Entretiens

Consommaction

Le bon choix de date pour conjurer le gaspillage

23/03/2020

DLC (date limite de consommation), DDM (date de durabilité minimale) : à leur lecture sur l’emballage, les consommateurs peinent à distinguer du périmé le produit encore consommable même s’il a perdu un peu de goût ou de texture. Conséquence : 53 % d’entre eux jettent des produits « à consommer de préférence avant le... » (DDM), alors qu’ils peuvent être consommés sans risque. C’est ce qui a motivé le 28 janvier 2020 la réunion autour de Lucie Basch, fondatrice de l’application Too Good to Go, de trente-huit acteurs de l’alimentation, avec le soutien des ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture, et du Conseil national de l’alimentation. Entretien avec Lucie Basch, fondatrice de Too Good to Go

Le pacte du 28 janvier[1], qu’ont signé des industriels, des distributeurs et leurs représentants de l’Ania ou de la FCD, comprend dix engagements en quatre champs d’action : sensibiliser les publics ; clarifier la différence entre DLC et DDM ; optimiser la valorisation des produits exclus des circuits de vente ; coopérer entre acteurs pour harmoniser les pratiques et optimiser les flux de distribution. Un comité de suivi doit être mis en place et un point d’étape sera fait en 2021. Comment l’idée en a-t-elle surgi ?

Lucie Bash : Too Good to Go[2], commencé sa réflexion sur les dates de consommation il y a deux ans, en rencontrant des parlementaires et des acteurs de l’agroalimentaire, après que nous nous étions rendu compte du manque de compréhension des dates par les consommateurs. En octobre 2018, nous avons lancé la pétition « #ChangeTaDate »[3]. L’objectif était d’interpeller les industriels pour les encourager à amorcer un travail de réflexion sur les DDM, qui ne sont pas un indicateur sanitaire mais qualitatif. Ont suivi une table ronde et la publication d’un livre blanc, et tout naturellement nous avons eu l’idée du pacte. Avec un comité de pilotage de quinze acteurs de la chaîne alimentaire et des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, nous avons défini les dix engagements[4] qu’il contient.

Pourquoi le mot « pacte » ?

L. B. : « Pacte » nous a semblé le bon mot puisque d’autres initiatives, comme le « Pacte sur les emballages plastiques », avaient déjà été lancées.

Comment s’explique la forte représentation des distributeurs, est-elle due aux obligations qui leur sont faites par la récente loi contre le gaspillage ?

L. B. : Nous travaillons au quotidien avec eux, grâce à l’application : la mise en œuvre du pacte est la continuité de leur action quotidienne avec nous. Il était facile d’avoir le contact avec eux. Nous avons sollicité de nombre d’industriels, et ils sont nombreux à nous avoir rejoints depuis la signature du pacte. Nous sommes en discussion avec d’autres. Le nombre de signataires augmente régulièrement. Entre les fédérations et les plus petits acteurs, il y a un équilibre entre distributeurs et industriels parmi les signataires. Pour certains, le moment n’est pas forcément adéquat, mais nous sommes assurés qu’ils seront de plus en plus nombreux. Nous souhaitons rallier à notre cause tous les acteurs qui ont un rôle à jouer au niveau des dates de consommation, et cela concerne tous ceux de la chaîne alimentaire.

Comment la durée optimale de consommation, qui est un aspect récurrent de la négociation entre les fournisseurs et les distributeurs, est-elle prise en considération entre les signataires du pacte ?

L. B. : Tout ce qui a trait à des clauses contractuelles ne peut faire l’objet de discussions entre acteurs ; cependant, afin de répondre à cet enjeu, nous prévoyons un groupe de travail sur l’engagement 6, qui réunira les différentes entités de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique, pour partager les bonnes pratiques, comprendre ce qui peut être assoupli et éviter le gaspillage lié aux « contrats dates ».

Le comité de suivi des engagements est-il un prolongement du comité de pilotage ?

L. B. : Oui, il est composé des mêmes membres ainsi que des signataires ayant choisi d’être chefs de file dans un engagement.

Des consommateurs sont-ils associés à la réflexion ?

L. B. : Avec notre pétition #ChangeTaDate, nous les avons associés à la démarche. La réflexion autour des engagements a été menée par les membres du comité de pilotage, dont Famille rurales, une association de consommateurs. Nous faisons régulièrement appel aux consommateurs, par exemple aujourd’hui dans le cadre d’une étude pour déterminer la meilleure sémantique à apposer sur les emballages pour les DDM.

Qui va concevoir les pictogrammes permettant une différenciation immédiate entre DLC et DDM, et seront-ils identiques quel que soit le produit ?

L. B. : Too Good to Go met à disposition ses moyens internes et externes pour la mise en œuvre des engagements. Nous travaillons avec les signataires à harmoniser la sémantique et les pictogrammes sur les emballages. L’objectif est d’harmoniser les pratiques ; nous travaillons avec des agences de communication, de nudge et de mesure.

Les durées de vie des produits sont-elles indiquées plus clairement dans les autres pays européens ?

L. B. : Les problèmes liés aux dates de consommation sont les mêmes dans les autres pays, elles manquent de lisibilité et sont source de gaspillage alimentaire à chaque étape de la chaîne. C’est pourquoi Too Good to Go travaille dans de nombreux pays sur ce sujet des dates de consommation. En Suisse, au Danemark, en Allemagne ou en Norvège, la mention « mais aussi après » a été ajoutée sur les emballages de certains industriels partenaires. Nous souhaitons à terme intervenir auprès de la Commission européenne, afin d’affiner le règlement Inco 11-69 [5] qui réglemente l’apposition et la traduction des dates dans tous les pays de l’UE.

Le pacte peut-il s’étendre à la lutte contre d’autres formes de gaspillage avec les mêmes acteurs ?

L. B. : Pour l’instant, nous concentrons nos efforts sur les dates de consommation, qui représentent un chantier d’envergure. Néanmoins il n’est pas exclu qu’à terme nous réfléchissions à d’autres manières de réduire le gaspillage alimentaire avec nos partenaires. Ce pacte est un premier pas.

Prolonger la date de durabilité minimale, est-ce réduire les rotations ?

L. B. : C’est une possibilité, pas une certitude. Les industriels qui produisent à DDM longue cherchent à la prolonger parce qu’elle leur permet d’écouler leurs produits plus facilement et d’éviter les stocks morts. Jusqu’alors, ça n’a pas participé à la réduction des rotations. Nous ne pouvons assurer qu’ajouter cinq mois de vie à une conserve qui a déjà une date de deux ans aura un impact. Le but de l’allongement des durées de vie est de permettre au consommateur de conserver plus longtemps le produit ; mais avec des dates longues, il est difficile de savoir si cela crée une vraie différence pour la chaîne de production.

Vous souhaitez remplacer la mention « À consommer de préférence avant le… » par « Meilleur avant le… ». Quelles instances en décident ? En quoi cette nuance serait décisive dans l’acte d’achat ?

L. B. : La traduction de la DDM est fixée par l’annexe X du Règlement européen Inco, c’est donc du ressort européen. Pour l’instant, le Pacte sur les dates de consommation n’a pas vocation à modifier ce règlement, mais c’est un sujet qu’on souhaite porter au niveau européen et qu’on a commencé à présenter à la commission qui traite de ce sujet. La nuance sémantique n’influe pas tant l’acte d’achat que le comportement à la maison : le but est que chaque citoyen fasse appel à ses sens (observer, sentir, goûter) avant de jeter un produit en DDM dépassée. Les dates de consommation sont responsables de 20 % du gaspillage alimentaire dans les foyers.

Certaines dates limite de consommation pourraient-elles disparaître ?

L. B. : Oui, comme c’est déjà le cas sur le sel, le sucre ou le vinaigre. À l’instar d’autres acteurs, nous souhaitons allonger cette liste. C’est une de nos propositions pour la Commission européenne.

Le pacte peut-il conduire industriels et distributeurs à renforcer leur collaboration pour optimiser les flux et réduire les gaspillages en bout de chaîne ?

L. B. : Oui, c’est l’objectif de l’un des axes de travail.

Revenons à Too Good to Go : quelle est depuis son lancement la courbe de croissance de votre « panier surprise composé des invendus du jour des commerçants » ?

L. B. : Grâce à notre communauté de douze mille commerçants engagés et de six millions d’utilisateurs en France, le nombre de paniers « sauvés » ne cesse d’augmenter depuis 2016. Nous en avons sauvé plus de 12 millions.

[1] Les entreprises peuvent se porter signataires sur le site https://toogoodtogo.fr/fr/campaign/pacte.
[2] Cette entreprise certifiée B-Corp qui emploie 500 personnes dans quatorze pays vend moyennant 1,09 euro des paniers préparés par les magasins partenaires et composés de produits que l’acheteur ne connaît pas à l’avance et qui doivent être consommés le jour même.
[3] Sur Change.org.
[4] Par exemple, les magasins organisent des rayons antigaspi avec des produits comme le riz et les pâtes dont la DDM est dépassée et sont proposés à prix réduits.
[5] https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:304:0018:0063:FR:PDF.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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