Bulletins de l'Ilec

Féconde dissymétrie - Numéro 465

31/05/2017

Autre rapport au temps et à l’échec, et ferment d’innovation. Un mouvement « start-up » traverse la grande entreprise, qui invite à la mise en question. Mais tout reste affaire de personnes. Entretien avec Benjamin Glaesener, directeur général d’Electronic Business Group1

Pour qui, de la start-up ou du grand groupe, est-il plus essentiel de s’associer à l’autre ? Besoin d’idées, de trésorerie ?

Benjamin Glaesener : Les deux en ont besoin, et de garder une bonne part d’autonomie. La start-up doit éprouver son modèle : des groupes comme La Poste donnent accès à leur écosystème interne (leurs salariés) ou externe (leurs clients), pour tester des concepts ou des technologies. Cette démarche peut s’accompagner d’une prise de participation, du développement conjoint d’un produit, d’opportunités commerciales. Les grands groupes, eux, ont eu besoin de s’affranchir de lourdeurs internes (procédures, état d’esprit, rigidité de l’infrastructure technique existante). S’ouvrir à des structures bouillonnantes et astraintes à un délai de mise en marché réduit leur permet, pour une prise de risque limitée, de se mettre en question, de nourrir leur veille, voire d’investir à bon escient.

Un grand groupe peut-il s’inventer un « esprit start-up » sans alliance avec une jeune pousse ? Beaucoup cherchent-ils à le faire ? Avec une vue défensive (comme celle des constructeurs automobiles désireux de ne pas se laisser imposer des solutions technologiques par des acteurs de la nouvelle économie) ?

B. G. : L’esprit start-up dépend des personnes qui l’incarnent. Il n’est pas décrété, même si les conditions (cadre ou contrat de travail, entreprise dérivée, équilibre entre innovation et pertes et profits…) peuvent l’encourager. Je ne pense pas qu’il faille coûte que coûte s’associer des start-up, mais il faut les bonnes personnes au management et les bons outils pour recruter et attacher les bonnes personnes aux projets. Les incubateurs et accélérateurs sont omniprésents dans les groupes d’une certaine taille. Les directions des systèmes d’information adoptent un mode de production « agile » pour ne pas se laisser prendre de court par les fonctions clientes ou par une direction digitale transversale. Le mouvement est lancé et c’est une bonne chose, car il invite à créer, à se mettre en question et à attirer la jeune génération, qui penche vers les petites structures plus que vers les grandes.

La question des interlocuteurs en interne dans le groupe est-elle primordiale ?

B. G. : Le b.a.-ba pour accueillir les start-up, c’est de leur préparer un organigramme clair et transparent : qui sait quoi, qui est décisionnaire sur quoi. Sinon, elles peuvent perdre des mois stupidement, ce qui n’est pas grave pour un grand groupe, mais peut être fatal pour une petite structure.

Les deux parties doivent se garantir la disponibilité des ressources humaines nécessitées par leur relation, qui implique les dirigeants côté start-up, mais jusqu’à quel niveau hiérarchique côté grand groupe ?

B. G. : Tout dépend du degré d’implication qu’impose la technologie ou le service porté par la start-up. Il faut un relais au niveau de la direction générale sur tous les projets stratégiques : par exemple, désintermédiation, ou investissement technologique important et changeant profondément les procédures. Sur le reste, la direction doit être régulièrement tenue en veille, pour rester connectée à ce vivier d’idées, d’opportunités et de risques.

En pratique, considère-t-on un plus petit que soi comme un égal ?

B. G. : Une start-up qui réussit, c’est une bonne idée portée par des talents. Vous enlevez l’un des deux paramètres, et le tout s’effondre. Pour garder et stimuler les talents, le rapport doit être équitable. Mais il ne faut pas se voiler la face. Certains groupes peuvent tenter de freiner ou de tuer des innovations qui viendraient mettre en péril une de leurs vaches à lait.

Quand un groupe noue une relation avec une start-up, est-il opportun qu’il l’aide à trouver d’autres clients que lui ?

B. G. : Oui. D’ailleurs les directions achats, qui prennent le relais tôt ou tard, ne toléreront pas, et à raison, que la start-up soit dépendante d’un seul grand groupe.

La prise de contrôle est-elle l’issue obligée de leur association ?

B. G. : Non. La principale motivation des rapprochements est, à un moment donné, d’accélérer l’innovation sur un sujet à partir de l’intelligence collective. Le baromètre de l’EBG a révélé fin 2016 que plus de la moitié des grands groupes ne collaborent avec des jeunes pousses que de façon opportuniste ou sur la base d’investissements ponctuels.

Et si elle a lieu, comment ne pas tuer le greffon et le bénéfice qu’il porte ?

B. G. : La question peut se poser au moment de déployer une expérimentation conçue entre grands groupes et start-up. C’est pour cela qu’il existe une multitude de modes de collaboration, plus ou moins intégrés. Il faut rester dans un partenariat gagnant-gagnant. Tout n’est pas à prendre chez l’autre, les enjeux diffèrent. Les grands groupes ont intérêt à s’inspirer des méthodes « agiles » ou du « design d’expérience utilisateur », mais ils sont obligés à la constance dans l’excellence opérationnelle, ils ne peuvent comme certaines start-up pivoter du jour au lendemain pour redéfinir leurs produits ou leur modèle économique.

Comment se vit un partenariat start-up parmi le personnel du groupe ? B. G. : Il faut donner envie ; mais la contrepartie est d’expliquer l’investissement consenti, de diffuser et d’industrialiser les enseignements, les technologies ou les services validés en « démonstration de faisabilité ». Enfin, il faut associer les directions clés, avec un relais dans chacune.

Les espaces de travail partagés favorisent-ils l’échange créateur ?

B. G. : Mêler les équipes permet de briser les silos, de créer des liens professionnels, amicaux. Mais il faut préserver des espaces de travail calmes, l’agitation ambiante peut nuire à l’efficacité.

Un tel partenariat peut-il avoir un effet sur la culture RH d’un groupe ?

B. G. : Les DRH peuvent s’en servir pour de nouvelles initiatives. C’est une opportunité pour eux de renouer avec des employés qu’ils peuvent avoir délaissés au profit de bilans sociaux de plus en plus contraignants.

Quel temps faut-il à une start-up pour devenir une entreprise classique ?

B. G. : Le rapport au temps n’est pas le même. Six mois pour une start-up peuvent être décisifs, pour un grand groupe cela ne permet pas de mettre tous les compteurs à zéro. Le cycle de vie d’une start-up est soumis à des aléas plus rapprochés ; si un « produit minimum viable » se heurte à un rejet du marché, cela peut la conduire en quelques semaines à une redéfinition complète de sa trajectoire de croissance. Elle sait échouer et apprendre rapidement. Les grands groupes essaient de s’inspirer de ce droit à l’échec. Pour les start-up, il ne s’agit pas d’un choix mais d’une réalité qui s’impose. La start-up cesse d’en être une lorsque, à force de revirements, elle est parvenue à un modèle économique équilibré. Cela ne l’empêchera pas d’innover et de se réadapter ; mais avec plus de temps et un peu moins de pression.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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