Bulletins de l'Ilec

La connaissance par le marché - Numéro 451

01/08/2015

Sur les motivations des consommateurs citoyens, les grandes marques n’ont pas que les moyens et la volonté de savoir, mais aussi la capacité à amorcer en douceur des inflexions comportementales. Entretien avec Francesco Tramontin, Directeur Public Affairs de Mondelez Europe et président du groupe Nudge Task Force à l’AIM (Association européenne des industries de marques)

En quoi les marques – et leurs représentants à l’échelon européen – sont-elles spécialement qualifiées pour épauler des politiques publiques en matière de comportement et de « styles de de vie » ?

Francesco Tramontin : Le développement durable, la santé et le bien-être continuent d’être des sujets majeurs pour les gouvernements en Europe et pour les institutions européennes. Ayant reconnu que des progrès importants ont été réalisés en matière de production durable par les entreprises ces dernières années – par exemple sur l’origine des ingrédients, la composition des produits ou les processus de production –, les décideurs veulent faire plus en matière de consommation durable, en encourageant les consommateurs à adopter des styles de vie plus respectueux de l’environnement et meilleurs pour la santé. Pour y parvenir, les décideurs s’appuient de plus en plus sur les sciences comportementales. Les recherches universitaires sur la façon d’influencer les comportements des consommateurs se sont fortement développées ces dernières années. Elles se sont regroupées sous le terme « nudge », d’après le livre du même nom1. Les principaux enseignements sont que l’information seule ne suffit pas à déclencher un changement de comportement : il faut des approches différentes pour influencer des consommateurs d’âge ou de style de vie différents. Or qui est mieux placé que les marques pour aider les pouvoirs publics à comprendre les comportements des consommateurs et à identifier le meilleur moyen de les influencer sans restreindre leur liberté de choix ? Les marques entretiennent une relation unique avec leurs consommateurs. Elles ont développé des outils et financent sans cesse des études pour comprendre l’évolution des souhaits de différentes catégories de consommateurs, afin d’anticiper leurs désirs et d’y adapter leurs produits et leur communication. C’est pourquoi l’AIM, l’Association européenne des industries de marques, a décidé de lancer « AIM-Nudge », afin de découvrir et de partager les approches qui réussissent le mieux à inspirer des comportements plus durables. Un groupe consultatif indépendant de haut niveau va nous aider à déterminer les mécanismes de nudge les plus appropriés.

Qu’en attendent pour elles-mêmes les industries de marques ?

F. T. : Les membres d’AIM sont des marques leaders en Europe qui veulent rester pertinentes et se développer dans un monde qui évolue rapidement. Elles ont une longue histoire avec leurs consommateurs et elles savent que cette relation est à la fois leur raison d’être et une grande responsabilité. Dans ce cadre, AIM-Nudge vise à répondre à quatre impératifs pour ces entreprises. D’abord, le développement durable de leur activité. De nombreuses marques sont centenaires. Les propriétaires de marques savent qu’ils ne peuvent tout simplement pas bâtir une prospérité durable sur des modes de consommation qui ont un impact négatif sur l’environnement et la santé. Ensuite, la demande des consommateurs. Les consommateurs sont plus intéressés qu’avant par la santé et l’environnement. Cependant, cela ne se traduit pas toujours dans les décisions d’achat et les manières de consommer. Les producteurs de marques veulent rester pertinents, en répondant à cette aspiration croissante. Ensuite encore, l’innovation à travers des valeurs sociales. « Nudging for good » ajoute une dimension sociale à la valeur de la marque. Il s’agit d’une forme innovante d’action d’entreprise. À travers le nudge, les marques créent de nouvelles formes d’engagement avec les consommateurs : elles fournissent des incitations à adopter petit à petit des styles de vie plus respectueux de l’environnement et de la santé ; en échange les consommateurs agissent, sous l’impulsion du nudge. Cela ouvre un champ d’opportunités important pour renforcer la relation de la marque avec ses consommateurs, ajoutant ce faisant de la valeur à la marque. Enfin, la volonté de faire partie de la solution : le concept de nudge est en train de monter en puissance auprès des décideurs politiques et des organisations de la société civile. Pour les marques, cela constitue une opportunité d’engager des partenariats avec les législateurs et la société civile, pour faire partie de la solution, dans les problématiques abordées.

Quels sont les pays européens où l’approche nudge vous semble la plus dynamique aujourd’hui parmi les entreprises ?

F. T. : Si l’on se réfère aux initiatives publiées sur le portail de connaissance2 développé par l’AIM, on constate que de nombreuses initiatives sont mises en œuvre à l’échelle européenne ou mondiale. Il est donc difficile de les relier à un pays particulier, même si l’on retrouve souvent le Royaume-Uni. L’une des premières initiatives, la campagne Ariel “Turn to 30” (« Lavez à 30° ») fut ainsi lancée par P&G Royaume-Uni dès 2006. Plusieurs pays ont créé des réseaux d’intérêts privés autour du concept de nudge : Nudge France, The Swedish Nudging Network, et bien d’autres. Ils sont regroupés dans le réseau européen du nudge « TEN ». Le groupe BVA, partenaire d’AIM-Nudge à travers son unité nudge basée à Paris, assiste l’AIM dans la préparation de l’AIM-Nudge toolkit, à destination des entreprises. BVA indique que la plupart de ses clients privés sont basés en France et au Royaume-Uni.

Selon les pays, les pouvoirs publics sont-ils plus ou moins ouverts aux démarches nudge en relation avec les entreprises ?

F. T. : Tout d’abord, on peut constater que des initiatives nudge publiques-privées ont précédé l’apparition du concept. En France, le programme Epode (« Ensemble, prévenons l’obésité des enfants ») entre dans cette catégorie. Il associait des acteurs publics et privés qui s’appuyaient sur des observations du comportement des enfants, pour tenter de leur faire adopter, sans les forcer, des modes d’alimentation plus sains. Ensuite, il apparaît que les pays qui ont développé des unités spécialisées pour préparer des campagnes nudge, afin d’atteindre des objectifs de politique publique, sont plus à même de comprendre l’intérêt de coopérer avec les entreprises, qui ont une bonne connaissance du comportement des consommateurs. On peut citer à cet égard le Royaume-Uni, le Danemark, l’Allemagne, mais également la Commission européenne, qui s’est dotée de sa propre unité spécialisée dans les sciences comportementales en juillet 2014. Cela dit, ce concept reste très novateur, les liens entre les pouvoirs publics et les entreprises privées restent à construire, et les rôles de chacun à clarifier, pour que la société soit la grande gagnante de ce partenariat: c’est toute l’ambition de l’initiative AIM-Nudge !

1. Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge : la méthode douce pour faire prendre les meilleures décisions, trad., Vuibert 2010. 2. www.aim.be/knowledge-portal.

Propos recueillis par F. E.

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