanisme sur le PLU et L. 122-2 du Code de l’urbanisme sur le schéma de cohérence territoriale.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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